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bien examinées, & ne les avoient jamais defaprouvées : Que Sixte IV. Innocent VIII. Aléxandre V I. Clement V II. & Paul III. avoient non seulement aprouvé par leurs Bulles; mais encore loué les Ordonnances Venitiennes comme Canoniques: Que ce que le Sénat avoit fait touchant les acquisitions des Ecclefiaftiques, fe pratiquoit en France, en Portugal, en Allemagne, & en Pologne: (b) Que même le Pape Clément VIII. voyant l'Eglife de N. D. de Lorette s'enrichir & s'accroître de jour en jour par les dons de toute forte de perfonnes, avoit empêché qu'elle n'aquît de nouveaux fonds & ne s'étendît davantage.

Le Pape repartit à cela fur le champ, que Clement, étant Pape & Prince Temporel, avoit une puiffance plus étenduë que les Princes Seculiers ; & que pour ce qu'il avoit ordonné comme Prince, à l'égard de la Maifon de Lorette, il avoit obtenu ce pouvoir de foi-même comme Pape: (i) Que s'il y avoit ailleurs de femblables loix contre les Ecclefiaftiques, elles avoient été faites par

(b) L'an 1300. Edouard III. Roi d'Angleterre fit une pareille loi qui fut executée malgré toutes les plaintes des Ecclefiaftiques; Polydor. lib. 15. Hift. Angl. Jacques Roi d'Aragon ordonna, Qu'il ne fe pourroit rien aliener des biens feculiers aux Ecclefiaftiques, fans fa permiffion expreffe. Pet. Bollug, in Spec. Princ. R. 13. Louis Roi de France, fit une femblable Ordonnance, qui fut confirmée par Philippe III. Philippe le Bel, Charles le Bel & depuis renouvellée par les Rois Charles V. François I. Henri II. Charles IX. & Henri III. L'an 1296. Federic Roi de Sicile fit une Loi toute femblable à celle de Venife l'année 1536.

(i) 1605.

l'autorité des Papes ; & que fi celles de l'aliénation des biens & de la fabrique des Eglises, dont il étoit queftion,étoient néceffaires,il étoit prêt de les faire en leur faveur, dès que le Sénat de Venife lui en auroit fait connoître la neceffité:(k) Que jufques alors il avoit fait le devoir de Pere, mais qu'après il feroit l'office de Juge, fi l'on ne lui obéissoit dans le tems qu'il prefcriroit par le Bref exhortatoire qu'il enverroit à fa République. Le Nani pria le Pape de ne rien précipiter; & de vouloir attendre la réponse du Sénat, à qui il alloit écrire les intentions de Sa Sainteté.

La réponse fut, que la Seigneurie ne pouvoit rendre les Prifonniers juftement retenus, ni révoquer les loix qu'Elle avoit faites pour le bien de fes Sujets ; & qu'elle étoit résoluë de foûtenir cette liberté naturelle, que Dieu lui avoit donnée; & que leurs Ancêtres avoient confervée dépuis tant de fiecles.

Le Pape ayant apris cette résolution du Sénat par fon Nonce, & par le Chevalier Nani,

(k) Cette reponfe, dit Frà Paolo dans fes Confiderations fur l'Interdit, eft fubtile & ingenieufe, mais elle n'eft pas conforme, ni à la faine Theologie, ni à la bonne Morale, qui enfeignent que Dieu aiant donné aux Princes Souverains des Etats à gouverner, avec plein pouvoir pour le temporel, il leur a donné auffi l'authorité de faire fans privilege ni permiffion d'autrui, toutes les loix qu'ils jugent neceffaires pour la confervation de leurs Etats. Et il ne fe trouvera point, ajoûte-t-il que Dieu ait jamais fait un commandement, pour lequel il faille demander permiffion.... Dieu dit à un Prince, Vous ferez les loix, qui feront necessaires pour l'utilité de vos peuples, Et il faudra, que ce Prince en demande permiffion? Il n'eft donc pas permis de faire ce que Dieu commande, fi l'on n'a la permiffion & le confentement des hommes? Chofe ridicule & abfurde.

fit expédier deux Brefs, dattés du 10. Décembre 1605. adreffés au Duc Marin Grimani, & au Sénat de Venife,lefquels il envoya le même jour à fon Nonce, pour les presenter nonobstant toutes les remontrances que les Cardinaux Baronius & Du Perron lui firent, pour le détourner d'une fi difficile & fi périlleufe entreprise.

