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ne peut-il pas vivre long-tems; la bile eft répanduë fur tout fon corps ; il est tout couvert de gale. Voilà déja la troifiéme femme que Nérius époufe ; qu'il eft heureux ! Hé bien, pour fanctifier tous ces vœux, vous vous plongez la tête le matin dans le Tibre à deux & à trois reprises; vous ne manquez point de vous laver à votre réveil. Répondez-moi un peu, mon ami, je n'ai qu'un mot à vous dire ; ce que je veux fçavoir eft fort peu de chofe. Que penfez-vous de Jupiter? A qui ne le préferez-vous pas ?

A qui?

Oui; apparament vous le préferez à Staïus: héfitezVous ? C'est un Juge incomparable; il n'y en a pas au monde un plus habile à expédier les affaires des pupiles & des enfans mineurs. Faites-lui pour voir, confidence des chofes que vous tâchez d'obtenir de Jupiter. Grands Dieux! s'écriera Staius tout effraïé, ah Jupiter! peut-on former de tels vœux, & vous en demander l'accompliffement! Crois-tu donc, miférable, que Jupiter ne fe récrie, & ne s'apostrophe pas lui-même fur les indignes prieres que tu lui fais? Tu crois qu'il te pardonne, parce que fon tonnerre tombe plûtôt fur quelque arbre, que fur ta maifon & fur toi ? parce qu'en paffant par quelque Bois facré, tu n'y es pas frappé de la foudre; parce que ton corps n'y eft pas réduit en cendre par le feu du Ciel; parce qu'on ne l'y évite point comme un objet d'abomination & d'horreur, qu'on a coutume d'expier par les facrifices ordonnés par Ergenna: tu t'imagines que Jupiter te permet de l'infulter & de te moquer de lui? Eft-ce parce que tu lui immoles de groffes & graffes victimes, que tu comptes qu'il exaucera tes injufles vœux? prétens-tu acheter à ce prix le fuccès de tes déteftables defirs?

Voici une autre forte de vœux. Je vois une tante fuperAitieufe, une bonne grand'mere, qui s'en vient tirer fon enfant du berceau, elle lui nétoye pieufement avec fa falive la bouche & le front, pour empêcher qu'il ne foit

Expiat, urentes oculos inhibere perita;

Tunc manibus quatit, & fpem macram, fupplice votoà 35 Nunc Licini in campos, nunc Craffi mittit in ædes. Hunc optent generum Rex & Regina ; puellæ Hunc rapiant: quicquid calcaverit hic, rofa fiat. Aft ego nutrici non mando vota ; negato Juppiter hæc illi, quamvis te albata rogarit.

40 Pofcis opem nervis, corpúfque fidele fene&tæ :
Efto :
age. Sed grandes patinæ, tucetáque craffa
Annuere his Superos vetuêre, Jovémque morantur:

Rem ftruere exoptas, cafo bove;Mercuriúmque
Arceffis fibrâ. Da fortunare Penates,

45 Da pecus, & gregibus fœtum. Quo, peffime, pacto? Tot tibi cùm in flammis junicum omenta liquefcant? Et tamen hic extis, & opimo vincere farto

Intendit. Jam crefcit ager, jam crefcit ovile,

Jam dabitur, jam, jam: donec deceptus, & exfpes

so Nequicquam fundo fufpiret nummus in imo.
Si tibi crateras argenti, incusáque pingui
Auro dona feram, fudes; & pe&ore lavo
Excutias guttas, lætari prætrepidum cor

enforcelé ; & puis le carreffant & le flattant doucement des deux mains, elle fait mille vœux pour lui, & conçoit de hautes efpérances pour ce petit poupon qui eft encore d'une fanté bien frêle & bien délicate: Elle lui fouhaite les terres de Licinius, les palais de Craffus : elle demande ardemment aux Dieux, que les Rois & les Reines s'empreffent de l'avoir pour gendre; qu'il foit recherché des meilleurs partis ; & que les rofes naiffent toujours fous fes pas. Et moi, fi j'avois un fils, je prierois fa nourrice de ne point faire de tels vœux pour lui: oui, Jupiter, quelques facrifices qu'elle vous fit pour cela, je vous conjurerois de ne la point écouter.

