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leurs penfées; ils les plaignent tout haut comme des hommes déja jugés ; ils gémiffent de leur perte; & comme s'ils étoient déja entrés dans les confeils du Seigneur, ou que fes miféricordes ne tuffent pas plus abondantes que nos malices, ils pleurent comme perdus, ceux que Dieu eft peut-être fur le point de fauver. C'elt déjà une témérité, de prévenir les juge mens fecrets de fa juftice; c'est un outrage fait à la puiffance de fa grace, de fouftraire ici-bas les cœurs les plus rebelles à fon empire; c'est vouloir borner les exemples éclatans de bonté dont il confole tous les jours fon Eglife dans la converfion des plus grands pécheurs; c'eft regarder comme inutile le fang de Jefus-Chrift qui coule encore pour eux dans les canaux des Sacremens; c'eft faire du tems de cette vie, qui eft le tems du repentir & de la miféricorde, c'est en faire le tems de la colère & des vengeances; c'eft méprifer les gémiffemens des Saints, & les fupplications de toute l'Eglife. qui prie encore pour eux.

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Lorfque Saul perfécutoit l'Eglife de Dieu, & qu'il faifoit fouffrir tant de maux aux Fidèles affemblés à Jérufalem on n'eût pas cru qu'il y eût de la témérité à le regarder comme un fléau de Dieu destiné à purifier fes Saints, & à être jetté enfuite dans un feu éternel pour y expier ses perfécutions & fes cruautés envers les difciples: cependant lorfqu'il a encore les armes

à la main contre Jefus-Chrift, un coup foudain & inattendu de fa grace, d'un perfécuteur en fait un Apôtre. Judas aut contraire appellé par Jefus-Chrift même à Papoftolat, le compagnon de fes courfes le défenfeur de fa doctrine, le témoin de fes prodiges, paroiffoit fans doute devoir être affis un jour fur un des douze trônes deftinés aux Collégues de fon apostolat pour y juger les douze tribus d'Ifrael: cependant il eft jugé lui-même avant ce grand jour : il devient un enfant de perdition, le premier apoftat du Chriftianifme, & meurt en réprouvé. Les enfans du Royaume peuvent être rejettés; & Dieu peut fufciter des pierres mêmes, des cœurs les plus durs & les plus infenfibles, des enfans à Abra ham. La converfion de Satan feul & de fes Anges, eft la feule qu'il eft défendu d'efpé rer: mais pour nos frères, qui vivent enco fe parmi nous, & pour lefquels Jefus-Chrift eft mort; quelque abondante que foit leur malice, le fang du véritable Abel peut encore crier pour eux vers le Ciel, & deman-der non leur punition, mais leur falut & leur délivrance.

Et certes, vous qui jugez votre frère: avant que Dieu même l'ait jugé, que favez-vous, dit faint Paul, fi vous qui paroiffez fi ferme dans la voie de Dicu, ne tomberez pas pour ne vous plus relever; & fi votre frère que vous croyez tombé fans: reffource, ne fe relevera pas pour ne plus

tomber? Qui vous a révélé les fecrets ado rables de la miféricorde & de la justice du Seigneur fur les hommes? La perfévérance du Juíte & la converfion du pécheur ne font-elles pas également les purs bienfaits de fa grace & les dons d'une bonté toute gratuite? Pourquoi donc croiriezvous être en droit d'efpérer le premier pour vous, & de défefpérer de l'autre pour votre frère? Gardez-vous, dit l'Apôtre, de juger avant le tems: il y a dans les tréfors de la miféricorde divine tant de reffources qui nous font inconnues, & dans les ter reurs de fa juftice tant d'abîmes qu'il nous eft défendu d'approfondir, que nous devons toujours opérer notre falut avec crainte, & attendre celui de nos frères avec confiance. Monique pleuroit Auguftin dif folu, & infecté des erreurs les plus monftrueufes mais Monique ne le pleuroit pas comme perdu; & fon efpérance pour le retour de cet enfant de fa douleur donnoit un nouveau crédit auprès de Dieu, à fes larmes & à fes prières. Samuel pleura Saül tout le refte de fa vie; & quoique le Sei gneur femblât avoir rejetté ce Prince infortuné, les larmes du faint Prophéte ne laifsèrent pas de folliciter toujours fa conver fion & fon falut auprès du Dieu de fes pères. Le plus haut point de l'iniquité eft fouvent le premier moment de la grace; & quand l'enfant prodigue paroît le plus éloigné fans efpoir de retour, & comme perdu

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dans des régions étrangères; c'est alors qu'il dit: Je retournerai vers mon père; qu'il revient en effet ; qu'on lui donne le baifer de paix & de réconciliation ; & qu'il felt rétabli dans tous fes droits. C'est ainfi que le véritable zèle de la charité ne défefpère jamais: Omnia Jperat. Mais fouvent on ne fe contente pas de regarder comme défefpéré le mal qui eft, & que l'on voit ; on croit encore voir le mal où il n'eft pas: autre défaut plus effentiel du zèle, contre le caractère dont nous parlons, de ne penfer point le mal: Non cogitat malum. Oui, mes Frères, de tous les reproches que le monde toujours calomniateur de la vertu fait aux gens de bien, ce n'eft pas ici le plus injufte: l'idée que nous avons de la dépra→ vation des hommes, fait que tout nous pa roît criminel en eux nous gémiffons de leurs défordres avant d'en être affurés, comme fi l'air de piété que nous mêlons à nos gémiffemens pouvoit juftifier la témérité de nos foupçons: c'est un titre odieux que nous attirons à la vertu, qui fait que le monde la qualifie de fatyrique & de maligne: : nous ne taifons point de grace aux actions des mondains ; & il femble que la piété nous autorife à violer à leur égard les régles de la charité; nous nous érigeons un tribunal févère au-dedans de nous, où un faux zèle fe croit en droit de juger le refte des hommes. Tout en eux réveille l'idée du vice aux yeux de notre fauffe vertu : des

manières trop libres avec un fexe différent, quoique fouvent un pur effet de la légéreté, nous les croyons des deffeins de crime; un entretien que le hazard feul aura ménagé, jette à l'inftant dans notre efprit le foupçon d'un rendez-vous honteux ; nous croyons voir dans une fimple indécence de parure, un cœur corrompu & livré à la paffion; un extérieur moins recueilli dans une perfonne confacrée à Dieu, eft pour nous un figne infaillible que l'efprit du monde a pris dans fon cœur la place de l'efprit de fon état : nous voyons une ambition criminelle & un defir profane des dignités faintes, dans des démarches où fouvent il n'y a que du zèle & de la charité : nous taxons en fecret d'orgueil, d'oftentation, d'envie de faire parler de foi, des entreprises d'éclat, où l'on ne fe propofe que la gloire de Dieu & l'utilité de l'Eglife: nous prêtons légérement aux actions les plus faintes des motifs tout humains. Loin de nous affermir dans cette charité qui excufe tout, nous nous livrons à ce faux zèle qui envenime tout; nous nous faifons un pieux mérite de voir plus clair que les autres dans les défauts de`nos frères. La charité couvre tout, & voit à peine le mal que tout le monde voit; & nous voulons voir tout feuls celui qui eft invisible au refte des hommes : la charité couvre ce qu'elle ne peut excufer; & nous n'excufons pas même ce que les apparences juftifient, & rendent du moins incertain.

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