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VIRGILE

ET SUR HOMERE,

ET SUR LE STYLE POETIQUE

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R

§. I.

IEN n'a fait plus d'honneur au Siecle d'Augufte, & au regne de ce grand Prince, que les grands Poëtes, qui parurent de fon temps. Virgile, Horace, Ovide, Tibulle, Catulle & Properce, excellerent chacun dans leur genre ; & s'ils n'effa cerent pas les Grecs, qu'ils fe propoferent

A

pour leur modele, on ne peut au moins douter qu'ils ne les ayent égalez. Toutes les beautez, que l'Antiquité à fi fort admirées dans l'Iliade d'Homere, fe trouvent dans l'Eneide de Virgile, & il en a ajoûté une infinité d'autres qu'on ne trouve pas dans Homere. Ses Bucoliques & fes Egloques font certainement beaucoup audeffus des Idylles de Theocrite, & fes Georgiques audeffus de celles d'Hefiode. Il eft vray que Pindare l'emporte beaucoup fur Horace, dans les Odes qu'il a compofées à la loüange des Heros, & de ceux qui de fon temps avoient emporté le prix des Jeux Pithiens, & Olympiques, ou qui s'étoient fignalez dans les combats contre les ennemis de l'Etat. Callimaque a auffi compofé de plus beaux Hymnes qu' Horace à la gloire des Dieux. Mais les Chanfons à boire de ce dernier, & fes Odes galantes & doctrinales ; c'est-à-dire, tant celles qu'il a faites pour cajoller les Demoifelles, que celles qu'il a compofées fur des matieres ferieufes

philofophiques; & fur la pauvreté, par exemple, fur la mort, fur l'inconftance des chofes humaines, contre l'avarice & fur la vertu, fon fort audeffus des Poëfies galantes d'Anacroen & de Sapho. Il n'y a rien parmi les Poëtes de l'ancienne Grece profane, qui puiffe être comparé, pour la Morale & pour les maximes de la Philo

fophie Stoïcienne, ou pour le fel de la Satyre, & la fineffe de la raillerie, aux Satyres, Epîtres & Sermons d'Horace. Aucun Poëte Grec n'a donné comme luy des régles fi belles de la Poësie, & ne s'est avisé de faire un Livre fur l'Art Poëtique. C'est un chef d'œuvre qu'on ne fçauroit affez louer. La Theogonie d'Hifiode, & la Caffandre de Lycophron, non plus que les Ouvrages de Bachilide, de Simonide, de Phocylide, de Bion, d'Ibicus, d'Ion, de Theognis, d'Aliman de Tyrtheus, d'Apollonius le Rhodien, & d'Alcée, n'ont pas, à beaucoup prés l'élegance, la naïveté, la douceur, & la facilité des Metamorphofes, & des Elegies d'Ovide, & des Endecaffyllabes de Catulle. Il y auroit des volumes entiers de remarques à faire fur ces deux derniers Poëtes, auffibien que fur Horace & autres Poëtes de la Cour d'Augufte. Mais je m'arrête uniquement fur Virgile, comme étant le plus excellent des Poëtes qui ayent jamais paru, & qui paroîtront jamais parmi les Latins.

Quintilien, le plus judicieux de tous les Critiques en matiere des Ouvrages de belles Lettres, loue la réponse que luy fit un jour un fçavant Romain de la Maifon Royale des Domitiens, qui ayant été interrogé par luy, lequel des Poetes il eftia moit le plus approcher du divin Homère,

répondit fans hésiter, que c'étoit Virgile qui en aprochoit le plus, mais en forte qu'il alloit plutôt de pair & à côté qu'andessous

derriere luy,& qu'il étoit plus prés dú premier des Poëtes que du troifiéme, & qu'enfin tous les autres, qui ont jamais paru depuis Homere & Virgile, font infiniment audeffous d'eux, & laiffent un grand interQuintil. valle au milieu à remplir. Secundus eft Virlib. 10. gilius, propior tamen primo quàm tertio .... Cateri omnes longè fequuntur.

En effet, fion excepte ce Naturel heureux & divin d'Homere, qui: de luy-même & fans être formé par les préceptes & les regles de l'Art, & fans avoir eu d'exemple précedent, & de modele fur qui il pût fe regler, a trouvé dans fon propre fonds & dans fon genie dequoy produire un Poëme Epique, qui par la beauté & fon excellence a été jugé digne de fervir de modele à tous ceux qui ont entrepris depuis d'écrire en ce genre, fi, dis-je, on excepte la gloire de l'invention, & de l'antiquité, il faut avouer qu'en toute autre chofe, Virgile l'emporte audeffus d'Homere, & que La copie vaut mieux que l'original, quoiqu'Ovide ne foit pas de cet avis. Mais c'eft que de tout temps on a preferé les Anciens aux Modernes :

Quantum Virgilius magno concedit Homero,

Tantum Virgilio, Nafo Poëta,mco.

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La Langue Greque à la verité, ne nous auffi connue & familiere qu'eft la Langue Latine ; & quelques habiles que les plus fçavans hommes de nos jours & des deux derniers Siecles foient, & ayent été dans les Dialectes differentes des Grecs, je doute qu'ils ayent affez bien connu toutes les finefles & les delicateffes de la Lan& de la Poifie greque, pour pouvoir décider fi Homere parle mieux Grec que Virgile ne parle Latin. J'entrevois certainement bien des graces & bien de l'élegance dans le ftyle & dans les expreffions d'Homere, mais j'avoue que je fuis beaucoup plus touché de celles du Latin de Virgile. La netteté, la pureté, la varieté, & la beauté de fa diction me charme & me ravit: Et je ne crains pas de dire de luy ce que Quintilien dit de Ciceron, que celuy qui goûte & qui fent le mieux le merite & Pexcellence de cet Auteur, peut fe vanter d'avoir fait de grands progrés dans la connoiffance de la Langue Latine. Ille fe profeciffe fciat, cui Virgilius valde placebit. Je ne crains pas enfin d'affurer, que s'il est vray que l'élocution d'Homere, & la beauté de la diction l'emportent de beaucoup audeffus de celle de Virgile, & que celle du premier eft plus agreable, plus abondante, & plus fleurie; c'eft la faute de la Langue Latine, & non pas celle de nôtre

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