la donnent pour de l'argent, mais jamais que pour un mois, afin d'avoir toûjours un moyen de fuccer cette Canaille, qui ne veut pas être connue par le chapeau rouge.

LES TROIS SEIGNEURS alli Banchi.

I

Ls ont leur Jurifdiction fur trois lieux, que les Juifs font obligez de tenir, pour y prêter fur gages, qui eft un moien que le Public a trouvé de foulager les pauvres, qui aiment bien mieux y porter leurs hardes, qu'ils font affùrez de retirer fans payer d'interêt, que de les vendre à la moitié moins qu'elles ne valent; comme ils y feroient contraints par la neceffité. Ces Bancs répondent à ce que l'on apelle en Italie, Monti di Pieta.

Je laiffe une centaine d'autres Juges, pour ne point ennuier le Lecteur par un détail inutile. Mais je ne dois pas, ce me femble, fortir de Venife, pour faire la vifite des Magiftrats Provinciaux, que je n'aie dit auparavant quelque chofe du Chancelier & des Secretaires, qui ont quelque part au Gouvernement; comme auffi du Patriarche de la Ville, du Patriarche d'Aquilée, & des Cardinaux Venitiens ; cette matiere aiant de la connéxité avec mon fujet,

XXXXXXXXXXXXXXX

DU

CHANCELIER, &des Secretaires.

Loche, cura dire, de la Bourgeoific, E Chancelier eft le Chef du fecond (y)

dont il eft en quelque façon le Doge. Cancel larius Ducem quafi populo refert. Il affifte à tous les Confeils, fans exception. Il est le confident de tous les fecrets de la Republique, qui n'écrit & ne reçoit point de lettres qu'il ne voïe. Il est maître du Seau, qu'on ne lui fçauroit ôter fans le déposer tout-à-fait. Il est Chevalier né en vertu de fa Charge, qui lui donne le titre d'Excellence, avec la prefféance fur tous les Sénateurs & les Magiftrats de la Ville, excepté les Confeillers de la Seigneurie & les Procurateurs de SaintMarc. Il est le chef de tous les Sécretaires, qui reprefentent avec lui le Corps des Citadins, comme le Doge & les Confeillers du Collége reprefentent celui de la Nobleffe. C'est pourquoi il eft apellé communément dans les Actes Latins, Magnus Scriba & Scribarum Princeps: ce qui répond au titre de Primicerius Notariorum chez les Romains.

Où il faut observer › que la Charge de Chancelier eft affectée au Corps des Secrétaires, qui portent là tous leurs vœux, (y) Contarenus lib. 5. Reip. Ven.

&

y

y fondent toutes leurs efperances. En effet, quand ils y arrivent, ils ne doivent pas regreter les peines qu'il ont prifes, ni les fervices qu'ils ont rendus au Public;n'y aïant point de Nobles qui foient à proportion fi bien recompenfez qu'eux, non pas même le Doge, & les Procurateurs par mérite. Le Chancelier eft à vie, porte la pourpre comme le Doge, & les fix Confeillers du Collége, jouit de tous les priviléges de la Nobleffe, & en a encore de particuliers. La République lui donne trois mille ducats d'apointemens, outre les émolumens ordinaires de fa Charge, qui montent à neuf ou dix mille ducats, fans qu'il foit obligé de faire aucune dépenfe. Enfin, il ne lui manque rien que la voix délibérative dans les Confeils, ou il n'eft que fimple Miniftre.. Et en cela il eft inferieur au moindre Noble.

Quand la Seigneurie marche en public, le Chancelier eft precedé par les Secretaires; le Doge par le Chancelier; & le Sénat par le Doge. Où l'on peut remarquer deux ufages bien differens, l'un de la Nobleffe qui eft precedée par fon Chef; & l'autre de Cittadinance, qui précede le fien. Ce qui fe fait pour trois raifons: La premiére, pour montrer que les Nobles & les Citadins ne doivent pas fe mefurer également les uns avec les autres : La feconde, pour faire connoître que le Chancelier n'eft pas l'Homme du Peuple, quoi - qu'il foit Citadin; mais le Miniftre & l'Officier de la Nobleffe, par qui il eft élu, & de qui par conféquent il tient fa Charge & fon pouvoir. Enfin, Tome 1.

N

pour défigner le concert & l'accord de toutes les parties dans le Gouvernement,

Le Chancelier fait une entrée publique après fon élection, & va au Collège accompagné de plufieurs Procurateurs, dont le plus ancien, qui d'ordinaire l'affifte ce jour-là, lui donne la main, ainfi que les Sénateurs & les autres Gentilshommes, qui s'y trouvent, à tous les Citadins, qui dans cette cérémonie vont habillez de rouge, comme les Nobles.. De forte que c'est à peu près comme à la Fête des Saturnales, où les ferviteurs étoient fervis par leurs maîtres. Dans les cérémonies publiques, le Chancelier porte une robe de velour cramoifi en hyver; & une de damas rouge en efté, avec l'étole d'or. Ordinairement il eft vêtu de drap d'écarlate, ou violet, avec l'étole de drap noir.

Enfin le Chancelier reçoit les mêmes honneurs, que le Doge, après fa mort. On fait fes funérailles dans l'Eglife - Saint Marc, où fon Eloge eft prononcé en présence du Sénat, qui eft vêtu de noir en cette occafion, témoignant ainfi plus de douleur de la perte du Chancelier, que de celle du Doge, dont il fait les obféques en robe- rouge, comme je l'ai déja remarqué.

Après tant de prérogatives, il ne faut pas s'étonner fi le Chancelier Auguftin Vianole acheta la Nobleffe pour fes enfans, fans vouloir être compris dans l'annobliffement, d'autant que ne pouvant pas être Chancelier & Noble - Venitien tout ensemble, (ce qui n'eft

jamais arrivé qu'une feule fois, en faveur de Marc Ottobon pére du Cardinal de ce nom) il aima mieux conferver fa Charge, & refter dans l'Etat Populaire, que de la quitter & d'être Noble.

En 1666. Dominique Balarin, fils du Chancelier, prefera de même cette Charge à l'honneur d'être fait Noble par merite, c'est-à-dire, fans achat; ce que la Seigneurie laiffoit à fon choix,en reconnoiffance des fervices de fon pere.

Le Chancelier eft élu par le Grand - Confeil comme tous les Magiftrats de la Ville.

Quant aux Secrétaires, il y en a de trois fortes. Les premiers s'appellent Secrétaires du Confeil de-Dix, & font les plus confidérables, à cause de l'importance de ce Tribunal. Les autres fe qualifient Secrétaires du Sénat; & les derniers, Notaires & Tabellions Ducaux. De cette claffe l'on paffe à la feconde, & de la feconde à la premiére fuivant le merite & la capacité des gens. Autrefois on les appelloit tous Notari della Corte maggiore. Les Secrétaires du Confeil-de- Dix ne font que quatre, & ces places font bien recherchées, & trèsdifficiles à obtenir. Ceux du Sénat font au nombre de vingt-quatre, cinq ou fix defquels font employés dans les Réfidences de Naples, de Milan, de Florence, & de Zurich en Suiffe, avec deux mille ducats d'appointemens; cinq ou fix autres fervent en qualité de Secrétaires d'Ambaffade à la Cour des Rois, où le Sénat les tient toûjours plufieurs années, afin