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les amener à peu de frais par le Cap de Bonne Efperance. Ce qui a privé les Venitiens du revenu de neuf ou dix millions par an. Car ils mettoient le prix qu'ils vouloient à ces épiceries, & en fourniffoient feuls toute l'Europe. Et c'eft de là qu'eft venu le Proverbe, qui fe dit à Venife: Il bianco e nero ha fatto ricca Venetia. C'est-à-dire, le poivre & le coton ont enrichi Venife. Ainfi, Chriftofle Colomb leur a fait lui feul autant de dommage par la découverte du Nouveau Monde, (d) que tous les Genuis ensemble leur en avoient fait dans plufieurs guerres. Car c'est lui qui a ouvert le chemin de ces navigations aux Caftillans, & aux Portugais, qui depuis ont amené chez eux par Mer, les Marchandifes qu'ils achetoient auparavant bien chérement des Venitiens. En l'an 1587. Philippe II. Roi d'Espagne leur offrit de les affocier au riche commerce du poivre, qui se transportoit des Indes Orientales à Lisbonne. ( e ) Mais ils n'acceptérent point cette offre, craignant que l'amour du gain ne détournât les Particuliers du foin des affaires publiques.

Voyons maintenant ce que l'on trouve à dire dans la Politique du Sénat. Les uns blâment la vente de la Nobleffe, comme une chofe honteufe. Les autres condamnent la trop grande indulgence du Sénat pour les Prêtres, les Moines, & les Religieuses. Et enfin, plufieurs déclament hautement contre la

(d) 1490.

(e) And. Morofin. Hift. l. 13.

pro

protection publique des Courtisanes. Pour ce qui eft de la vente de la Nobleffe, elle eft abfolument neceffaire › pour foutenir la vieilleffe de l'Etat. (f) Car, comme les anciennes Familles s'éteignent de jour en jour, fi l'on n'en fubftituoit pas d'autres en leur place, le Gouvernement tomberoit bientôt en Oligarchie; par où il feroit aifé au Peuple de s'en emparer, en chaffant le peu de Nobles qui resteroient. Le grand nombre des Patriciens eft le plus folide fondement de leur République. Y ayant tant de Charges & d'emplois à diftribuer, il faut qu'il y ait encore beaucoup plus de Nobles, pour en pouvoir choifir les plus dignes. Car, à nombre prefque égal, il faudroit fe fervir des incapables, auffi-bien que des habiles. Joint que la vente de la Nobleffe va au foulagement du Peuple, qu'il faudroit furcharger d'impôts, pour fournir aux befoins de la guerre, fi la Seigneurie fe privoit d'un moyen doux & facile de trouver de l'argent dans la bourfe des riches, qui en offrent de bon gré. Et d'ailleurs, il vaut mieux que ces gens - là leurs tréfors avec le Prince, que de les pofféder féparément. (g) Ajoutez encore à cela, que les Populaires voyant entrer leurs parens, & leurs amis dans l'Adminiftration Civile, en deviennent auffi plus afectionnez à la Patrie. D'où il

partagent

(f) Additis Provincialium validiffimis feffo Imperio Subventam eft. Tac. Ann. 11.

(g) Affinitatibus noftris mixti aurum & opes fuas in-, ferant potiùs, quàm feparati habeant. Ibidem.

Tome I.

