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fi on n'a foin de les faire tres-foibles & chargez de tres-peu de viande. Cela fe remarque

fur tout dans toutes les maladies inflammatoires, comme pleurefie, fluxion de poitrine rheumatisme, &c. dans lesquelles les plus fages médecins vont jufqu'à défendre les bouillons à la viande, & il n'y a pas long-temps que toute l'Angleterre eftoit conftamment dans cette pratique. Mais pourquoy chercher des preuves chez nos voifins? la plus célebre faculté du monde, par l'organe du plus illuftre & du plus habile des médecins a prononcé làdeffus en notre faveur. Ce fage maître en Médecine a décidé, qu'il eft plus fûr de nourrir les malades d'une espece d'eau pannée que de bouillons à la viande. Un autre médecin de Paris, illuftre par le rang qu'il tenoit, & célebre par fa fageffe & fa piété, a confirmé ce fentiment par tant de preuves fi bien fuivies, fi naturelles & fi convaincantes, que l'on pour roit fans rifque faire paffer ce fentiment en maxime. Mais une autre obfervation le confirme encore, c'eft qu'il n'eft point de maladie où on ne pût fe paffer de, viande, toutes au contraire peuvent fe guérir fans ce fecours. C'eftpourquoy on ne laiffe pas de voir des guérifons de toutes les fortes dans des communautez où on ne rompt jamais l'abftinence pour quelque raifon que ce foit, tandis que des maux rebelles à tout remede fe guériffent chez les gens du monde en leur ôtant la viande, & les nourriffant de grains, de légumes, &c.

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a La faculté de Médecine de Paris. b M. Fagon, pr. Med. dans fa thefe du 8. Mars 1674. Ergo febricitantibus accommodatior diluti aqua panis quàm carnis elixa forbitio. c A1. Dodart, dans fes thefes des 18. Mars 1677. & 1700. Non ergo carnes quovis alio cibo falubriores. Non ergo febribus acutis, fola ex unis carnibus juscu‐ ja. Arnald. Villan. de efu carnium.

Qui croira après cela la viande plus naturelle à l'homme que les légumes, puifqu'il peut fe paffer de viande dans les occafions mêmes de maladie, où fa nature eft plus fouffrante, & plus abbatue, & que dans ces occafions ce font des grains & des légumes qu'on fubftitue utilement à la place de la chair des animaux. Ajoûtez encore que les fymptomes les plus fácheux qui tourmentent les malades, tels que font les dégoûts, les cours de ventre, les vomiffemens, les maux de cœur, la foif, & F'ardeur de la fiévre qui les fatiguent, tous font plus efficacement calmez par les bouillons faits avec les grains, les herbes & les racines, que par ceux qu'on fait avec la viande. C'eft donc encore avec raifon qu'on ajoûte que le maigre fait plus de bien & moins de mal que le gras.

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Mais ce n'eft point dans la maladie feule qu'on éprouve les avantages du maigre; les athletes eux-mêmes tout occupez qu'ils eftoient à fe procurer de la fanté & des forces, ne crûrent autrefois rien de plus propre pour y réuffir, que de fe nourrir d'alimens maigres, comme de fromage " & de pain, ou d'un pain au fromage, qu'on leur préparoit exprès, & dont le nom fignifioit la force qu'il devoit leur

procurer.

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Luftantur pauca, comedunt coliphia pauce. A ce trifte mets, ils joignoient des figues ; & c'eftoit ce qu'on a appellé depuis le régime des athletes. Avec de fi chétifs alimens en apparence, ils eftoient parvenus à fe paffer f de tout,

a Paufanias, 1. vi. b Coliphia, panes cum recenti cafeo commixti, fic dicti, quod xxx, id eft, membra, iqia, id eft valida reddunt. Juven. fatyr. 2. A Plin. 1. 23. c. 7. Ifidor. 1. 17. C. 7. Mercurial. de gymnaf. p. 72. e Harduin. in Plin. 1. 23. p. 280 f D. Paul.

&à fe rendre cependant formidables au refte des hommes; gens d'ailleurs impitoyables fur eux-mêmes, infenfibles à tout plaifir, s'affujettiffant à une contrainte incroyable, à des fatigues outrées, & à un tourment continuel. Ce n'eft pas qu'on veuille icy infinuer une vie auffi étrange, mais cet exemple doit au moins faire comprendre qu'on pourroit. par religion ce qu'on a pû par vanité, puifque l'abstinence n'a rien de fi incompatible avec la fanté, ni rien de fi préjudiciable aux forces du corps, qu'au contraire elle ne détruit ni la vigueur, ni l'embonpoint; que rien enfin ne feroit peut-eftre fi propre à conferver les forces. & a prolonger la vie, que l'ufage des alimens maigres, puifque des hommes qui ne s'étudioient qu'à s'engraiffer, & à fe donner de la vigueur, s'en contentoient. En fanté donc comme en maladie, cet ufage feroit du moins comparable à celuy de la viande.

a Cum Athlete fegregentur ad frictiorem difciplinam, ut robori adificando vacent. continentur à luxuria, à cibis latioribus, à poru jucundiore: coguntur, fatigantur, cruciantur. Tertull. lib. ad Martyr.

