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bles font jouer tous les refforts de leurs inimitiez fecrétes, pour exclure des Charges tous ceux qu'ils n'aiment pas, fans nul égard à leur mérite. C'eft-là véritablement qu'ils fe balotent, non pas tant avec leurs petites bales d'étofe, qu'avec des éfets tout contraires à leurs promeffes.

Dans une Monarchie, il fufit de plaire au Prince, mais dans une République, il faut plaire à tous. Ce qui eft d'autant plus dificile, ou même impoffible, que la Naissance, les biens, les honneurs & la vertu même vous y font des ennemis, (b) fi tout cela n'eft ménagé avec une prudence extraordinaire. Ainfi ce Noble-là étoit bon Politique, qui disoit, qu'il ne mettoit point de diférence entre les Nobles Vénitiens; que toutes les Familles lui paroiffoient égales; & qu'il n'y en avoit pas une, dont il ne voulût bien être. Car, en feignant d'ignorer cette diftinction odieufe de Cafe Vecchie (i) & Cafe Nuove, il fe concilioit l'afection & la faveur des deux tiers de la Nobleffe, & s'en affuroit les fufrages, pour le befoin.

Au refte, puifque c'eft le Grand-Confeil, qui fait les Loix, il est, ce me semble, nécesfaire d'en toucher ici les principales, telles que font celles, qui regardent particuliérement la partie dominante de l'Etat, c'est-àdire, la Nobleffe.

(h) Nobilitas, opes, omiffi geftique honores pro crimine, & ob virtutes certiffimum exitium. Tac. Hist. 1. (i) Voyez les Remarques.

LOIX

DU GOUVERNEMENT

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DE VENISE.

Es Ecclefiaftiques, auffi-bien les Nobles, que les Populaires, font exclus de toutes les Charges & de tous les Confeils publics: au lieu que l'Evêque & les Cutez de la Ville y entroient, avant la derniere reformation du Gouvernement, faite en 1298. Ce Réglement ferme la porte à toutes les entreprises de la Cour de Rome, fur le Temporel. Car comme le Pape a la nomination de tous les Evêchez, & de prefque tous les Benefices de l'Etat, il lui feroit aifé d'avoir un parti dans le Senat, & d'en balancer les déliberations, par le moyen des Nobles, qui comme Ecclefiaftiques dépendroient de lui, & en attendroient des recompenfes. La Loi exclut encore les Nobles qui ont un Frere, un Oncle, ou un Neveu, Cardinal, de toutes les déliberations qui fe font touchant les Ecclefiaftiques, & interdit pareillement l'entrée du faint Office à tous ceux qui poftulent le Cardinalat,

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ou quelque autre dignité à Rome, de peur que leur intéreft ne les fift complaire à cette Cour, pour en obtenir leurs demandes.

II. Il n'eft pas permis aux Nobles d'exercer la Marchandise, de peur que les affaires publiques ne foient retardées par les particuliéres. Outre que cela ne s'accorde pas avec la Majefté du Gouvernement; qui eft la raison pourquoi le Commerce étoit interdit aux Sénateurs Romains. (k)

III. Tous les Nobles font fujets aux loix de l'âge, & il n'y en a pas un feul, à qui il ne faille attendre les années & faire fon aprentiffage (1) dans les petites Magiftratures, en commençant fa courfe, fin dalle ultime mosse, c'est - à - dire, depuis un bout de la Carriere jufques à l'autre. Si bien que l'on ne peut parvenir aux grandes Charges, que dans un âge meur, non plus qu'autrefois en Lacédémone, où il faloit vieillir, pour arriver aux honneurs. D'où eft venu le Proverbe, in fola Sparta expedit fenefcere. Et c'est ce que fignific le fimbole des deux corbeilles de nefles, couvertes de paille, que l'on voit à l'entrée du grand Efcalier de Saint Marc, par où l'on monte au Grand-Confeil, & au Pregadi, pour montrer, que comme les nefles meuriffent dans la paille, il faut de même laisser meurir l'efprit de la Jeuneffe dans l'atente, (m)

(K) Quastus omnis Patribus indecorus vifus eft.Livius. (1) Minores Magistratus majorum rudimenta & probatio funt.

(m) L'Italien dit, col tempo è colla paglia si maturano 1 nefpole. Tome I.

B

jufques à ce qu'elle ait acquis affez d'expérience & de mérite, pour entrer dans le Gouvernement. C'eft d'ailleurs une bonne Politique, de conduire les Nobles par degrez, & pour ainfi dire, à pas comptez, de Tribunal en Tribunal, afin de les entretenir dans une perpétuelle envie de bien faire, & de les animer davantage au fervice de la Patrie, par l'efpérance de parvenir un jour aux plus hautes dignitez. Au lieu, que fi les jeunes Nobles obtenoient les grandes Magiftratures à Venife, où il n'y en a point de perpétuelles, ils refuferoient enfuite toutes les autres. Ce qui n'y arrive déja que trop fouvent, ceux, qui ont exercé de belles Charges, croyant qu'ils fe ravaleroient, s'ils en acceptoient de moindres.C'est pourquoi la Seigneurie a fagement fait, d'avoir prefcrit des bornes à la recherche des honneurs, pour ne point enorgueillir les jeunes gens, naturellement ambitieux & infolens, en les y appellant de trop bonne heure.

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IV. Les Nobles ne fçauroient tenir plufieurs Magiftratures à la fois, quelque perites qu'elles foient. Ce qui fait que le Public en eft mieux fervi, & qu'il y a plus de employez. Mais il eft permis de quitter une Charge que l'on exerce, pour une meilleure, à laquelle on eft nommé, quoique l'on n'ait pas encore achevé fon tems. Ariftote a mis la pluralité des Charges entre les plus notables défauts de la République de Cartage.

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V. Les Nobles qui refufent les Charges,

aufquelles ils font élûs, font obligez de payer une amende de 2000. ducats, au Public; qui du moins profite de leur defobéiffance; & de s'abfenter pour deux ans, du Grand - Confeil & du Broglio. Ce qui eft une espece d'éxil.

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VI. Il eft défendu de féliciter les nouveaux Magiftrats fur leur élection, pour couper la racine de la flaterie, qui eft ordinaire en ces rencontres, & contenir les Nobles dans la modestie, convenable à des Citoyens de République. La Loi excepte le Duc, & les Procurateurs de Saint Marc, à caufe du grand mérite de ceux qui arrivent à ces deux éminentes Dignitez.

D

VII. Les Magiftrats de la Ville & du dehors ne fçauroient depofer leur Magiftrature bien qu'ils ayent fait leur temps, que le GrandConfeil ne leur ait donné auparavant un fucceffeur. Ils ne peuvent non-plus s'absenter de la Ville, ni des autres lieux, où ils font employez, fans la permiffion de la Seigneurie, qui ne la leur accorde pas, fans de bonnes causes. De forte que le fervice public n'est prefque jamais interrompu. Il ne l'est pas même par la maladie des Oficiers, car on leur en substituë bientôt d'autres, fi l'on voit que le mal doit être de durée. Et quand cela furvient aux Recteurs des Villes, le Capitaine fait la Charge du Podeftat; le Podestat, celle du Capitaine; & à leur défaut, l'un des autres Oficiers Nobles Venitiens, qui fe trouvent fur les lieux ; jufques à ce que la Seigneurie y ait pourvû : Ainfi il n'arrive point

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