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nombre de semaines pendant lesquelles on peut obferver l'abstinence.

Icy fe préfente une difficulté. On demande s'il n'eft pas plus à propos de commencer l'abftinence avec l'Eglife, afin d'édifier le prochain. Mais ne fera-t-il pas moins édifiant encore d'eftre obligé de fe féparer du commun des fideles, pour faire gras vers la fin du Carême, c'est-à-dire dans les jours les plus faints de la quarantaine ? Ajoutez que quand il y auroit quelque forte d'humiliation à fouffrir en ne commençant point le Carême avec le refte des fideles, on en sera plus en fûreté, fi on fait avec quelque defagrément ce qu'on ne fauroit s'accorder avec trop de répugnance & de crainte.

Mais il y a encore une raifon de phyfique ou de médecine qui doit faire choifir les femaines les plus voifinés de la fefte de Pâques pour faire maigre,quand on ne peut faire davantage; c'eft que fur la fin du Carême, les légumes font plus avancez, plus communs & plus fains qu'au commencement, & les fecours ou provifions de Carême font plus abondantes alors. Les infirmes par conféquent, & en particulier les perfonnes moins riches ou moins aifées trouveront plus de fûreté & plus de facilité à faire maigre.

La licence de manger deux fois le jour de la viande en Carême eft encore plus mal entendue; elle eft le plus fouvent uniquement fondée fur la gourmandife ou la fenfualité, rarement fur un vray befoin. Il pourroit fuffire aux uns de prendre les foirs un potage gras fans manger de la viande; il pourroit eftre défendu à d'autres d'ufer même de ce potage les foirs. Car enfin, quoiqu'on fe trouve dans le cas de ne pouvoir garder l'abftinence, on pourra fe contenter de viande une fois le jour, quand on a un bon estomac, & qu'on a fait un repas raifonnable en

gras à midy. Quel grand inconvénient en effet, de fe contraindre pendant quarante jours à fe paffer les foirs de viande, & à fe contenter de Fruits, de falades, &c? Du moins pourroit-on le plus fouvent fe contenter d'une fouppe à la viande, fi l'eftomac eftoit dans ce befoin; mais alors il faudroit s'en expliquer & s'affurer d'un bon confeil.

Paroît-il bien néceffaire, par exemple, & bien féant de voir des perfonnes pleines de forces & de vigueur, qui ne manquent à rien de ce qu'ils ont à faire pour leurs fortunes, & peut-eftre pour leurs plaifirs, qui mangeront fans fcrupule deux fois de la viande par jour en Carême, parce qu'on les aura dispensé du maigre? Mais fiun repas de viande en 24. heures pourroit ordinairement fuffire à la plûpart du monde, fera-t-il impoffible de s'en contenter en Carême, lors fur tout qu'on fe permettra les foirs une foupe à la viande, fi on en a befoin, ou un repas de fruits, falades, &c?

Mais la prévarication eft manifefte, quand fans raifon particuliére on ufe en Carême de viandes rares & exquifes, comme perdrix, faifans, lapreaux, &c. fous prétexte qu'on ne peut faire maigre; ou lorfqu'on fe permet des viandes com.munes, mais roties, ou apprétées. Car fans entreprendre de faire voir que ces viandes déli cieuses & recherchées font contraires à l'efprit de pénitence, ce qu'on laiffe à remontrer à MM. les théologiens, les médecins conviennent que les viandes les plus ragoutantes, telles que font celles qui font les délices des tables, font infidieufes à la fanté. Ils penfent de même fur toutes celles qui font apprétées, & fur le même principe ils préférent le bouilly au roty. Si on ne peut donc s'exemter de faire maigre en Carême, que pour fatisfaire aux befoins de la vie, ou pour pré

ferver la fanté ; il doit eftre auffi peu permis de s'accorder en ce temps les viandes exquifes & apprétées, qu'il eft dangereux de fe les permettre en tout autre, quand on eft d'une compléxion délicate, ou d'une fanté foible, & qui s'ébranle facilement. Pour le comprendre il ne faut que fe fouvenir que la plupart des prétextes qu'on expofe pour obtenir des difpenfes, roulent fur des chaleurs d'entrailles des infomnies, des ardeurs de foye, des foibleffes d'eftomac. Mais les viandes exquifes, & celles qui font roties ou apprétées, font toutes propres à faire, ou augmenter ces maux, parce qu'elles abondent en fucs vifs, bouil lans, fermentatifs & defféchans, capables de tous ces inconvéniens.