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CHAPITRE XXV.

Que les maux qu'on impute au Carême viennent, 1o, de l'habitude, 2o, de l'intempérance, 3°, de la disproportion des boissons, 4°, de la variété des mets, S°, enfin de leur trop d'affaifonnement.

Mais
Ais d'où viennent, dira-t-on, tant de maux
& d'incommoditez qui accompagnent le
Carême, s'il eft vray que le régime du Carême

foit fi innocent? D'où viennent tant d'infirmitez augmentées, ou tant de fantez affoiblies par le maigre? Enfin pourquoy à l'arrivée de Pâques, les plus fages mêmes, pour la plûpart, fe croyentils délivrez finon d'un joug infupportable, du moins d'une fervitude tres-dure à la nature ? L'idée de contrainte, d'affujettiffement & d'obligation eft une caufe naturelle de tout ce qu'on vient de dire, puifqu'il fuffit à l'homme porté naturellement à l'indépendance de fe fentir contraint pour fe croire incommodé. Car enfin on n'aimeroit rien tant que ce qui nous eft le plus févérement interdit, & le plaifir peut-eftre nous deviendroit à charge s'il eftoit d'obligation; du moins ne craint-on pas de dire que la loy paroiftroit dure & infupportable, s'il eftoit ordonné en charnage de ne manger que de la viande, à l'exclufion de toute autre chofe : mais il eft d'autres caufes des incommoditez du Carême. Habi- La premiere eft l'habitude, par laquelle on tude. entend non feulement le plaifir qu'on s'eft fait

pendant l'année de manger de la viande, non feulement l'opinion à laquelle on s'eft laiffé prévenir, que dans cet ufage de viande eft renfermée principalement la confervation de la fanté, mais encore l'impreflion que cet ufage a laiffée dans le corps. Ce n'est donc point uniquement une imagination prévenue qui nous attache à l'ufage de la viande, ce n'eft point un pur effet de la fenfualité qui nous y attire, il s'eft à la longue tracé dans toutes les parties de nos corps une impreffion vive & profonde dont s'eft formée une difpofition mécanique qui a accoutumé nos corps à ne pouvoir prefque plus fe paffer de viande fans incommodité. Voicy comme on conçoit que cecy fe paffe.

Tout le monde fait qu'une étamine ou un papier mouillé permet à l'eau de paffer à travers de

Tes pores, & qu'il le refufe à l'huile; au contraire quand il eft imbibé d'huile, il accorde paffage à l'huile, & le refufe à l'eau. Par une phy fique à peu près femblable, les fibres de nos corps imprégnées qu'elles font pendant l'année des fucs gras & onctueux des viandes, ne fe laiffent pénétrer que difficilement en Carême par des fucs maigres, lents & aqueux, car on peut nommer ainfi ceux des fruits, des légumes, en com paraison de ceux des viandes. Ceux-cy d'ailleurs ayant quelque chofe de plus vif & de plus vigoureux, doivent donner plus de tenfion & de reffort aux parties; & quand on leur en fubftitue de moins actifs & de plus foibles, la tenfion ou la force naturelle doit diminuer. Il fe paffe en nous quelque chofe de femblable en commençant le Carême, le corps par conféquent doit fe fentir plus foible, & contracter même des infirmitez, fi l'adreffe & la difcrétion ne viennent au fecours. Que fi l'on croit les idées que nous donnons icy des fucs des animaux & des légumes peu exactes & nos expreffions trop peu juftes, qu'on convienne du moins que ces fucs font tresdifférens entre eux, qu'ils doivent par conféquent affecter différemment les fibres motrices & les animer chacun à leur maniere.

On ne pourra donc paffer des uns aux autres fans fentir en foy de nouvelles impreffions & de nouvelles manieres d'eftre, d'où naîtra, pour ainfi parler, un certain mal-aife, ou une indifpofition fecrete, en quoy confifteront ce fond de foibleffe & ce découragement qu'on fent en Carême. Mais cet inconvénient eftant bien ménagé n'a guere que de l'incommodité; la fin d'ailleurs du Carême eftant de mortifier la nature & de la réprimer, on fera voir dans fon lieu ce qu'on en doit craindre, & jufqu'à quel point on peut 'y abandonner.

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