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Marchand, fous le nom de Dranifé, ne luy en avoit donné. Ils plaiderent leur caufe eux-mêmes devant le Bailli de Poiffi. Monfeur le Maître foûtint fon droit avec cette éloquence qui luy, avoit attiré l'admiration de toute l'Europe, toutes les fois qu'il avoit. prononcé ces merveilleux plaidoyers que Monfieur Ifalis a fait imprimer. Il cita les Loix, & la Coûtume, & les Ordonnances de nos Rois. Sa Partie adverfe Pinterrom pit deux ou trois fois, à tort & à travers, fans fçavoir ce qu'il difoit. Le Juge s'écria : Tais-toy, gros Lourdant ; laiffe parler ce Marchand:S'il falloit vuider le differend à coups de poing, je crois bien que tu en battrois une vingtaine comme luy ; mais il s'agit ici de raifon, & de justice; & il aura tes Moutons malgré toy: il te les a bien payez. Puis fe tournant du côté du prétendu Antoine Dranfle, il prononça une Sentence en fa faveur, & luy dit:fe vois bien, Marchand, que vous n'avez pas toûjours fait le métier de Marchand. Il fant que vous ayez été autrefois Avocat, & fils de Maître. Vous avez la langue trop bien penduë: vous dites d'or: vous Savez le Droit & la Coutume. Je vous confeille de quitter le negoce, & d'aller au PaLais vous faire recevoir Avocat plaïdant : Vous y acquerrez autant de gloire que le celebre Monfieur le Maître. Enfuite il luy

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ajoûta & luy appliqua ce Vers de Virgile;

13:

Larga quidem femper, Drancè, tibi copia fandi, En libe Proinde tona eloquio: folitum Tibi.

Sieur Dranßé vous avez l'éloquence en

partage:

Profitez de vêtre avantage,

Et comme Demofthene, ou comme Pericles,

Allez, briller dans le Palais.

Vous n'êtes pas novice à plaider, & peut

être

Serez-vous un fecond le Maître,
L'Avocat des Moutons deviendra dans
Paris,

Ce qu'y fut Chaffanée Avocat des Souris,
Qui pour avoir des Rats défendu l'innocence
Fut Premier Président du Senat de Pro-

vence.

L'Hiftoire faceticufe & comique de Chaffanée, fameux Avocat, qui plaida une caufe folemnelle pour les Rats, & qui les fit affigner par un Huiffier, à comparoître un certain jour pardevers l'Evêque d'Autun, & empêcha par ce moyen leur Excome munication, eft rapportée par Challanée même ; & par Monfieur de Thou, Hift. Lib. s. ad an. isso. page 462.

§. X V.

Ay connu un autre Bailli de village, qui n'étoit pas, à beaucoup prés, fi fpirituel que celui de Poiffi dont je viens de parler. Il s'appelloit Ayton. C'étoit un tres-bon homme à la verité, mais un gros cheval de carroffe, qui n'avoit pas le fens commun, & ne fçavoit pas les premiers élemens de la Procedure Civile & Griminelle. Il fit quelques pas de Clerc dans l'adminiftration de fa Charge, pour lefquels on le prit à partic, & on le traduifit au Parlement, où il fut deftitué, ou tout au moins interdit pendant un certain temps, de fa Charge, & condamné à des dépens, dommages & interefts, qui paffoient le quart de fon bien, & pardeffus toutes ces mortifications, il recent encore celle d'avoir la tête bien lavée par Monfieur le Premier Préfident, qui le traita mille fois d'afne & de cheval de carroffe, auffi-bien que ceux qui luy avoient donné des Lettres de Gradué & de Licentié és Droits. Je le trouvai au fortir du Palais fondant en larmes, & pleurant comme une femme défolée. Je ne pus m'empêcher de rire de fes lamenta tions, & de dire des pleurs du Bailli Ayton, ce que Virgile dit du cheval Aethon, qui étoit le cheval de Bataille du jeune Prince Pallas fils du Roy Evandre, à qui on ôta

la houffe & le harnois ordinaire, pour le
revêtir de crêpe, & de velours noir, quand
il porta le corps de fon Maître en terre,
Poft bellator equus, pofitis infignibus, Aethon
It lachrymans,guttifque humectat grandibus ora. ".
Ainfi pleuroit Aethon, ce cheval de carosse,
Quand on arracha fon harnois,

Et qu'il porta le corps de Pallas dans la
false,

Ses pleurs étoient gros comme pois.

JE

§. XVI.

E fuis étonné de voir que le goût de l'éloquence change comme les modes des habits, non-feulement felon les differens climats, & par la fucceffion des temps, mais auffi dans un même Païs, & dans un même Siecle. Nous avons déja dit ci-deffus, que toute la France fut charmée de l'éloquence des Plaidoyers de Monfieur le Maître. Ces beaux paffages des Peres & des Conciles, & ces traits brillans & choifis qu'il tiroit des anciens Auteurs Grecs & Latinss facrez & profanes, avoient dans fa Bouche, lorfqu'il plaidoit, des graces infinies, qui luy attiroient pour auditeurs tout ce qu'il y avoit de plus beaux Efprits dans Paris; cependant, fi un Avocat venoit à plaider aujourd'hui comme faifoit Mon

En. lib.

fieur le Maître, on luy impoferoit bientôt filence : & le grand Homme qui préfide avec tant de dignité au Parlement, & entre les mains de qui Themis a remis fà Balance fans mettre fon bandeau fur fes yeux, qu'il a tres éclairez, ne manqueroit pas de dire à un tel Allegateur de Peres & de Conciles, ce que je luy ay oui dire en pleine Audience à Monfieur Vaillant, ce celebre Avocat en matiere Beneficiale. Il s'avifa de citer dans un Plaidoyer l'autorité des Peres du Concile de Calcedoine. Hé, laiffez en repos luy dit Monfieur le Premier Préfident, les Peres du Concile de Calcedoine, Vaillant ; ce n'eft pas par là que vôtre cause sera décidée.

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Le Pere le Boults de l'Oratoire, Evêque de Perigueux, charma pendant quelque temps la Cour & la Ville par fes Prédica-. tions. On avoit crû qu'il ne fe pouvoit rien ajoûter à fon éloquence. Mais dés que le Pere Bourdaloue Jefuite cut paru, & qu'il eut mis la France dans un autre goût de Rhetorique Chrétienne, on ne put fouffrir Monheur de Perigueux. Il fut obligé d'aller chercher des Admirateurs dans cette derniere Ville, n'en trouvant plus dans Paris, ni à la Cour. Dés que l'Enéide de Virgile eut paru, Propercé qui étoit un excellent Poëte, & un tres bon juge en matiere de Poific & d'éloquence, dit que cet

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