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C'est l'idée qu'on fe forme d'une perdrix, d'un faifan, d'un lapreau; car on croit ces viandes tres-nourriffantes, & on les recommande quand il faut ranimer le fang, & donner plus de force & de reffort aux parties. Il en eft à peu près de même des viandes ordinaires, comme le font le veau, le poulet, &c. lorfqu'ils font rotis. Ces viandes naturellement douces, & d'un goût mediocre, deviennent plus favoureufes & piquantes cuites à la broche. La raifon en eft claire, ce font des chairs jeûnes, tendres, & pour ainfi dire, encore laiteufes; & c'eft ce qui les rend fi propres à la fanté, parce qu'elles fourniffent aux liqueurs des parties molles & fouples, capables de faire un fang doux & paifible, tel qu'il le faut pour entretenir une circulation aifée & imperceptible. Mais le feu venant à agir d'une maniere immédiate fur ces viandes, quand on les rotit en difipe toute l'humidité qui les rendoit fi faines, il en defféche les fibres ; & concentrant ce qui n'a pû fe diffiper du fuc de ces viandes, il le fermente & l'exalte au point d'en développer tous les fels, & d'en former un

fuc falin & fpiritueux, propre à fermenter le fang, à exalter la bile, à deffécher les vifceres, &c. Reconnoît on à ces qualitez quelque préférence à donner au roty pardeffus le bouilly, par rapport à la fanté Et fera ce ces viandes, dont il fera befoin d'accorder l'ufage à des perfonnes infirmes qui demandent difpenfe du maigre? Les viandes bouillies leur fuffiront, parce qu'elles fuffifent à la fanté. Voicy comment.

Ces fortes de viandes ne reçoivent l'action du feu qu'à travers de l'eau qui la modére & la corrige, c'eft une forte de bain-marie. Ce n'est donc plus un feu fec & ardent qui brûle, c'eft une chaleur molle & tempérée, qui cuit fans durcir, & pénétre fans deffécher. Or rien ne ressemble fi bien aux digeftions qui fe font dans le corps, & n'y difpofe mieux les nourritures qu'on luy prépare.

On accufe les viandes bouillies d'eftre fades, infipides, dépouillées d'efprits; ce font, dit-on, des charpies arides & fans fucs.

Il eft vray qu'elles flattent moins le goût que le rofty, mais on ne s'engage point a régaler des perfonnes qu'on difpenie du maigre; il luffit que ces nourritures ne foient ni dégoûtantes ni indigeftes, quand elles font cuites à propos. Après cela, quel fi grand inconvénient que le goût foit moins fatisfait, pourvû que l'eftomac n'en fouffre point? On eft auffi mal fondé à les traiter de charpies dénuées d'efprits & incapables de donner des forces. Quand il en feroit quelque chofe, feroit-il fi mal-à-propos qu'on fentit l'abstinence par quelque endroit, pourvû d'ailleurs que la fanté n'en fût point altérée ? L'accufation eft donc inutile, puifqu'on pourroit fe fortifier en mangeant du bouilly autant & audelà qu'il eft à propos de fe fortifier en Carême, puifque des communautez de religieufes, telles que font les Car melites,

melites, n'ufent que de bouilly dans quelque maladie qu'elles ayent. Il ne fert de rien de dire que le rofty nourrit davantage, car cela n'eft pas exactement vray; il donne peut-eftre plus de vigueur, parce qu'il remue davantage les efprits, & qu'il affecte plus agréablement la langue; mais il fournit moins de fuc nourricier, parce que l'ardeur immédiate du feu luy en a enlevé davantage, & luy en a par conféquent moins laiffé. Mais quand il feroit autant vray qu'on le publie, que le bouilly fût moins nour riffant, feroit-ce prouver qu'il ne l'eft pas affez? Eft il néceffaire d'employer pour fe nourrir tout ce qu'il y a de plus fucculent? une médiocrité bien entendue n'eft-elle pas plus fûre à la santé ? Et cette médiocrité ne fe rencontre-t-elle pas dans les viandes bouillies?

Ce n'eft pas qu'on veuille abfolument exclure le rofty, à Dieu ne plaife qu'on paffe dans aucun excès, pas même dans celuy-cy; mais c'eft un fecours & une forte de remede qu'il faut ménager pour les perfonnes dégoûtées, pour des eftomacs rebuttez & affadis , ou pour des cas d'infirmité qui demandent l'ufage du rofty préférablement au bouilly. Mais ce n'eft ni l'indépendance ni la fenfualité qui doivent en décider; il faut le demander à un médecin fage habile & religieux, lequel fache ménager les intérefts de la fanté, fans trahir ceux de la religion.

Ce feroit icy le lieu d'examiner la queftion fi l'on peur jeufner en faifant gras; mais elle fe retrouvera plus naturellement dans la feconde partie de ce traité, où l'on va parler du jeufne & de tout ce qui regarde cette matiere.

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