Pendant que les Brefs étoient en chemin,le Sénat nomma pour Ambaffadeur Extraordinaire à Rome, le Procurateur Léonard Donat, Sénateur vénérable par fon âge, & très-` agréable à cette Cour où il avoit été déja fept fois Ambassadeur; afin que par l'envoi de ce Perfonnage, le Pape reconnût que le Sénat ne le méprifoit point, comme il fe l'étoit figuré; mais au contraire portoit toute la réverence qu'il devoit & à lui & au Saint Siége. Ce qui obligea le Nonce de furfeoir la préfentation des Brefs, qu'il reçut un jour après cette élection, & d'attendre un nouvel ordre du Pape, dans l'opinion qu'il eut lui-même, que cette foûmiffion du Sénat amoliroit la dureté de fon Maître, & réveilleroit en lui les fentimens d'un bon Pere. Mais il fe dans fa penfée; car le Pape fe fâcha fort contre lui de ce qu'il s'étoit mêlé d'interpofer fon jugement dans l'exécution de fes ordres, & lui dépêcha un Courrier, avec un commandement exprès de préfenter fes Brefs immédiatement après la reception de fes lettres. De forte que le Nonce les ayant reçues la nuit de Noël, il alla le lendemain matin, jour de la Fête, au Palais,

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où il donna les lettres aux Confeillers affemblez pour affister à la Meffe de Tierce: Car le Duc Grimani étoit à l'extrémité, & mourut la nuit fuivante. Ces Seigneurs dirent au Nonce, (1) qu'ils s'étonnoient fort qu'il eût pris ce jour, qui en eft un de réjouissance & de falut pour toute la Chrêtienté, pour leur porter des menaces & des Cenfures du SaintSiége. Ce Prélat s'excufa fur la neceffité d'obéir, & les exhorta de vouloir contenter le Pape.

Cependant les Brefs ne furent point ouverts à - cause de la mort du Duc, qui arriva la nuit du même jour, comme je viens de dire, les Sages - Grands n'ayant pas jugé à propos d'entamer cette affaire qu'après l'élection de fon fucceffeur.

Le Pape ordonna à fon Nonce de s'oppofer à cette élection, en déclarant aux 41. Electeurs, qu'elle feroit nulle comme étant faite par des gens excommuniés. Mais ce Prélat ne put jamais obtenir audience, la Seigneurie s'excufant fur la coûtume qu'Elle avoit de n'en point donner durant l'Interrégne.Et comme il avoit envie de protefter fuivant l'ordre du Pape, il en fut empêché par quelques Evêques de fes amis, qui lui remontrerent, que cette entreprise étoit odieufe & dangereule; & que bien loin de caufer aucun trouble dans la Ville contre le Sénat, elle exciteroit le peuple à foûtenir avec plus de chaleur la dignité publique, & aigriroit les efprits contre la Cour (1) A. Morofin. Ibidem,

de Rome, Outre que de faire cette tentative, c'étoit confondre le Spirituel avec le Temporel.

Le 10. Janvier 1606. Léonard Donat › nommé pour l'Ambaffade Extraordinaire de Rome fut élu Doge, & bien que le Nonce se fût abftenu de lui faire les complimens de félicitation, comme avoient fait tous les Ambafdeurs des Princes, il ne laiffa pas de donner part de fon élection au Pape, qui reçut fa lettre par les mains du Chevalier Nani, & y répondit obligeamment, nonobftant les bruits, que l'on avoit fait courir, que le Pape ne vouloit point reconnoître le nouveau Duc.

Le jour de fon Couronnement, il advinť une chofe, qui exerça quelque tems la curiofité ou plûtôt la vanité des efprits. Comme toute la Place - Saint - Marc étoit couverte de neige, quantité de petits garçons qui s'y trouvoient, pour voir, comme les autres, la cérémonie de l'Entrée du Doge, (m) s'étant mis à s'entrejetter des pelotes de neige, & puis à fe ruer des pierres, il y en eut un qui caffa le manche de l'Etendard de la République,planté sur la grand' porte du Palais. D'où l'on prit occafion de faire divers pronoftiques de guerre & de malheurs, qui, difoit - on, alloient fondre fur la République. Mais il arriva tout le contraire de ces prédictions, ainsi qu'il fe verra par la fuite de ce difcours.

Le Duc commença les fonctions de fa Dignité par l'ouverture des Brefs du Pape, (n)

(m) 1606.

(2) A. Morofin. Ibid.

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