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avoit long-tems fervi d'embaleur, ceuxci leur reprochérent en pleine audience la baffeffe de leur origine. Mais le Sénat leur impofa bientôt filence, & ordonna aux Juges d'accorder les Parties, pour appaifer une querelle qui déshonoroit le corps de la Noblesfe. Un Gentilhomme de la famille Da Ponte, en menaçant un autre, nommé Canale, de lui montrer que les Ponts étoient au deffus des Canaux, à quoi celui - ci répliquoit, que les Canaux étoient avant les Ponts, & que les Ponts n'étoient faits que pour les Canaux ; le Sénat leur fit dire, qu'il pouvoit combler les Canaux, & abattre les Ponts, ces fortes de disputes lui étant d'autant plus odieufes,qu'elles bleffent l'égalité, qui eft l'ame d'une République. Et fi les nouveaux Nobles femblent inférieurs en quelque chofe aux anciens, parce qu'ils n'entrent pas fi-tôt dans les grandes Charges, cela ne fe fait que pour éprouver leur industrie dans les petits emplois, & felon la Maxime de Silla, leur faire manier l'aviron, avant que de leur abandonner la conduite du gouvernail. Sans quoi ils feroient expofez à l'envie du Peuple, qui d'ordinaire méprife ceux qu'il a vûs fes égaux. (q)

D'ailleurs, le Sénat n'a permis les modes Francoifes aux Dames Venitiennes, que pour ôter par un nouveau luxe, une diftinction

(q) Infita mortalibus natura recentem aliorum felici tatem agris oculis introfpicere, quos in aquo vidêre, Hift. 2.

qu'elles affectoient dans leurs ajustemens ; les Gentilsdonnes iffuës des anciennes Maifons fe coëffant à la Guelfe, & les autres à la Gibeline. D'où il naiffoit une certaine émulation, qui éclatoit fouvent en querelle, & qui paffant jufques aux Maris, troubloit le repos des Nobles, & l'harmonie du Gouvernement. Car il n'y a rien de plus dangereux dans toute forte de Républiques, que la mefintelligence qui fe met entre ceux qui en ont l'administration, le parti offensé desirant toujours le changement & la nouveauté. (r) Et c'est ainsi qu'un certain Héracléodore en Eubée, ayant pris fes Collégues en haine, y établit une nouvelle forme de Police, par où l'autorité, qui étoit entre les mains des Nobles, fut transférée au peuple: comme au contraire, le Doge Pierre Gradénigue la transféra du Peuple aux Nobles pour le vanger du premier, qui avoit traverfé fon élection au Dogat.

Au refte, comme le Sénat fe gouverne par des maximes de paix, il ne veut point aguerrir les Nobles, ni fes Sujets, de peur qu'il ne leur prît envie de remuer, s'ils étoient élevez dans les Armes. Il connoît que l'ambition est inféparable de la bravoure militaire, & que les grands courages ne fçauroient fuporter l'obfcurité d'une vie privée, comme nous en avons un bel exemple, dans la République Romaine, qui, avec toute fa puiffance, ne pût pas abatre celle de fes Capitaines. Et cet-(r) Plutarque.

te

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te maxime eft d'autant meilleure, que les
Vénitiens ne fongeant plus aujourd'hui à
s'agrandir par des conquêtes, mais feulement
à conferver ce qu'ils ont, en se défendant
ils n'ont pas befoin d'avoir chez eux des Côn-
quérans, dont l'ambition les tiendroit toû
jours en allarme, n'y ayant que trop de ces
Efprits dangereux, qui croient qu'il eft per-
mis de tout faire pour régner; (f) & que
c'est une extrême folie de renoncer à la Sou-
veraineté, & à foi-même, pour ne pas man-
quer à fon devoir. Outre qu'un Capitaine de
République, qui fe voit adoré de fes foldats,
& favorifé de la fortune & de l'occasion, a
bien de la peine, s'il n'a bien de la modera-
tion, à dépofer l'autorité, qu'il lui eft aifé
de retenir & à garder la fidélité à fes égaux,
lorfqu'il peut leur commander. C'eft pourquoi
le Sénat a pour maxime fondamentale de son
Etat, de ne mettre jamais le commandement
des Armées de Terre entre les mains des No-
bles; dautant que pour aprendre ce mêtier
il faudroit qu'ils paffaffent la meilleure partie
de leur vie en Terre-ferme, & qu'ils cher-
chaffent de l'emploi chez les Etrangers. Ce
qui diviferoit bien-tôt le Corps de la Noblef-
fe en factions, étant certain que les Nobles
qui auroient été long-tems abfens de la Pa-
trie, & qui, dans le fervice des Princes, au-
roient pris un air de vie, & des coûtumes
toutes contraires à celles de leur Païs, ne

