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En 1665. ce nombre eftoit déja fort accrû, car il fe tuoit alors dans l'Hoftel-Dieu 200. bœufs,&c. En 1708. ce nombre ettoit augmenté plus que du double, car on y tuoit 5 oo. bœufs, & les veaux & les moutons à proportion.

Il paroît donc, oferoit-on le dire! que la piété de nos peres eft méconnoiffable parmy nous, puifqu'il y a entre la leur & la nôtre, la même différence qu'entre 6, & 500. &c.

Par ce calcul on voit qu'on mange aujourd'huy 83. fois plus de viande en Carême, que n'en mangeoient nos peres il y a 80. ans. Mais cette étrange différence devient fenfible, en examinant combien la quantité de perfonnes, qui rompent aujourd'huy le Carême, eft au deffus du nombre de ceux qui prenoient alors des dispenses. Ce n'eft pas qu'on prétende découvrir en cecy la vérité jufques dans fa jufte précifion; mais ce qu'on va avancer, fervira à faire entrevoir celle que nous cherchons.

L'on confomme au moins dans Paris pendant le cours de l'année qui eft de 46. semaines de charnage, à 5. jours par semaine, 46090. bœufs; ce font 200. boeufs par jour, qui font 8000. pour 40. jours, & l'on comte que cette quantité nourrit environ 600000. hommes. Or le nombre de boeufs qu'on confomme dans les 40 jours de Carême, montant à 500. on mangera aujourd'huy en Carême la feizième partie de la viande qu'on mange en charnage. En effet fi 8000, boeufs donnent 4000000, pefant de livres pour les 40. jours de charnage, 500. boeufs en donneront 250000. [qui font la feizième partie de 4000000.] pour les 40. jours de Carême. Et comme les 4000000. de livres de viande pour 40. jours donnent 100000. pour chaque jour;les 250000. pour 40. jours donneront 6250. livres par jour, qui font la feizième partie de 100000. Mais parce que 500. font la feiziéme partie de 8000. & 37000. la feizième partie de

B00000. 37000. perfonnes devront confommer ces 500. bœufs en Cai ême, par la même raison que 6ooooo. en confomment 8000. dans 40. jours de charnage. Reste à montrer par le calcul fuivant, de combien il s'en falloit que le nombre de ceux qui faifoient gras il y a 80. ans, fûr auffi grand.

Il ne leur falloit que 6. boeufs, & le refte à proportion, pour nourrir leurs malades pendant les 40. jours de Carême ; ce n'eftoit que la 1333 partie de 8000. qui fe confomment dans 40. jours de charnage. Or comme 450. font la 1333e partie de 600000. il s'enfuit qu'il n'y avoit alors que 450. perfonnes qui fuffent difpenfées de l'abftinence, & que le nombre de ceux qui font aujourd'huy gras en Carême, furpaffe celuy des malades qu'on difpenfoit il y a 80. ans, de 36550.

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Deux réfléxions pourroient faire douter de ce calcul; 1o, Paris eft aujourd'huy plus grand qu'il n'eftoit il y a 80. ans; 2°, il y a peuteftre aujourd'huy plus d'infirmes & de malades.

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Rép. Paris eft plus grand, c'eft-à-dire, il eft plus étendu, mieux bâti, & plus magnifique qu'il n'eftoit il y a 80. ans; mais les maifons font-elles plus remplies? Le peuple eft-il plus nombreux ? Et quand il feroit aujourd'huy plus nombreux, y avoit-il moins de 600000. perfonnes il y a 80. ans? Il n'y a point d'apparence, car quelquesuns donnent aujourd'huy à Paris jufqu'à 900000. hommes; or il n'y a pas lieu de croire qu'il foit augmenté de 300000. depuis 80. ans. Il y avoit donc alors au moins 600000. hommes. C'eft-pourquoy l'on a dit dès il y a longtemps de Paris, que c'eftoit moins une ville qu'un monde : Non urbs, fed orbis eft. En effet Charles-Quint eftant venu à Paris, dit en parlant de cette ville, qu'il avoit a On a omis exprès les fractions dans la plupart des calculs pour les rendre moins embaraffez. b Corneil. Diction. Geograf, Paris,

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vû un monde en France. Ce qui eft certain, c'eft qu'il y avoit il y a 80. ans, plus d'étrangers à Paris qu'apréfent; la retraitte des religionnaires. n'eftoit point encore arrivée. If eft donc vrayfemblable qu'il y avoit il y a 8o. ans à Paris, à peu près autant d'habitans qu'aujourd'huy.

On ajoûte que le nombre des malades eftoit alors moindre qu'aujourd'huy, & c'eft la feconde objection; mais fi la quantité des habitans eftoit la même,le monde ni les corps ne dépériffant point, comme on l'a fait voir, il n'y aura point eu moins de malades dans ces temps, que dans le nôtre.