Vous demandez aux Dieux une vigoureuse fanté, une belle vicilleffe; hé bien, demandez-la leur, j'y confens : mais ils n'ont garde de vous l'accorder, tant que la bonne chere & les grands repas feront toutes vos délices; c'eft là ce qui lie les mains à Jupiter. Ce Laboureur immole des bœufs à Mercure dans la vue de s'enrichir & d'augmenter fes revenus; c'eft par là qu'il tâche de fe le rendre favorable. Ah! Mercure, s'écrie le bon-homme, rempliffez de biens ma maifon : engraiffez & multipliez mes troupeaux. Que tu es bête, mon ami, tu te contredis : tu égorges fans ceffe des victimes; cela ne multiplie pas tes troupeaux. Le deffein de ce païfan eft pourtant de gagner les Dieux par fes facrifices; il l'efpere ainfi, & dit en luimême, mon champ s'améliore; mon petit troupeau s'accroît, j'obtiendrai dans peu ce que je prétens ; dans un jour ou deux ; tout à l'heure. Il le croit comme il le dit. Mais quand il a épuifé toutes les finances; quand il n'apperçoit plus au fond de fa bourfe qu'un pauvre écu, qui gémit, pour ainfi dire, de s'y trouver feul: alors, certes alors il conçoit qu'il n'a plus rien à espérer, & qu'il eft la duppe des Dieux.

Si je vous faifois un préfent de coupes d'argent, & de ces précieux vafes d'or enrichis de belles figures: vous ne vous fentiriez pas de joye; non, car vous n'eftimez que

Hinc illud fubiit, oro facras quòd ovato

55 Perducis facies: nam fratres inter ahenos,

Somnia pituitâ qui purgatiffima mittunt,

Præcipui funto, fitque illis aurea barba. 'Aurum, vafa Nume, Saturniaque impulit æra ; Veftaléfque urnas, & Thufcum fictile mutat. 60 O curve in terris animæ, & cœleftium inanes! Quid juvat hoc, templis noftros immittere mores, Et bona Diis ex hac fcelerata ducere pulpa? Hæc fibi corrupto cafiam diffolvit olivo.

Hæc Calabrum coxit vitiato murice vellus :
65 Hæc baccam concha rafiffe, & ftringere venas
Ferventis maffæ crudo de pulvere juffit.

Peccat & hæc, peccat : vitio tamen utitur. At vos
Dicite, Pontifices, in fancto quid facit aurum ?

Nempe hoc, quod Veneri donatæ à Virgine pupæ.
70 Quin damus id Superis, de magna quod dare lance
Non poffit magni Meffala lippa propago :
Compofitum jus fasque animi, fan&tofque receffus
Mentis, & incoctum generofo pectus honefto?

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l'or. De là vient que vous faites dorer les idoles des Dieux, de cet or que vous avez enlevé aux ennemis de l'Etat. Et fi vous vous imaginez, que des cinquante fre res, dont les ftatues d'airain font dans le Temple d'Apol lon, quelques-uns font les auteurs de vos fonges les plus clairs & les plus favorales ; vous ne manquerez pas auffitôt de les diftinguer des autres, en leur faifant faire à chacun une belle grande barbe d'or. Ce font ces magnifiques vafes d'or qui ont banni de nos Temples ces vafes de terre, que Numa fit faire autrefois pour les facrifices; & les vafes de cuivre qui étoient en ufage du tems de Saturne, Ce font eux qui ont pris la place de ces urnes d'argile dont nos Veftales fe fervoient jadis dans les Libations. Ames baffes, ames terreftres, que vous êtes éloignées des fentimens des Dieux ! A quoi bon faire paroître dans les Temples même, le défordre & la corruption de nos mœurs? Pourquoi ne juger de ce qui peut agréer aux Dieux que par les idées dont nous remplit l'avarice & la mollefie? N'eft-ce pas notre raffinement fur la magnificence & fur les plaifirs, qui nous a fait inventer ces rares parfums? N'eft ce pas ce qui nous a fait trouver le fecret de teindre ces étoffes de Tarente de couleur de pourpre ? C'est encore ce qui nous a fait inventer l'art de pêcher les perles, de les polir, de réduire en lingots toutes ces petites veines d'or brute, qu'on tire des mines. L'ufage que le luxe fait de toutes ces chofes eft criminel, me direz-vous, j'en conviens; neanmoins elles ont quelque apparence d'utilité. Mais je vous demande, Meffieurs nos Pontifes, à quoi fert cet or dans les lieux faints? A rien du tout, non plus qu'à Vénus ces poupées que lui offrent les jeunes filles. Que ne leur offrons-nous, à ces Dieux, quelque chofe que ni les Cotta, ni les Meffala ne puiffent leur préfenter avec tous leurs magnifiques baffins remplis de la chair des plus exquifes victimes? Que ne leur offrons-nous un cœur droit, fincere, généreux, & penétré des plus vifs fentimens de la justice & de l'honnêteté ?

C

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