E

s'enfuit, que les Nobles, qui ne fçauroient fouffrir que l'on en faffe de nouveaux, ne font pas bons Citoyens, puis qu'ils préferent leurs paffions, & leur faux point - d'honneur au véritable intéreft de l'Etat. Tel étoit un certain Priüli Tagliabraccia, qui avoiioit qu'il n'avoit jamais donné, ni ne donneroit jamais fa voix à ces Prétendans, difant, Que c'étoit une honte de vendre la Nobleffe, qui ne devoit s'accorder qu'au merite, & d'écrire au Livre d'or des noms d'Artifans & d'Avanturiers. Sur quoi le Chevalier Jean Sagrede disoit affez plaisamment, Que c'étoit faire de la fauffe monoye, que de faire de l'argent avec de fi bas aloi. Quand les Sages du College propoférent (en 1645.) d'admettre au Grand-Confeil les Labia, les Vidmans, les Otobons, & les Zaguri, qui offroient chacun cent mille ducats; & tous les autres qui feroient une pareille offre, Ange Michieli, en qualité d'Avogador, s'opofa à cette nouveauté, remontrant, Qu'il feroit honteux de faire de leurs Sujets des Princes. Que la Noblesse Venitienne deviendroit méprifable aux Etrangers fi l'on communiquoit un caractére, qui ne s'imprime que par la naissance. Que fi l'on ouvroit cette porte, qui étoit fermée depuis deux cens foixante - fept ans, c'est - à - dire, depuis la Guerre de Chiozza, leur Gouvernement ne feroit plus une Ariftocratie, puis qu'il pafferoit deformais entre les mains des plus riches, & non des meilleurs. L'entrée au Confeil, s'écrioit-il, s'accordera - t- elle à

peu, ou à beaucoup de gens? Si ce n'eft qu'à un petit nombre, le fecours que la Patrie en recevra fera bien petit, en comparaison du dommage qu'elle en fouffrira. C'est vouloir éteindre le feu de la guerre avec une goutte d'eau. Et fi nous recevons beaucoup de familles, nôtre Ariftocratie dégénérera en un Gouvernement populaire.Que l'on ne me dife point, que l'agrégation qui fe fit de trente familles en l'année 1379. n'altera point la forme de nôtre République. Car les conjonctures font bien différentes. Alors, nous ne poffédions point de villes dans la Lombardie ; & le Levant, qui fe voyoit de tous côtez menacé d'esclavage, n'ofoit rien entreprendre. Aujourd'hui, que nous poffédons en Italie, tant de villes remplies d'une Noblesse ancienne & floriffante, nous ne pouvons incorporer à la nôtre tant de prétendans, dont l'extraction nous eft inconnuë, fans nous expofer au mépris de nos Sujets de Terre Ferme. Dans la Guerre de Chiozza, l'on admit un nombre déterminé de familles tirées, qui avoient tout hazardé pour recouvrer cette vil

le que les Genois avoient prife, & pour fauver Venife, qui couroit grand rifque de l'être. Maintenant, on propofe d'ouvrir la porte du Confeil à tous ceux qui auront la bourfe à la main. Ainfi, ce n'eft point le mérite que l'on recompenfe, comme l'on fit en 1379. mais la Nobleffe que l'on vend, ou plûtôt, que l'on proftituë. Jaques Marcello, Confeiller de la Seigneurie, dit au contraire: Que

le moyen le plus aifé d'avoir de l'argent,est celui qui eft le plus volontaire ; & qu'il n'y en a point qui le foit plus que celui qui a pour éguillon l'efpérance de commander. Que quand même la République n'auroit point la guerre avec le Turc, elle devroit augmenter le nombre de fa Nobleffe, notablement diminué depuis un tems, l'Oligarchie étant bien plus à craindre pour eux, que la Démocratie, dont on leur faifoit tant de peur. Qu'à s'allòcier un nombre de leurs inférieurs, ils ne perdroient pas plus de leur reputation, ni de leur fplendeur, qu'un flambeau alumé perdoit de fa lumiére, lorfqu'il en alumoit d'audautant qu'ils ne communiqueroient pas à ces nouveaux compagnons la nobleffe de la naiffance, mais feulement l'Adminif tration Civile, qui ne devoit pas tant être le patrimoine de la naiffance, qu'elle ne fût auffi la recompenfe de la vertu. Que, pour fe défendre contre le Turc, ils avoient befoin

tres

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d'un grand armement, qu'ils ne le pou

voient faire fans une mine d'or, d'autant que dans un fiécle de fer, comme le nôtre les hommes ne venoient qu'au fon de l'argent. Qu'il ne falloit point s'attendre au fecours des Princes, qui ou ne fe foucioient pas de l'Ennemi commun, parce qu'ils en étoient éloignez, ou le craignoient trop, parce qu'ils en étoient voifins. Qu'au lieu que la Nobleffè Vénitienne étoit haïe de toutes les familles puiffantes, qui n'avoient point de part au Gouvernement, à caufe qu'elles défef

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