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tout le monde? On ne craint donc point de reconnoiftre l'utilité ou la néceffité des difpenfes; refte à en marquer l'efprit, les regles & les précautions, & c'eft à quoy on apportera toute l'exactitude raisonnable & poffible.

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CHAPITRE XXXI.

De la nature des difpenfes, de leur antiquité, de leur étendue, & de leurs différences.

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La eft une une exemtion A difpenfe eft une indulgence de la loy, un accordée par les fupérieurs légitimes pour un plus grand bien. On ajoûte qu'on ne la doit accorder que pour une néceffité jufte, grande, évidente.

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Quand il y a néceffité, dit faint Bernard, la difpenfe eft excufable; quand il y a utilité, elle eft louable; mais quand il n'y a rien de tout cela, ce n'eft pas une fidele difpenfation, mais une cruelle diffipation.

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La difpenfe, par exemple, du Carême, ne s'accordoit autrefois qu'à condition de nourrir un pauvre ; & la coutume d'aujourd'huy eft de fubftituer à l'abftinence & au jeufne quelques aumônes en ceux que l'on dispense du Carême. La raifon de cette pratique eft que l'on a toujours crû qu'il falloit diftinguer dans un précepte la lettre de l'efprit, & qu'il n'eftoit ja mais permis de s'éloigner de l'esprit de la loy lors même qu'on difpenfoit de la lettre. De tout cecy il faut conclure que la difpenfe exemtane de la peine, n'exemte jamais de la pénitence f

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Loyens, tr. des difp. p. 1. b lbid. p. 52, Tr. de la confideri 1. 3. Thomaßin, des jeufnes, p. 268. Baillet, hift. du Ca Lême, . p. 205. fld, ibid. p. 528,

& qu'une perfonne difpenfée pour de bonnes raifons, n'en fera pas moins criminelle, fi elle manque de compenfer le bien qu'elle auroit dû faire, par quelqu'autre bien.

La difpenfe n'eft donc pas une tolérance qui aille à diffimuler un mal qu'elle fembleroit autorifer, c'eft une fage condefcendence, ou une permiffion prudente & charitable qui permet de compenfer un bien par un autre. C'est que tour ce qui eft étably dans l'Eglife fe rapporte tout entier à l'utilité des fideles & à la charité ; ainfi deflors que l'une & l'autre font lézées, ou la loy ceffe, ou elle doit eftre adoucie, en fubftituant quelque chofe qui foit plus à la portée des particuliers. Comme donc c'eft la charité feule qui anime tout dans la religion, elle feule doit regler les difpenfes.

C'est par cette raifon que la date des difpenfes eft fi ancienne dans la religion, parce que la charité a efté de tous les temps. Ce fut par bonté que Dieu difpenfa les hommes dès les commencemens du monde, du précepte qui leur défendoit de manger de la viande. Ce fut par fageffe que Moife permit aux Juifs de renvoyer d leurs femmes, & que le grand prêtre accorda à David & à fa troupe de manger les pains de propofition; ce fut enfin une forte de difpenfe qu'Elifée accorda à Naaman f. Sous la loy nouvelle Jefus-Chrift s'appelle le maistre ou le feigneur du fabat, parce qu'il en adouciffoit les obfervances en leur fubftituant quelque chofe de meilleur. Dans ce même efprit les apôtres affemblez dans le concile de Jérufalem, déchargerent les fideles de plufieurs affujettiffemens de la loy Judaïque; faint Paul enfin difpenfe TimoLoyens, tr. des difp. p. 40. 42. 50. b Baillet, ibid. P. 132. Genef. c. 9. v. 3. d Deuteron. 24. 1. 1. Reg. 21. 4. † 4. Rega 1. 19. 8 Matth. 12, V. 8; b At, 15, 20,

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thée de la rigueur de la pénitence, en luy permettant d'ufer d'un peu de vin ".

Mais pour ne point fortir du fujet que nous traittons, l'on trouve des fortes de difpenfes de jeufne ou d'abftinence dès les premiers tems de I'Eglife, depuis fur tout qu'on eut prolongé le tems du Carême. Car jufques-là on ne voit prefque aucun veftige de difpenfe, & le cas feul d'une maladie menaçante la rendoit fupportable. Les Grecs & les Orientaux poufferent cependant. dans la fuite la févérité jufqu'à refufer aux malades l'ufage non feulement de la viande, mais du lait même & des oeufs ; mais cette pratique regardoit plus les religieux que le commun des fideles, puifqu'on voit que ceux-cy fe difpenfoient eux-mêmes du temps de faint Chryfoftome. On s'en rapportoit même, ce femble, alors à la bonne foy des fideles, fur tout dans l'Eglife latine, où les femmes mêmes difpenfoient du maigre, comme faint Jerôme f le rapporte de fainte Paule, qui en difpenfoit fes filles. Vers le même temps, on trouve que les moines fe permettoient de boire les jours de jeufne, quand ils avoient à travailler beaucoup. Mais une preuve incontestable quand les faits particuliers nous manqueroient, c'est qu'on abufoit deflors de ces adouciffemens & de ces difpenfes. De là vinrent les menaces des canons, & les anathêmes qu'ils lancerent contre ceux qui fe difpenfoient fans trop de néceffité. Les peres n'y eftoient pas moins féveres, à en juger par les peines dont faint Bafile menace les chrétiens de fon temps qui fe difpenfoient trop légerement. Ces menaces ne tomboient pas feulement fur ceux qui manquoient

