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feufe à bien s'énoncer, pourvû que nous fçachions, fi j'ofe ufer de ce terme, digérer ce que nous lifons, & le laiffer s'accommoder à notre caractere. Mais rien ne forme plus que le commerce de la Cour, s'il n'en coûtoit point tant, pour ce qu'il vous eft aifé de deviner. C'est-là que, fans convenir d'aucun principe de politeffe, elle coule de fource, & y regne jufques dans les plus petites chofes car ce qui vous rend extrêmement agréable, vous autres Meffieurs, c'est une certainė liberté d'expreffion vive, noble, fleurie, simple, aifée, élegante, pleine de feu: rien ne plaît davantage; cela vaut toutes les régles de l'art imaginables, & au-delà. Si vos penfées n'étoient peintes de la forte, elles perdroient une partie de leur beauté. Oui, fi vous vouliez examiner de près vos manieres de parler fi naïves, fi pures & fi hardies, vous les gâteriez. Elles font femblables à ces fruits tendres, délicats & frais cueillis, qui, dès qu'on en a terni la fleur à force de les manier, perdent quelque chofe de leur bonté & de leur faveur, ils n'invitent plus tant à être mangés : de même que ces livres d'un ftile trop régulier & trop deffeché, n'engagent guére à être lûs avec empreffement. Je conviens qu'on ne doit point abfolument écrire comme on parle ; mais cependant, quand la locution eft heureufe & bien naturelle, elle attache & divertit autant dans les écrits, que dans la conversation. Vous me direz que ce genre d'écrire que j'eftime tant, n'eft pas

fublime, qu'il n'eft que joli, que médiocre. Ne nous y laiffons pas furprendre, Monfieur, ce qui ne femble d'abord que joli, fait fi bien dans la fuite, par le fond des vérités qu'il renferme, & qui ne fe montrent pas tout d'un coup, qu'il paffe pour grand & pour beau dans l'efprit de ceux qui y font attention, & qui le pénétrent dans toute fon étendue. Au contraire, ce qui frappe l'imagination, ce qui brille, ce qui paroît d'abord élevé, n'eft quelquefois que joli tout au plus, pour peu qu'on y réfléchiffe & qu'on l'examine de près. Allons plus loin; penfez-vous qu'en général il n'y ait pas dans le ftyle, comme dans certains états de vie, une médiocrité que j'appellerois toute d'or, fi j'ofois? La feule différence que j'y trouve, eft qu'un homme qui par fon heureuse fituation, n'eft expofé ni aux traits de l'envie, ni au trifte fort de l'indigence, ne s'embarraffe de rien & jouit d'une tranquillité inaltérable : Au lieu qu'un Auteur fe tourmente beaucoup, & s'échauffe bien la tête pour tenir le milieu entre le fublime & le rampant. Voïez parmi les Grecs, les Ecrivains qu'on prife le plus. Voïez chez les Latins, Terence; voïez Virgile dans fes Eglogues & fes Géorgiques; Horace dans fes Satires, fes Epîtres & fon Art Poëtique; Ovide dans fes Héroïdes, fes Triftes & fes Métamorphofes ; Phédre dans ce que nous avons de lui. Quelle pureté, quelle naïveté, quelle ingénuité d'expreffion! Les plus fameux Auteurs du Regne Louis

le Grand, ont tenu cette route, Monfieur; c'eft en fe formant fur ces grands originaux, qu'ils le font devenus eux-mêmes : l'un dans fes Fables, où régnent la fimplicité, l'enjouement, le bon fens & la Nature toute pure: l'autre dans fes Satires, fa Poëtique & fes Epîtres, où l'art joint à un génie cultivé avec de grands foins, fé fait fentir, & va tout auffi loin qu'il peut aller : & fi j'avois cité Euripide & Sophocle, je dirois l'autre dans fes Tragédies fi charmantes, où la verfification est infiniment naturelle, quelque nobles quelque héroïques, quelque élevés que foient les fentimens qu'elle y dépeint. J'ajoûterois ici Moliere, fi dans fes Comédies le ferpent n'étoit point caché fous les fleurs, & s'il n'avoit point trouvé le funefte & diabolique fecret d'y rendre le vice aimable, ce qu'on ne peut trop détefter. Oui, je dirois de lui qu'il a furpaffé, ou du moins égalé fes maîtres, & qu'il doit fa réputation, ou peu s'en faut, à fes façons de parler qui n'avoient rien de trop bas & de trop familier, mais qui ne fe perdoient point auffi dans les nues, & qui, étant nouvelles, hardies, pleines de vivacité, rifquées avec un fuccès heureux, colorées par endroits, de l'air de la Cour (qu'il n'avoit peutêtre pour fon malheur, que trop refpirée) & fimplement tirées de ce qu'il y a dans chaque état de vie, de plus ordinaire & de plus commun, enlevoient & raviffoient tout le monde fans excepter ceux-là mêmes qu'il tournoit le

plus en ridicule, & dont il marquoit mieux les défauts.

Hor. de Arte Poët. Tantum de medio fumptis accedit honoris. Et pour ajoûter un mot de nos Hiftoriens. Ne s'efforcent-ils pas de fe former fur les Thucydides les Tites-Lives & les Salluftes, fans jamais s'éloigner de cette louable médiocrité de style, dont je vous parle, c'est-àdire de cette manière d'écrire qui n'a rien de faftueux, mais qui eft noble, naïve, pure & fincere, & qui paroiffant avoir été dictée par la na ture & la vérité même, femble n'avoir rien coûté, & cependant eft le fruit de bien des veilles, & cache un art infini. L'Hiftoire de France toute récente, & fi bien reçûe, eft un bon garant de ce que je viens d'avancer. Je fuis, &c.

Vous trouverez un vers dans la huitiéme Satire 'de Juvénal, dont j'ai mis au bas de la page un fens qui vous paroîtra extraordinaire: Je l'ai fait par pure complaifance pour un fçavant homme qui entend la Politique, & qui prétend que fenfus communis, chez les Romains, veut dire l'inclina tion & le zéle qu'ils avoient tous pour le bien public, & pour la gloire de la Patrie, en qua Lité de bons Républiquains. Je ne m'oppofe pas à ce fentiment; je n'aime point à contredire : mais comme je ne me pique pas autrement de Politique, dans le cours de ma Traduction, j'ai été tout uniment mon grand chemin, fans y

entendre tant de fineffe; perfuadé que de tout tems, il eft rare, que la plupart des gens qui font dans l'élevation, ayent un peu de fens com

mun.

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