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pendant il permet qu'on fe fauve dans des murailles de bois fur qui donc tombera fa colere? Sur des pierres ? Beau devin, tu ne fais point à qui feront ces enfants dont Salamine verra la perte? s'ils feront Grecs ou Perfes; il faut bien qu'ils foient de l'une ou de l'autre armée ; mais ne fais-tu point du moins qu'on verra que tu ne le fais point? Tu caches le temps de la bataille fous ces belles expreffions poétiques, foit quand Cérès fera difperfee, foit quand elle fera ramafee; tu veux nous éblouit par ce langage pompeux, mais ne fait-on pas bien qu'il faut qu'une bataille navale fe donne au temps des femailles ou de la moiffon? Apparemment ce ne ra pas en hiver. Quoiqu'il arrive, tu te tireras d'affaire par le moyen de ce Jupiter que Minerve tâche d'appaifer. Si les Grecs perdent la bataille, Jupiter a été inexorable, s'ils la gagnent, Jupiter s'eft enfin laiffe fléchir. Tu dis, Apollon, qu'on fuie dans des murs de bois, tu confeilles, tu ne devines pas. Moi qui ne fais point deviner, j'en euffe bien dit autant ; j'euf fe bien jugé que l'effet de la guerre feroit tombé fur Athenes, & que puifque les Athéniens avoient des vaiffeaux le meilleur pour eux étoit d'abandonner leur ville, & de fe mettre tous fur la mer.

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Telle étoit la vénération que de grandes fectes de philofophes avoient pour les oracles, & pour les dieux mêmes qu'on en croyoit auteurs. Il est affez plaifant que toute la religion payenne ne füt qu'un problême de philofophie. Les dieux pren. nent-ils foin des affaires des hommes ? N'en prennent-ils pas foin? Cela eft effentiel : il s'agit de lavoir fi on les adorera, ou fi on les laiffera là fans aucun culte : tous les peuples ont déjà pris le parti d'adorer; on ne voit de tous côtés que temples, que facrifices; cependant une grande fecte de philofophes foutient publiquement que ces facrifices, ces temples, ces adorations font autant de chofes inutiles, & que les dieux, loin de s'y plaire, n'en ont aucune connoidance. Il n'y a point de Grec qui n'aille confulter les oracles fur

fes affaires; mais cela n'empêche pas que dans trois grandes écoles de philofophie on ne traite hautement les oracles d'impoftures.

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Qu'il me foit permis de poufler un peu plus loin cette réflexion, elle pourra fervir à faire entendre ce que c'étoit que la religion chez les payens. Les Grecs en général avoient extrêmement de l'efprit, mais ils étoient fort légers, curieux, inquiets, incapables de fe modérer fur rien; & pour dire tout ce que j'en penfe, ils avoient tant d'efprit, que leur raifon en fouffroit un peu. Les Romains étoient d'un autre caractere; gens folides, sérieux, appliqués, qui favoient fuivre un principe, & prévoir de loin une conféquence. Je ne ferois pas furpris que les Grecs, fans fonger aux fuites, euffent traité étourdiment le pour & le contre de toutes chofes, qu'ils euffent fait des facrifices, en difputant fi les facrifices pouvoient toucher les dieux & qu'ils euffent confulté les oracles, fans être affurés que les oracles ne fuffent pas de pures illufions. Apparemment les philofophes s'intéreffoient affez peu au gouvernement pour ne fe pas foucier de choquer la religion dans leurs difputes, & peutêtre le peuple n'avoit pas affez de foi aux philofophes pour abandonner la religion, ni pour y rien changer fur leur parole; & enfin la paffion dominante des Grecs étoit de difcourir fur toutes les matieres à quelque prix que ce pût être. Mais il eft fans doute plus étonnant que les Romains, & les plus habiles d'entre les Romains, & ceux qui favoient le mieux combien la religion tiroit à conféquence pour la politique, aient ofé publier des ouvrages, où non-feulement ils mettoient leur religion en queftion, mais même la tournoient entiérement en ridicule. Je parle de Ciceron, qui dans fes livres de la divination n'a rien épargné de ce qui étoit le plus faint à Rome. Après qu'il a fait voir affez vivement à ceux contre qui il difpute, quelle extrême folie c'étoit de conful

