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la pénitence, & qui ont tant fait pour se rendre la vie pénible & laborieuse, n'ont fouvent con- ` tribué en rien pour l'abbréger; peu de gens au contraire ont vécu plus long-temps qu'eux, tant il eft vray que le jeufne & la pénitence retranchent plus du plaifir de la vie, que de fa durée. Pourquoy donc tant craindre de fe rendre les homicides de fon corps, finon peut-eftre parce qu'on craint trop peu de fe rendre les meurtriers de fon ame? On peut fe dire que la fanté eft un gage & un dépoft dont Dieu nous demandera comte, mais on doit en même temps penfer qu'il n'eft pas moins effentiel au chrétien de fouffrir, qu'à 'homme de se bien porter, puisqu'il doit estre moins occupé de vivre que de mourir. Au refte ce n'eft pas qu'on veuille icy rien outrer, mais on eft perfuadé qu'on peut plus qu'on ne penfe en matiere de mortification, & qu'il n'eft pas impoffible, fans rifquer fa fanté, d'accorder beaucoup à la pénitence: différente de ces travaux affreux des athletes du paganifme, elle n'a befoin ni d'embonpoint, ni de forces extraordinaires; un chrétien en a affez quand il en trouve fuffifamment pour fervir Dieu & remplir fes devoirs, le furplus eft toûjours dangereux, & devient fouvent criminel.

Mais d'ailleurs, pourquoy tant d'appréhenfion quand on n'a qu'à fouffrir peu de chofes pour Dieu, & fi peu de crainte, quand on rifque tout pour les hommes ? Faut-il, par exemple, moins de force & de fanté pour les travaux de la guerre, pour les fuites du plaifir, pour les fatigues de l'intéreft, que pour la pénitence? Comte-t-on moins d'infirmes parmy les voluptueux, moins de malades parmy les libertins? Remarque-t-on plus de fanté en ceux qu'une vie licentieuse fait tous les jours vieillir avant l'âge, que parmy les perfonnes religieufes, qui au contraire à force

de fe retrancher fur tout, cedent enfin moins aug attaques de la mort, qu'à la néceffité de mourir. Ce ne fera donc que pour la religion que tout coûtera, & fes devoirs feuls paroîtront infupportables, tandis qu'on ne tiendra à rien quand il faudra fe fatisfaire,ou fatisfaire les autres. C'est qu'on fuit volontiers ce qu'on aime, & qu'on s'éloigne naturellement de tout ce qui intéreffe peu. Ainfi ce n'eft plus au peu de force qu'il faut s'en prendre, fi on fe difpenfe du Carême, mais fouvent à fon peu de foy, & à fon peu d'amour pour la vertu.

On prendra fans doute ces reflexions ou pour des moralitez ennuyeufes, ou pour des véritez métaphyfiques, dont la pratique n'appartiendroit qu'au cloître, & qui deviendroit impoffible dans la vie commune; mais qu'on fe fouvienne que les gens du monde agitez de leurs paffions, ou pouffez par leur intereft, prennent plus fur leur Janté que les religieux les plus aufteres; puifque les cloîtres font pleins de pénitens volontaires, dont la fanté eft plus affermie que dans le monde, où fouvent ils ne pouvoient garder ni jeufne ni abftinence; & alors il fera vray, même pour les gens du fiecle, que la pénitence eft de tous les états, & toûjours indifpenfable.

La nature de nos corps & les caufes qui entretiennent la fanté confirment tout ce qu'on vient d'avancer. Il fuffit pour nous faire vivre que les liqueurs qui ont à circuler dans nos corps le faffent d'un cours uniforme & reglé; pour cela elles doivent eftre aifées à rouler, de forte que ni la trop grande quantité n'en embaraffe la circulation, ni l'épaifliffement n'en ralentiffe le cours, ni le trop de fermentation ou d'elafticité n'en précipite le mouvement. Or eft-il quelque chofe de plus propre pour entretenir cette uniformité que la vie fobre & frugale, qui préferve ces liqueurs de fuperflus & des vices, que la bonne chere ou les