Si donc ce nombre de 450. qui mangeoient de la viande, eft fi fort au deffous de celuy de 37000. c'eft à-dire de ceux qui ne gardent pas aujourd'huy l'abftinence, ce n'eftoit peuteftre, que parce que l'ancienne coûtume de ne difpenfer du Carême, qu'en cas de maladie grave, fubfiftoit encore en partie. Cette conjecture qui honore la nation Françoife, eft fondée, fur ce que les difpenfes fe font répandues en France plus tard & plus difficilement, que dans d'autres royaumes. On a remarqué, par exemple, que ce ne fut principalement que du temps de l'héréfie de Calvin, que l'on commença à eftre moins fcrupuleux, à demander des difpenfes. C'eft du moins de ce temps, que font venus les premiers réglemens, pour l'obfervance du Carême. On aura donc fait moins de difficulté, de comprendre dans les difpenfes les infirmes & les valetudinaires ; & ce fera ainfi que le nombre de ceux qui font gras en Carême, fe fera fi fort augmenté.

Mais quand même on étendroit l'indulgence jufqu'aux infirmes, le nombre de 37000. qui ne garderoient pas aujourd'huy l'abftinence, feroit une preuve manifefte de l'abus qu'on fait des dif penfes, puifque celuy des malades & des infirmes, a M. de la Mare, tr. de la police, p. 356,

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eft certainement dans Paris, au deffous de cette quantité.

Suppofons que l'Hoftel-Dieu de Paris contienne 1500. malades: ajoûtons-en encore 1000. qui feront répandus dans les autres hôpitaux : donnons à chaque médecin 20. malades ou infirmes: comtons enfin jufqu'à 300. médecins ou gens voyans des malades dans Paris, ce feront 6000. malades à eux tous: il ne fe trouvera cependant que 9. à 10000. malades ou infirmes dans Paris. Reite donc 27000. perfonnes dans Paris de plus que les malades ou infirmes, qui feront gras en Carême fans néceffité. On tire de tout ce raifonnement une conféquence qui le confond, & qui paroît prefque fans replique. La voicy. On a prétendu que Paris eftoit auffi grand il y a 80. ans qu'apréfent, qu'il n'a point dû y avoir moins de malades, &c. mais on vient cependant d'accorder qu'il peut y avoir aujourd'huy 9. à 10000. malades, quoiqu'on eût avancé qu'il n'y en avoit que 450. il y a 80. ans. Ainfi il y a dû y avoir alors moins de malades, par conféquent Paris aura efté moins grand,& l'abus des difpenfes eft moins confidérable.

Rép. Mais on a déja averti qu'on fe propose moins icy, la jufte précifion d'une vérité auffi impénétrable, que celle que l'on recherche, que des vray femblances ou des lueurs, pour ainfi dire, qui la laiffent entrevoir. 8000. boeufs eftant la feiziéme partie des 46000. que 600000. perfonnes confomment: de plus 500. boeufs faifant la feiziéme partie de 8000. on a compris qu'il falloit un feiziéme de 600000. pour confommer en Carême soo. boeufs, puifque les 600000. hommes en confomment 8000. dans 40. jours de charnage, ayant cherché enfuite la quotité de 6. dans 8000. on a trouvé que 6.en eftoit la 1333° partie, l'on a conclu qu'il falloit trouver la 1333 partie de 600000. perfonnes pour confommer 6. boeufs dans 40. jours.

Cette partie de 600000. s'eft trouvée 450. laquel le comparée à 37000. découvre d'abord une différence entre l'abstinence de nos peres & la nôtre, qui frappe & qui étonne. Mais enfin le faic eft conftant, qu'il ne fe tuoit que 6. bœufs & environ 60. veaux, ce qui ne produit que 6500. livres de viande pour les 40. jours de Carême, ce feroit à peine de quoy nourrir 450. perfonnes. Refte à conclure que ceux-là feuls qui eftoient vrayment malades, fe faifoient difpenfer ; & que les valétudinaires, qui font aujourd'huy le plus grand nombre, par rapport aux difpenfes, n'y eftoient pas compris. Ajoûtez qu'il n'y a pas 80. ans que les Anglois ne donnoient que des crêmes d'orge & de ris à leurs malades, apparemment parce que les bouillons à la viande eftoient moins communs qu'aujourd'huy en Europe;après quoy on fera moins furpris du petit nombre de malades qui faifoient gras à Paris en Carême il y a 8o. ans.

On fe retranche à dire qu'il n'y a pas 600000. hommes qui mangent de la viande à Paris, & que c'est à tort qu'on en conclut qu'il y en aura 37000. qui rompent le Carême.

Mais fuppofé que la feizième partie du nombre qui mange de la viande en charnage ne monte pas à 37000 ileft toujours vray que 500. faifant la feizième partie de 8000. il faudra toujours la feizième partie du nombre de ceux qui mangent les 8000. boeufs, pour confommer les 500. Ce nombre eft le même qui confomme 46000. bœufs pendant toute l'année; il eft donc toujours vray que la feizième partie du peuple de Paris ne garde pas aujourd'huy l'abftinence, tandis qu'il n'y avoit autre fois que la 1333° partie de ce peuple qui fift gras en Carême. La conféquence paroiftra vrayfemblable, fi l'on ajoûte à la groffe viande qui fe débite en Carême, celle qui fe vend en cachette: fi l'on fait encore réfléxion au nombre inimagina

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