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ter des entrailles d'animaux, il les réduit à répondre que les dieux, qui font tout-puiflants, changent les entrailles dans le moment du facrifice afin de marquer par elles leur volonté & l'avenir. Cette réponfe étoit de Chrifippe, d'Antipater, & de Poffidonius, tous grands philofophes, & chefs du parti des Stoïciens. Ah! que dites vous ? reprend Ciceron, il n'y a point de vieilles fi crédules que vous. Croyez-vous que le même veau ait le foie bien difpofe, s'il eft choifi pour le facrifice par une certaine perfonne; & mal difpofe, s'il est choisi par une autre? Cette difpofition de foie peut-elle changer en un inftant, pour s'accommoder à la fortune de ceux qui facrifient? Ne voyez-vous pas que c'est le hazard qui fait les choix des victimes? l'expérience même ne vous l'apprend-elle pas? Car fouvent les entrailles d'une victime font tout-à-fait funeftes, & celles de la victime qu'on immole immédiatement après, font les plus heureufes du monde. Que deviennent les menaces de ces premieres entrailles? Ou comment les dieux fe font-ils appaifes fi promptement? Mais vous dites qu'un jour il ne fe trouva point de cœur à un bœuf que Céfar facrifioit, & comme cet animal ne pouvoit pas pourtant vivre fans en avoir un il faut néceffairement qu'il fe foit retiré dans le moment du facrifice. Eft-il poffible que vous ayez affez d'efprit pour voir qu'un bauf n'a pu vivre fans cœur, & que Vous n'en ayez pas affez pour voir que ce cœur n'a pu en un moment s'envoler je ne fais où ? Et un peu après il ajoute croyez-moi, vous ruinez toute la phyfique pour défendre l'art des Arufpices. Car ce ne fera pas le cours ordinaire de la nature qui fera naître & mourir toutes chofes,& il y aura quelques corps qui viendront de rien, & retourneront dans le néant. Quel phyficien a jamais foutenu cette opinion? Il faut pourtant que les Arufpices la foutiennent.

que

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Je ne donne ce paffage de Ciceron que comme un exemple de l'extrême liberté avec laquelle il infultoit à la religion qu'il fuivoit lui-même; en mil

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le autres endroits il ne fait pas plus de grace aux poulets facrés, au vol des oifeaux, & à tous les miracles dont les annales des Pontifes étoient remplies.

Pourquoi ne lui faifoit-on pas fon procès fur fon impiété Pourquoi tout le peuple ne le regardoitil pas avec horreur ? Pourquoi tous les colleges des prêtres ne s'élevoient-ils pas contre lui ? il y a lieu de croire que chez les payens la religion n'étoit qu'une pratique, dont la fpéculation étoit indifférente. Faites comme les autres, & croyez ce qu'il vous plaira. Ce principe eft fort extravagant ; mais le peuple qui n'en reconnoiffoit pas l'impertinence, s'en contentoit, & les gens d'efprit s'y foumertoient aisément, parce qu'il ne les gênoit guere.

Auffi voit-on que toute la religion payenne ne demandoit que des cérémonies, & nuls fentiments du cœur. Les dieux font irrités, tous leurs foudres fonts prêts à tomber ; comment les appaifera-t-on ? Faut-il fe repentir des crimes qu'on a commis ? Faut-il rentrer dans les voies de la juftice naturelle, qui devroit être entre tous les hommes ? Point du tout, il faut feulement prendre un veau de telle couleur, né en tel temps, l'égorger avec un tel couteau, & cela défarmera tous les dieux; encore vous eft-il permis de vous moquer en vous-même du facrifice, fi vous voulez, il n'en ira pas plus

mal.

Apparemment il en étoit de même des oracles; y croyoit qui vouloit, mais on ne laifloit pas de les confulter. La coutume a fur les hommes une force qui n'a nullement befoin d'être appuyée de la raifon.

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CHAPITRE VI I I.

Que d'autres que des philofophes ont auffi affez souvent fait peu de cas des Oracles.

Es hiftoires font pleines d'oracles, ou méprifés par ceux qui les recevoient, ou modifiés à leur fantaisie. (1) Pactias, Lidien, & fujet des Perfes, s'étant refugié à Cumes, ville Grecque, les Perfes ne manquerent pas d'envoyer demander qu'on le leur livrất. Les Cuméens firent auffi-tôt confulter l'oracle des Branchides, pour favoir comment ils en devoient ufer. L'oracle répondit qu'ils livraffent Pactias. Ariftodicus, un des premiers de Cumes, qui n'étoit pas de cet avis, obtint par fon crédit qu'on envoyât une feconde fois vers l'oracle, & même il fe fit mettre du nombre des députés. L'oracle ne lui fit que la réponse qu'il avoit déjà faite. Ariftodicus peu fatisfait, s'avifa en fe promenant autour du temple, d'en faire fortir de petits oifeaux qui y faifoient leurs nids. Auffi-tôt il fortit du fanctuaire une voix qui lui crioit détef table mortel, qui te donne la hardieffe de chaffer d'ici ceux qui font fous ma protection? Et quoi, grand dieu! répondit bien vite Ariftodicus, vous nous ordonnez bien de chaffer Pactias qui eft fous la nôtre? Oui, je vous l'ordonne, reprit le Dieu, afin que vous qui êtes des impies, vous périffiez plutôt, & que vous ne veniez plus importuner les oracles fur vos affaires.

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Il paroit bien que le dieu étoit poufié à bout, puifqu'il avoit recours aux injures; il paroît bien auffi qu'Ariftodicus ne croyoit pas trop que ce fût un dieu qui rendit ces oracles, puifqu'il cherchoit à l'attraper par la comparaifon des oifeaux; & après qu'il l'eut attrapé en effet, apparemment il le crut

(1) Hérodote, 1. 1.

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