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Leur goût n'eft point trop relevé, & par là ils fe trouvent analogues au fang & aux liqueurs de nos corps, qui font pour la plupart douces ou prefque infipides dans leur eftat naturel. Ils font aifez à broyer, ce qui les rend propres à la digeftion. Enfin ils peuvent aifément prendre les arrangemens néceffaires pour entretenir ou augmenter le volume des parties qu'ils doivent nourrir: car enfin tout estant vaisseau dans nos corps, ce ne peut eftre que des matieres qui ont une difpofition naturelle à former ou groflir des vaiffeaux, ou qui font, pour ainfi dire, dans cette habitude dont nos corps doivent fe nourrir. Or puifque les plantes & les fruits ne font auffi euxmêmes que des pelotons de vaiffeaux à travers lefquels fe font des circulations, des filtrations, des dépurations, on concevra qu'après eftre devenus par l'action de l'eftomac comme les ruines & les débris des vaisseaux dont ils eftoient compofez, ils fe trouveront tout difpofez quand ils viendront à fe rapprocher, à redevenir les maté→ riaux d'autres vaiffeaux. Il eft donc vray de dire que toutes ces nourritures font tres convenables, tres-nourriffantes, & tres-faines par elles-mêmes. Cecy ne fe trouve pas moins vray dans le détail. Car pour commencer par les légumes les plus vulgaires, il n'en eft point qui ne foient touta-la-fois tres fains & tres-nourriffans. Les féves, Févesa par exemple, décriées aujourd'huy jufqu'à n'eftre plus que le rebut du beau monde, & la pâture des miférables, furent autrefois en honneur “. Leur nom même fait encore preuve de leur ancienne nobleffe, & du cas qu'on en a fait dans l'antiquité la plus éloignée : & ce n'est peut-eftre qu'aux réveries fuperftitieufes des payens, ou aux équivoques mal entendues des naturaliftes a Plin. 1. 18. c. 12. b Faba quafi faga à vescendo, payeur enim comedere fignificat. Ifidor. 1, 17. Origin, c. 4.

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qu'il faut attribuer le mépris où elles font tom bées. Pithagore, celuy de tous les anciens philo fophes qui fut le plus fuperftitieux, crut entrevoir quelque chofe d'animé dans une féve. II s'imagina par je ne fay quelle reffemblance qu'elle pouvoit estre l'hofpice de quelque ame ; c'en fuc affez pour en interdire l'ufage à tous fes difciples. Les Egyptiens parmy lefquels il avoit vécu quelque temps, pourroient bien avoir donné occa fron à ces réveries. Ce peuple, l'un des plus fcrupuleux obfervateurs du culte payen, faifoit paffer les féves pour une nourriture immonde, jufqueslà que fes prêtres fe feroient fait confcience feulement de les regarder. Les Romains euxmêmes, ces ambitieux maiftres du monde, jaloux de tout, même des fuperftitions, s'eftoient perfuadé, à l'exemple des Egyptiens, qu'un prêtre de Jupiter n'auroit pû fans crime toucher une féve ou en proférer le nom, parce que ce légume, felon eux, portoit dans les fleurs des caracteres de deuil ou des traits de mort; & pour ces raifons ils faifoient fur tout fervir les féves aux cérémonies lugubres, & à chaffer les lutains. Mais ces imaginations creufes ne peuvent préjudicier aux bonnes qualitez de ce légume. Si cependant on veut, malgré tout cecy, faire paffer les féves pour flatueufes & pelantes fur P'eftomac, ce ne fera que pour ceux qui les mangeront trop affaifonnées : car on fait par expérience, que la difette ayant obligé des familles entieres à vivre de féves pauvrement apprétées, on n'en remarqua d'autre inconvénient, finon qu'on ne vit perfonne de meilleur tein & d'une meilleure habitude que ceux qui s'en eftoient uniquement nourris. Ce fera même à tort qu'on les accufera de nourrir trop peu, puifque du temps a Plin. 1. 18. c, 12. b Herodot. 1. 11. © Mund, de frugibus,

des Romains, les féves eftoient la nourriture des artifans même qui fatiguoient le plus :

Et faba fabrorum prototomique rudes ".

