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d'œuvre militaire. Les François, à la vérité, étoient en plus grand nombre que les ennemis, mais ils n'avoient Langei, 1. 5. presque point de cavalerie, les ennemis en avoient beaucoup, et la cavalerie faisoit alors la principale force des armées. Ce défaut de cavalerie étoit d'ailleurs un grand obstacle à un passage qui devoit se faire en nageant. Les ennemis avoient Médequin à leur tête, Médequin dont le nom avoit acquis le droit d'intimider. Les François arrivent sur les bords de la Doire, rivière peu large, mais profonde et rapide. Fatigués de leur marche, ils avoient besoin de repos. L'amiral ne prétendoit ni qu'ils traversassent le fleuve ce jour-là, ni qu'ils le traversassent à la nage; il se préparoit à jeter un pont. A l'aspect de l'ennemi, le courage du soldat s'enflamme; impatient, il demande, il crie, non qu'on le mène, mais qu'on lui permette d'aller. L'amiral irrite cette impétuosité en la combattant, mais il la combat, il veut qu'on attende au lendemain, il veut que le pont soit jeté. Les cris des soldats redoublent, il sembloit qu'ils sentissent le moment de la victoire; le général, regardant enfin leur importunité comme un de ces avis du ciel qu'il est dangereux de négliger, leur dit: allez donc, et que cette ardeur ne se démente point. A ce mót, ils s'élancent tous dans la rivière, François, lansquenets, les troupes bien séparées, et ce qui est surtout admirable, les rangs aussi bien observés, dit Guillaume Du Bellay, que s'ils se fussent trouvés dans le plus beau chemin. Un légionnaire François aperçoit du côté des ennemis un bateau qui pouvoit servir au passage de l'amiral; il se sépare de sa troupe, il nage seul vers ce bateau, le détache et l'amène à son général, action plus glorieuse, bien plus utile et infiniment plus

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périlleuse que celle qui a immortalisé Clélie; car quoique les historiens nous représentent Clélie et ses compagnes passant le Tibre à la nage, à travers une grêle de traits, outre que c'étoit pendant la nuit, il est à présumer que les Etrusques ménageoient des femmes qui ne leur faisoient d'autre tort que de s'enfuir, au lieu que tous les coups des ennemis se portoient vers ce soldat téméraire, qui, en plein jour, se détachoit de sa troupe, et marchoit à eux pour leur nuire. Ce fut par une espèce de miracle qu'il revint à l'autre bord sans la moindre blessure, malgré les décharges continuelles d'arquebuserie que les ennemis faisoient sur lui. Le général, pénétré d'admiration et de joie, donne, en présence de toute l'armée, un anneau d'or à ce brave soldat, dont l'histoire n'a pas conservé le nom, et a peu célébré l'action: nouvel exemple du hasard des réputations. Les ennemis, étonnés de ce qu'ils avoient vu faire aux François, se retirèrent avec précipitation, et Langei, 1.5. même avec quelque désordre; le défaut de cavalerie empêcha de les poursuivre assez vivement pour en profiter, et ils gagnèrent Verceil sans grande perte.

Alors s'avança pour les défendre un général plus redoutable encore que Médequin, Antoine De Lève. Le personnage équivoque qu'Antoine De Lève joua dans cette guerre répondoit très-bien à l'état équivoque des affaires entre l'Empereur et le Roi. Comme il n'y avoit point entre eux de rupture formelle, comme le constant Velly suivoit toujours la négociation, quoique François n'en fut plus la dupe, François ménageoit l'Empereur qui faisoit semblant de le ménager. Le Roi, en recommandant à l'amiral de pousser ses succès avec vigueur, et de livrer bataille, s'il le falloit, lui avoit

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enjoint expressément de respecter les terres impériales. L'Empereur n'avoit pas tout-à-fait les mêmes égards, il faisoit assez directement la guerre aux François; cette armée qui avoit fui devant eux des environs de Suze jusqu'à Verceil étoit à lui. Il est vrai qu'elle étoit commandée par un aventurier accoutumé à se louer à tout le monde ; il est vrai encore que, comme tous ceux qui avoient de l'argent, et même quelquefois ceux qui n'en avoient pas, étoient en possession de faire des levées en Italie, cette armée pouvoit passer pour être au duc de Savoye, si on vouloit, et qu'un désaveu n'eût rien coûté à l'Empereur, si on eût daigné le demander. Mais comment désavouer Antoine De Lève, le plus ancien et le plus illustre de ses généraux? Voici le prétexte qu'il prit.

