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tomme S. Jerôme, auroient à paffer les jours entiers à l'étude. Il répondit que le jeufne ne ferviroit qu'à conferver plus de liberté à leur efprit, Saint Thomas ne fut pas plus favorable aux gens de travail, il ne les difpenfe qu'aux mêmes conditions que fon maître Alexandre de Halés, avec cette autre restriction, que les pafteurs jugeront de la néceffité de ces ouvriers: Videtur tamen in talibus ad fuperioris difpenfationem recurrendum effe ".

Ce n'eft donc que dans les derniers temps qu'on a étendu les dispenses à toute forte d'ouvriers, aux notaires mêmes, aux écrivains, aux banquiers, c... aux avocats, procureurs, &c. aux profeffeurs, écoliers, &c. aux prédicateurs, confeffeurs, . De forte que la licence a pris la place du jeufne; car au lieu que celuy.cy eftoit autrefois de tous les eftats, la licence de les en exemter tous eft entrée dans toutes les profeffions. Les médecins ont eu le malheur de fournir des raifons à ces difpenfes, mais les cafuiftes les ont fait valoir, & leur autorité en matiere de religion a prévenu la plupart des efprits. Nous aurons pour les avis de ceux cy toute la déférenIce & la foumiflion que les pafteurs de l'Eglife ordonnent; mais nous oppoferons aux médecins de meilleures raifons que celles qu'ils ont employées pour perfuader les cafuiftes.

b

L'épuisement & la foibleffe font les principa les, parce qu'on a crû que les travaux de corps & d'efprit diffipoient beaucoup d'efprits, qu'ils devoient par conféquent coûter cher à la fanté, & que cela fuppofé, le jeune deviendroit mor

tel.

Mais qui ne fait qu'avec peu d'efprits on a beaucoup de force, & on fait beaucoup d'ou 22. 2. qu. 147. art. 4. b Paul. Zacch. 1. 3. tit. 1. qu. 4. na 8. &c.

vrages? Les plus rudes travaux s'exercent par les perfonnes le moins bien nourries. Du pain noir & de l'eau feule, fouvent mauvaise, suffifent aux payfans de certaines provinces, pour foutenir les plus affreufes fatigues; que craindre après cela pour des ouvriers de ville, qui en jeufnant prendroient un moindre volume de nourritures, mais plus fpiritueufes & plus fucculen

tes?

Mais d'ailleurs on ne craint point d'avancer que ce principe n'eft point exactement vray, que le travail diffipe beaucoup d'efprits; il les employe ou les met fouvent en œuvre, mais il en diflipe moins qu'on ne pense: en voicy la raison. On s'étonne qu'une auffi médiocre quantité de fang, que celle d'environ 20. livres, puiffe fuffire aux befoins du corps ; mais la quantité d'ef prits qui fert à fes mouvemens & à fes fonctions, eft infiniment plus petite. Le cœur en eft la preuve, car peu de vifceres ont autant de force que luy, aucun cependant ne reçoit fi peu de nerfs & d'efprits. C'est qu'ils agiffent moins par leur quantité & leur nombre, que par l'impreffion qu'ils font fur les fibres, & par le branle qu'ils leur donnent, & la détermination qu'ils ý apportent. C'eft ce grain & cet atome, momentum, qui fait pencher la balance. En effet tout eftant contrepefé & en équilibre dans nos corps, l'impreffion la plus legere peut y occafionner de grands mouvemens ou de fortes impreffions. Imaginez une horloge d'une jufteffe la plus exacte, qui fe dérange à l'excès, pour peu qu'on touche au pendule; & vous concevrez comment dans le corps, où toutes les fibres font exactement & juftement tendues, la moindre portion d'efprit qui vient de furcroît, peut augmenter leur force. C'eft donc moins de la quantité des efprits qu'on doit s'occuper par rapport aux forces du

corps, que de leur bonne conftitution, du temps, & de l'ordre de leurs mouvemens, & des déterminations qu'ils doivent faire. Or le jeufne n'ayant de rapport qu'à la quantité des efprits, & n'eftant capable d'apporter aucun dérangement dans leurs mouvemens, il doit faire moins craindre qu'on ne fe l'imagine pour les forces du corps.

Cette réfléxion fera fans replique, fi l'on fonge que les efprits, comme le fang, circulent dans les nerfs, & qu'ils s'échappent moins hors du corps dans fes mouvemens, qu'ils ne fe déplacent. Ils fe portent ailleurs au fortir des mufcles, & repaffent des nerfs dans le fang. Le travail pourra donc les rappeller plus fouvent dans les organes du mouvement,mais il en diffipera peu. Ainfi lors même qu'on prive le corps d'une portion de fa nourriture ordinaire, il n'en fera guere moins fort,s'il eft fain d'ailleurs, & fi l'abftinence eft modérée. On fait même que le travail rend les corps plus vigoureux, par la raison que le fuc nerveux, circulant plus fouvent, s'affine & se cohobe davantage; plus divifé même alors, il peut occuper plus d'étendue, puifqu'une liqueur occupe d'autant plus d'efpace, qu'elle eft plus parfaitement divifée, & qu'une vapeur acquert plus de fuperficie, què la liqueur dont elle fort. On comprend donc qu'un moindre volume de fuc nerveux devenu plus fin & mieux divifé, remplira auffi exactement les nerfs qu'une quantité plus grande, mais plus groffiérement divifée. Par cette raifon le jeufne affoiblit, moins qu'on ne penfe ; & c'eft pourquoy fans doute tant de gens foibles & languiffans, en commençant Carême, fe trouvent fains & vigoureux après Pâques, pour avoir jeufné & fait maigre.