Mais d'ailleurs d'où viendroient aux féves ces mauvaises qualitez, de faire des vents & d'eftre péfantes fur l'eftomac ? Dira-t-on que les féves engendrent des fucs groffiers? Mais pourquoy voit-on moins de ces maladies, qu'on attribue aux vents, parmy les payfans & les pauvres, eux qui de tous les hommes vivent le plus groffierement pourquoy font-ils moins fujets aux rots, par exemple, & aux coliques, tandis que ceux qui font la meilleure chere en font fi fouvent tourmentez? D'où vient enfin que l'on croit que les vents qui foufflent fur la terre viennent d'une matiere chaude, ou qui s'agite, se fermente & s'échauffe eftant retenue ; & qu'on attribue ceux qui fatiguent les malades, à des matieres groffieres, craffes & vifqueufes ? Etrange idée qu'on fe fait de l'oeconomie du corps hu main Peut-on dans une machine où tout fe paffe avec tant de fineffe, de dignité & d'induftrie, avoir recours à un tas de craffe & de vifcofitez? Il est vray qu'on a foin de mettre la bile de la partie, & qu'on luy fait fermenter ces matieres craffes & vifqueufes. L'idée devient par là un peu plus fupportable. Mais pourquoy donc ne citer que la matiere craffe & les alimens groffiers? Ne feroit-il pas plus raifonnable de s'en prendre à ce qui tient lieu de cause efficiente, qu'à ce qui n'agit, comme on dit, que paffivement. Il faut donc dire que c'eft la bile qui fait les vents, & ainfi ce fera tout ce qui paffera aifément en bile qui deviendra flatueux; & par conféquent ce qui fera groffier, terreftre & peu capable de fermenter par foy-même, fera moins fujet aux flatuofitez. Ainfi l'on comprendra que Martial, 1. X. epig. XLVIII,

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les bonnes tables doivent fournir plus de matica res fujettes à caufer des vents, que celles des pauvres, parce que celles-là font chargées de toutes chofes chaudes, & qui fe fermentent aisément. De tout cecy il faut conclure que ce qu'on appelle vent, n'eft le plus fouvent que le produit d'une fermentation vitieufe & étrangere: auffi arrivet-il que tout ce qui fe fermente le plus, cause plus de borborigmes & de flatuofitez, tels font les laitages, les fruits rouges, le melon, les prunes, &c. fur tout dans des corps bilieux & échauf fez, en qui tout s'allume, où fe fermente promtement. De ce principe on conclura que rien n'eft moins flatueux que les féves: car quoy de moins propre à fermenter & à faire des vents, que ce qui paffe aifément & qui fe digere le mieux? Or les féves eftant telles felon le témoignage des Sages de l'antiquité, eftant d'ailleurs farineufes jufqu'au point qu'on s'en eft fouvent fervi à faire du pain, elles doivent eftre de leur nature aifées à broyer, & foumises par cette raifon à la force & à l'action de l'eftomac; peu fujettes par conféquent à féjourner, à fermenter & à caufer des vents. On les accuse encore de troubler dans les uns l'imagination par des réves fâcheux qu'on leur attribue, & dans les autres de déranger l'efprit par des accès de folie : mais comment accorder les fucs grofliers qu'on leur fait produire avec ces prétendus troubles, dont on n'accufe ordinairement & avec plus d'apparence que les chofes qui eftant plus vives & plus tumultueufes, fe trouvent plus difpofées à fe porter à la tefte? Mais comme les fiboules & les oignons font dans cette réputation, ce fera plûtoit à ces fortes d'affaifonnemens qu'il faudra s'en prendre, qu'aux féves mêmes, qui ayant peu de volatile, ayant au contraire quelque chofe de2 Hipp. Galien

fixe, paroîtroient plus propres à calmer l'imagination qu'à la troubler.

Les accès de folie qu'on leur impute font fon dez fur une équivoque. Comme les féves fleuriffent dans un temps où le foleil reprenant de nouvelles forces devient capable d'allumer le fang, on accufe les féves de produire ce qui vient de l'ardeur de la faifon, qui enflâme la bile & trouble les efprits en ceux qu'une conformation vitieufe, ou qu'un tempérament malheureux rend fufceptibles de ce defordre.

Mais quand bien même il feroit vray des féves en général, qu'elles auroient quelque chofe de malfaifant, celles dont on use en Carême mériteroient exception: car outre qu'elles font de meilleure condition que celles de marêts, elles font féches, ce qui les exemte des reproches qu'on fait ordinairement aux féves; car tous conviennent que la plupart de ces reproches doivent fur tout eftre imputez aux féves récentes ou vertes.

C'est donc à tort qu'on fe fouleve fi fort contre les féveroles ou les haricots, puifqu'ils lâchent mieux le ventre que les pois mêmes, qu'ils font moins flatueux, & qu'ils fourniffent un fuc louable. Ces qualitez qui leur font attribuées par le prince de la médecine, prouvent l'innocence de ce légume, & le cas qu'en ont fait les anciens. Si donc de bons auteurs en ont mal parlé, ce n'eft que parce qu'ils ne convenoient pas de la forte de légume qu'on nomme proprement haricots, mais qu'ils les confondoient avec d'autres qui eftoient en effet malfaifans. Pour ce qui eft des haricots proprement dits, on leur a reproché feulement d'eftre groffiers ' & de difficile digeftion. Mais outre qu'Hippocrate leur attribue des vertus contraires, Diocles les loue Hippoc. 1. 2. de vic. rat. p. 325. b Simeon Sethi Diofcor. cL. 2 de vict. rat. p. 32 j»

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