(f) Si violandum eft jus, regnandi gratiâ violandum
eft. Eurip.

Tome 1.

D

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s'accommoderoient pas fort aisément avec leurs Compagnons, élevez dans l'oifiveté de la paix.Par où la République ne tarderoit gueres à être troublée par fes propres Citoïens.

Ainfi, lorfqu'elle a la guerre en Terre, Elle appelle à fon fervice quelque Prince, ou Seigneur étranger, à qui elle affigne une groffe penfion, avec le titre de Généraliffime de Terre. Je dis le titre, parce qu'il n'en a pas pour cela l'autorité, ni la puiffance, le Sénat lui donnant toûjours pour fon Confeil, ou plûtôt pour les efpions, deux Sénateurs, que l'on apelle Provéditeurs Généraux de l'Armée, lefquels ne le perdent point de vue, & fans qui il ne fçauroit prendre aucune résolution, ni éxécuter aucune entreprise. Bien au contraire, il est toujours obligé de faire tout ce qu'ils veulent; & quelque expérience qu'il ait des chofes de la Guerre, ils ne déférent prefque jamais à fon fentiment, ces Nobles étant par jaloufie ennemis de tous les avis (t) dont ils ne font pas les auteurs, comme s'ils fe piquoient de montrer par leur opiniâtreté, qu'ils font les Maîtres. Auffi ne veulent - ils pás des Généraux plus braves, ni plus habiles qu'eux, parce que d'ordinaire ces genslà n'ont pas affez de complaifance: Qualité, qui tient lieu d'un grand mérite auprès d'eux.

En l'absence du Géneraliffime, le Géneral de l'Infanterie, pareillement Etranger, a le

(t) Ignari militarium animorum, confiliique, quamvis egregii, quod non ipfi afferunt, inimici, & adverfus peritos pervicaces, Tac, Hist, 1,

Commandement, par un ufage tout contraire à celui de tous les autres Ptinces. Ce qui est toûjours un fujet de mécontentement pour le Général de la Cavalerie. Et c'en fut un au Prince de Modéne de quitter le fervice des Vénitiens, durant la guerre de Mantouë.

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Le Sénat ne prend pas feulement des Géneraux étrangers, mais encore tout ce qu'il lui faut de foldats, évitant fur tout de donner les armes à fes Sujets, non pas qu'il ignore les inconvéniens du Service étranger, après en avoir fait fouvent des épreuves très - fâcheufes & particuliérement dans la fameufe Guerre de la Ghirra - d- Adda (u) où la plûpart de leurs Troupes deferterent, mais parce qu'il aime encore mieux être mal fervir,que de hafarder fa liberté. C'est une maxime qu'ils tiennent des Cartaginois, qui au témoignage de Polibe & de Diodore Sicilien, ne s'adonnoient qu'à la Marine, & ne se servoient dans leurs guerres de Terre, que de Milice étrangére, ne voulant pas fe fier à leurs Sujets. D'ailleurs, c'eft une commodité que les Vénitiens ont de couvrir leurs pertes & leurs fautes, en les rejettant fur les autres ; & d'épargner leurs perfonnes, comme s'ils n'étoient que pour juger des coups.

La peine qu'ils ont à trouver des foldats, à caufe de la captivité où l'on fçait qu'ils les tiennent (ce qui en a obligé quantité de fe jetter par defefpoir parmi les Turcs) cette difficulté, dis-je, les contraint de recourir à (u) Voyez les Remarques..

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