Quelques-uns jugent encore néceffaire de dif- Voya • Tr. de la circulation des efprits. ↳ Celfus. ·Labor corpus firmat. geurs,

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Jeju

penfer les voyageurs du jeufne. Cependant faint Bafile trouvoit que le jeufne rendoit le voyage plus facile, viatoribus expeditus comes eft nium. Mais ce que rapporte faint Jerôme du célebre folitaire faint Hilarion', qui jeufna avec 40. de fes religieux pendant un long pélerinage qu'il fit, n'eft pas favorable aux voyageurs.

Le prétexte eft plus fpécieux en faveur des pauvres, il eft cependant fujet à erreur, car faint Bafile & faint Bernard les renferment dans l'obligation du jeufne.

La fa- On croit enfin que la difette publique, le fiege mine. d'une ville, & la famine font des raifons invinci

bles d'interrompre le jeufne. L'Eglife cependant ne prétend accorder en ces occafions que la liberté d'ufer de viande & de ce qui fe trouvera, fans difpenfer du jeufne. On en a l'exemple dans la permiffion que l'évêque de Paris donna en 1649. pendant le fiege de cette ville, car cette permiffion alloit à accorder la viande f, fans permettre d'interrompre le jeufne. De même encore l'empereur Juftinien fit ouvrir les boucheries " en Carême dans Conftantinople à cause de l'extrême difette qui y eftoit alors, mais il ne prétendoit point toucher au jeufne. La difette donc ellemême ne difpenfe pas abfolument du jeufne, elle ne difpenfe pas même de l'abstinence ceux qui ont bonne volonté de faire pénitence; car ces peuples préférerent les rigueurs de la faim à Pindulgence qu'on leur offrit, perfonne n'acheta de viande, perfonne n'en mangea. Tant il eft vray qu'on eft capable de tout ce qu'on aime, Condi. & de tout ce qu'on a bonne intention de faire. De toutes les conditions aufquelles on a crû

tions.

a Orat. 2. de jejun. b Dans la vie de S. Hilarion. Orat. 2. de jejun. d Serm. 3. de quadr. Paul. Zacch. 1.,5. qu. 8. tit. 1. f Launoy, differt. de cibor. delect. g En $46, b Pasmans. hef. v. Baillet, p. 128. Pafmanf. th. v,

que

que la difpenfe de jeufner eftoit dûe, il n'y en a certainement pas qui la méritent à plus jufte titre que celles des princes fouverains, parce qu'on doit tout craindre & tout prévoir pour la confervation de leurs fantez, d'où dépendent le bonheur & le falut des peuples, que la providence leur a foumis. Ils ne fe font pas pourtant toujours rendus à cette indulgence. Quelquesuns, comme Valentinien le jeune, fe crurent obligez au jeufne, même avant l'âge de zo. ans. L'empereur Juftinien craignit auffi peu pour fa fanté, & pouffa l'austérité du jeufne, jufqu'à faire dire b que fon abftinence outrée le fit malade. Mais le cardinal Baronius attribue à cet amour pour la pénitence, la bénédiction que le ciel donna à ses armées contre les Perfans, les Gots & les Vendales. L'exemple que les empereurs donnoient à leurs peuples ne fatisfaifoit pas leur zele, eux-mêmes les exhortoient 'tous les ans à l'obfervance du Carême, par un difcours qu'ils leur faifoient en plein fenat. Cette pratique du roit encore dans le dixiéme fiecle, fondée apparemment fur ce qui eft rapporté dans les livres faints, que les rois indiquoient les jeunes, & fe mettoient eux-mêmes à la tefte des peuples pour les obferver, comme on le vit dans la perfonne du roy de Ninive, lorfqu'il voulut appaifer la colere de Dieu.

Les rois en occident estoient aufli religieux & obfervateurs du jeufne, il s'en trouve plus d'un exemple depuis Clovis dans la premiere race de nos rois. Charlemagne & Louis le Débonnaire donnerent encore des exemples de l'attachement qu'on doit avoir pour cette partie de la pénitence. Les princes enfin fe foumettoient encore fi réguliérement au jeufne du Carême Thomaff. p. 121. b Id. p. 122. Baillet, p. 202. d Id. p. 203. • Ibid. Thomaff, p. 347.

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