On a dit plus haut qu'en 1534 (1) les intrigues et surtout la puissance de Charles-Quint avoient entraîné les princes et les états d'Italie dans une ligue pour la défense du Milanès, s'il étoit attaqué par les François. Chaque puissance devoit fournir un contingent proportionné à ses forces; Antoine De Lève avoit été nommé général de la ligue, et résidoit en cette qualité dans le Milanès, où il bornoit et gênoit l'autorité de Sforce. Depuis la mort de Sforce, il étoit resté dans le Milanès supposant que la ligue subsistoit et avoit toujours le même objet. Si l'armée qu'il commandoit, et qui étoit forte alors de six cents chevaux et de douze mille hommes d'infanterie, étoit toute entière à l'Empereur, c'étoit parce que l'Empereur avoit été le plus prompt et le seul fidèle à fournir son contingent: mais Antoine De Lève ne prétendoit point (1) Voir le chap. 5 du liv. 3.

être général de l'Empereur: il étoit capitaine général de la ligue; 'il n'avoit, disoit-il, d'autre objet que la défense du Milanès, ce n'étoit point pour le duc de Savoye qu'il agissoit, et il affectoit de ne se pas joindre à lui, il ne se mettoit en mouvement que parce que les François, en s'approchant de la Sessia, menaçoient le Novarèse et la Lomeline. Cependant il inquiétoit extrêmement l'amiral qui n'osoit poursuivre le duc de Savoye, de peur que le capitaine de la ligue ne redevînt le général de l'Empereur, et que les François ne fussent accusés d'avoir fait éclater la rupture. Si le duc de Savoye, qui n'avoit qu'à sortir de Verceil pour être sur les terres du Milanès, faisoit ce pas, faudroitil le laisser échapper? faudroit-il le poursuivre? Dans cette incertitude Brion eût bien voulu voir De Lève se

déclarer, et il fit ce qu'il put pour l'y engager. Il avoit fait faire quelques levées de troupes en Italie; ces troupes, pour se rendre à son camp, devoient passer devant l'armée impériale, Brion demanda pour elles un sauf- conduit à De Lève, qui répondit: Ah! très-volontiers, si elles marchent au nom de la ligue dont je suis capitaine. L'amiral, mécontent de cette réponse, demanda nettement au général Espagnol s'il falloit le regarder comme ami ou comme ennemi. De Lève répondit par des politesses équivoques qui ne décidoient rien, et qui redoubloient l'embarras de l'amiral. Cette perplexité le retint dans l'inaction. La jalousie, qui trouble tout, avoit d'ailleurs divisé son armée, il s'étoit élevé une querelle très-vive entre les légionnaires François et les lansquenets, commandés

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par le comte de Furstemberg (1). On en étoit venu aux mains, et il y avoit déja beaucoup de sang répandu, lorsque le comte de Furstemberg, arrêtant ces furieux par sa présence, fit retirer ses Allemands frémissant de courroux, respirant la vengeance, désarmés par le seul respect. Ils avoient été maltraités dans le combat qu'on les avoit obligés de quitter, et ils se proposoient bien de prendre leur revanche; mais la vigilance du comte de Furstemberg, et la rigoureuse discipline qu'il fit observer leur en dérobèrent les occasions; ils reprirent l'habitude de l'obéissance, et l'ordre se rétablit insensiblement,

Mém. de Langei, I. 5.

CHAPITRE III.

Suite des négociations entre l'Empereur et François I.
Scène scandaleuse donnée à Rome par l'Empereur.

Les négociations pour l'investiture n'avoient point

cessé à Naples pendant toutes ces hostilités, mais l'Empereur se plaignoit de ce qu'on accabloit son allié, tandis qu'il se disposoit à faire à la maison de France un présent tel que celui du Milanès; s'il avoit pu prévoir une telle conduite, il ne se seroit pas rendu si facile. « Je veux bien, ajoutoit-il, ne rien changer,

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quoique j'y sois trop autorisé sans doute, j'espère <«< qu'une même paix terminera les affaires de Savoye << et celle du Milanès; mais qu'avant tout le Piémont « soit évacué par les troupes Françoises; et comme il

(1) Ce comte de Furstemberg, qui avoit d'abord servi l'Empereur, étoit alors attaché au service du Roi.

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