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a 1. Timoth. c. 5. v. 13. b Baillet, p. 79. Thomaff. p. 282. 295. d Thomaff. p. 296. e Homil. in Paul. f Epitaph. S. Paul. S. Auguft. de morib. Ecclef. c. 3. Tr. de l'hemine, p. 109, Thomaff. p. 19. 1 Orat. 2. de jejunio,

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à l'abstinence; ce pere les employoit encore contre ceux qui s'accordoient l'ufage du vin avec trop de facilité. Enfin ce n'eftoit pas des perfonnes particulieres ou de piété dont on exigeoit tant d'exactitude, puifque faint Grégoire de Nazianze blâmoit les juges qui s'affranchiffoient de la loy du jeufne. Les peines dont on puniffoit ceux qui fe difpenfoient mal-à-propos de l'abftinence, font encore d'autres preuves de ce qu'on vient d'avancer. Un concile d'Efpagne prive de la communion pascale ceux qui eftoient tombez dans cette faute. Peu de temps après on vit punir de mort en Allemagne ceux qui s'eftoient accordé la même licence. Les Polonois enfin crurent ne pouvoir mieux punir ceux qui avoient violé l'abstinence, qu'en leur arrachant les dents.

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Il falloit donc des difpenfes pour n'eftre pas puni, quand on n'observoit pas le Carême. Mais ces difpenfes alloient fouvent à peu de chose, c'eftoit quelquefois des permiffions d'avancer le fouper en d'autres c'eftoit des permiffions d'abréger le nombre des jours d'abftinence &. D'ailleurs toutes ces difpenfes eftoient rarement demandées, & les peuples même ne s'y foumettoient pas toujours: on le vit, par exemple, du temps de l'empereur Juftinien; car quoiqu'en un temps de famine il eût fait ouvrir les boucheries en Carême, fes peuples préférerent de s'expofer à tout fouffrir plûtoft que de manquer à l'abftinence. On en vit enfin qui aimerent mieux mourir de leurs maladies que de s'accorder l'ufage de la viande, ou de violer leur jeufne. Témoin faint Fructueux dans Prudence,

a Ibid. b Epift. 74. de Tolede, en 653. d 789. dans un capitule de Charlemagne, tom. I. p. 251. e Thomaff. p. 247. Baillet, p. 185. g Id. p. 80. h Id. p. 183. i Id. p. 128, Thomassin, p. 86,

qui forma une pareille réfolution ; & fainte Paule dans faint Jerôme, qui ne put jamais fe réfoudre à boire du vin, quoique fes médecins & fes directeurs vouluffent l'y obliger. Il paroît donc conftant qu'on ufoit de difpenfes dans les premiers fiecles de l'Eglife, puifqu'on les accordoit aux uns, qu'on les puniffoit en d'autres, & qu'on n'y contraignoit perfonne.

: Če même détail fait auffi connoistre que les difpenfes s'étendoient à d'autres chofes qu'au jeufne & à l'abftinence, puifqu'elles n'eftoient fouvent que pour accorder quelque adouciffe-. ment, comme on vient de le dire, & comme on le verra encore ailleurs, Les difpenfes ne confitoient donc pas feulement en ce qu'on permettoit de faire gras, la feule chofe fur laquelle on demande aujourd'huy des permiflions; mais alors que tout eftoit refpectable dans la religion, on fe faifoit une loy de ne fe rien permettre fans l'avis des fupérieurs. Non feulement la liberté d'ufer plus ou moins & à certaines heures de certains alimens, faifoit la matiere des difpenfes ; on demandoit comme autant de graces les permiffions d'ufer de lait, d'oeufs, & de vin. On ne fe croyoit pas moins obligé de demander des permiffions de boire hors les tems des repas, ne fut-ce que de l'eau, parce qu'on eftoit perfuadé qu'il n'eftoit pas moins de l'effence du jeufne de fe priver de boire, que de s'abftenir de manger. On ne prétend pourtant point ramener icy toute cette ancienne févérité de l'Eglife, dont les efprits plûtoft que les corps d'aujourd'huy ne font prefque plus capables. On s'en tiendra à ce que l'Eglife a permis, ou aux ufages reçus touchant le lait & le beurre, touchant l'heure du repas fi étrangement avancée du foir à midy, & touchant la collation,

Ibid. p. 90.

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