mets delicats ne manquent pas d'attirer. Par là fe conferve l'équilibre des liqueurs & l'exacte proportion des parties, on veut dire ce rapport mutuel & cette confonance parfaite entre les folides & les liquides, en quoy confifte l'oeconomie de la fanté & de la vie. Les loix qui confervent ces merveilleux rapports eftant l'ouvrage du créa teur doivent eftre fimples, dépendantes du jufte volume des liqueurs & de la mecanique, des refforts & des organes qu'elles ont à mouvoir, plûtôt que de leur multiplicité, ou de leur abondance. Ce ne doit eftre donc que par ces voyes fimples d'un regime fobre & frugal, qu'on doit fonger à les entretenir : voyes qui fouvent terminent plus heureusement, que tous les remedes les plus recherchez, les plus fâcheufes maladies. Ainfi la pénitence bien entendue allonge plus de jours qu'elle n'en abbrege, au lieu que le luxe & le plaifir précipite fouvent le cours d'une vie qui avoit efté donnée pour durer plus long-temps. Vitam enim brevem non accipimus,fed facimus. " En effet, que de reffources de vie dans notre corps tout fragile qu'il paroît, fi elles eftoient bien menagées Difons mieux, elles n'auroient befoin prefque d'aucun ménagement, il fuffiroit de ne point déranger l'ordre établi dans l'œconomie de nos fonctions, en fe tenant feulement dans les bornes d'une nourriture fimple, d'un travail reglé, en un mot, de l'unique néceffaire. A fi peu de frais, on pourroit voir revivre les Neftors; & fi avec cela on favoit fe défendre des paffions, on' parviendroit tout-à-la-fois à prolonger la fageffe & la vie.

Mais enfin, quand bien même on conviendroit, ce qu'on n'accorde pourtant pas, que la pénitence pût intereffer la fanté, & qu'on en dût moins vivre, pourroit-on se faire un crime d'entrepren

a Senec,

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dre pour l'honneur de fa religion, ce qu'on fait tous les jours pour ses amis, pour fon intereft, pour fa patrie? S'avife-t-on, par exemple, de faire un péché à une perfonne qui va expofer fa vie fur mer, à la guerre, ou dans quelqu'une de ces profeffions ruineufes à la fanté, & où de la vie des peres dépend fi fouvent celle des familles? Au contraire, les dangers de la pénitence estant donc infiniment moindres, il ne doit pas eftre moins permis à un chrétien de rifquer quelque chofe de fa fanté pour fon Dieu, qu'à un pere de la prodiguer pour fa famille, ou à un capitaine de la rifquer pour fa patrie. Si les rifques de la guerre ne font permis qu'autant qu'on s'y expofe pour Dieu, dans la perfonne des Rois qui tiennent leur épée de luy ; ceux de la mortification deviennent louables, puifqu'ils fe rapportent précifément à fa gloire, & à celle de fon Eglife.

Si donc il eft permis d'expofer la vie pour quel qu'un, il fera jufte de la rifquer pour Dieu; car fla mort des heros eft glorieufe, celle des pénitens eft fanctifiante. Ce n'eft pourtant pas au prix de la vie des hommes, qu'on entreprend de prouver l'abus des difpenfes du Carême, elle ne Courra aucun rifque dans les maximes qu'on va établir; on en veut uniquement à leurs préjugez, qu'on effaye icy de ruiner, en leur faifant voir que le fantôme effrayant qu'ils fe font du Carê-me ne luy reffemble pas.

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Que le Carême n'a rien de fi extraordinaire.

Lais le refte de notre vie, louvent Es préjugez de l'enfance accompagnent orpréviennent-ils nos jugemens, & fi l'éducation

ne les corrige, ils reglent toûjours notre conduite. On attache dès les premiers temps de la vie, l'idée de plaifir à la nourriture; & tout ce qu'on fait aux enfans eft plus propre à leur infinuer, qu'elle eft moins un affujettiffement & une néceffité, qu'une maniere de s'amufer ou de fe fatisfaire. Les nourrices importunées de leurs cris, ou de leurs mauvaises humeurs, ne cherchent prefque,dans leur lait,que de quoy ou les appaifer, ou les fatisfaire. Les careffes & les préfens qu'on leur fait ne vont prefque qu'à agacer leurs appetits, ou à flatter leurs goûts. Devenus plus grands, on leur fait commencer la journée par un repas, ils la paffent à fe remplir, ils la finiffent gorgez & accablez de mangeaille. Entrent-ils dans le monde, ils n'y voyent que repas, & l'exemple des plus reglez les accoutume à croire qu'il en faut faire quatre dans le jour. Elevé qu'on elt dans ces manieres de vivre, on fe perfuade infenfiblement qu'elles font néceffaires à la fanté. L'estomac s'y accoutume, l'imagination s'en prévient, le goût s'en accommode; & tout occupé qu'on eft à s'engraiffer, on parvient à croire que l'embonpoint eft abfolument néceffaire à la fanté, & qu'il faut manger fouvent & beaucoup pour la conferver. Cependant à juger des hommes d'apréfent par ceux du paffé, on conviendra que ce n'eft ni la quantité de la nourriture, ni la multiplicité des repas qui fait la longue vie, & la force du corps. Dans ces premiers temps du monde où on voyoit des prodiges de fanté & de vie, les hommes eftoient fobres; & les livres faints, qui nous font l'histoire de la naiffance du monde, ne nous laiffent guere appercevoir que l'usage d'un feul repas, qui fuffifoit ordinairement pour foutenir la plus forte fanté pendant des fiecles entiers, qui mefuroient alors la vie des hommes. 2 M. Fleury, mœurs des Ifraélites, p. 89.

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