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Librairie Armand Colin

103, Boulevard Saint-Michel, PARIS

1917

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays

AMBOLIAD

INTRODUCTION

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LESAGE (1668-1747)

La vie d'Alain-René Lesage n'a pour ainsi dire pas d'histoire elle a été modeste, laborieuse, consacrée aux lettres pendant un demi-siècle. L'auteur a fui la réclame et le bruit; il s'est tenu à l'écart des salons, il n'a appartenu à aucune coterie, il n'a pas même voulu devenir académicien. Il s'est contenté d'écrire, par goût et par nécessité, parce qu'il avait quelque chose à dire, et aussi parce qu'il lui fallait faire vivre sa femme et ses enfants. Il a été vraiment, sinon un très grand écrivain, du moins un grand homme de lettres, qui, chose encore nouvelle en France, n'a vécu que par sa plume et pour elle.

C'était un Breton probe et tenace, à l'humeur indépendante et fière, très peu mystique pourtant, et point du tout poète. Il était venu de sa province à Paris pour être avocat, parce que tel était le vœu de son père, notaire et greffier royal à Sarzeau, près de Vannes. Mais il comptait bien n'en faire qu'à sa tête et suivre sa vocation, qui était d'observer et de peindre le train du monde qu'il avait sous les yeux, sans indignation inutile, sans optimisme béat non plus, en spectateur curieux et un peu sceptique. Il ne se pressa pas: il commença lui-même par vivre, par se marier, par regarder autour de lui dans la société et dans les livres puis, quand il eut largement passé la trentaine,` quand il se sentit bien purgé de toute illusion juvénile ou de passion trop vive, il songea alors à écrire, et cela sans impatience, sans vouloir brusquer la renommée.

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res modestement il se, mit d'abord à l'école de l'Espagne en cela, il faisait comme beaucoup d'autres, et suivait le goût du temps. Depuis un siècle les Espagnols avaient été nos initiateurs en bien des choses; ils avaient plus d'une fois donné à nos écrivains l'occasion d'affirmer leur génie en leur suggérant les formes et les sujets qu'ils cherchaient. D'Urfé leur avait emprunté la pastorale romanesque d'où sont sortis tous les romans du siècle; Corneille avait créé la tragédie au contact de leur drame; la tragi-comédie, la comédie burlesque, la nouvelle avaient aussi traversé les Pyrénées pour venir s'implanter chez nous. Cette fièvre d'hispanisme, un instant calmée par l'avènement de notre école classique de 1660, qui ne se réclamait que de la nature et de la vérité, venait de reparaitre vers la fin du règne de Louis XIV, au moment où un prince français était parti pour occuper le trône de Charles II. C'est au milieu de cette renaissance ibérique que débute Lesage, et il est tout naturel qu'il ait cédé au courant. Il publie en 1700 deux pièces espagnoles adaptées à la française, sans les faire jouer; bientôt après il en fait représenter deux autres à grand'peine, et sans succès. Entre temps il passe du théâtre au roman, et il traduit, en 1704, les Nouvelles aventures de don Quichotte de la Manche, cette suite qu'Avellaneda avait faite à l'œuvre de Cervantes, son ennemi.

Mais tout cela n'était qu'un prélude: dans ces traductions plus ou moins libres, Lesage ne mettait encore rien de lui-même; il s'essayait et se faisait la main, avant de dépenser son propre fonds. Il touchait pourtant au moment décisif il allait avoir quarante ans et il était encore obscur l'heure était venue pour lui de donner enfin, sa mesure. Comédie ou roman? Quoiqu'il se fût exercé simultanément dans les deux genres, et qu'il dût les cultiver jusqu'à la fin de sa longue carrière, il semble bien qu'à ce moment le theatre ait eu plutôt sa préférence : le succès y est plus difficile, moins durable, mais combien plus immédiat, et plus grisant! Crispin rival de son maître (1707) charma par sa piquante nouveauté, et Turcaret (1709) fit croire un instant qu'il était né ur nouveau Molière. Cette rude et intrépide attaque contre la toute-puissance de l'argent, cette hardie peinture des ridicules et des hontes que traine avec ui un de ces parvenus de la finance comme il y en avait

tant alors, tout cela survenant au moment où l'on sentait déjà s'écrouler toute la gloire du règne, jetait un jour si cru sur la corruption de l'époque, et parut d'une vérité si criante, que ce fut un beau succès de scandale autant que de littérature. Lesage en fut plus effrayé que réjoui: dans sa candide assurance il avait cru faire une œuvre plus simple, et il ne comprenait pas que son Monsieur Turcaret soulevât tant de colères, suscitât tant de cabales jusque dans le foyer du Théâtre-Français. Il fut surtout sensible à l'arrogance de ceux qu'on appelait les grands comédiens, les Romains », et il se promit bien de ne plus se fourvoyer dans une telle bagarre. Il renonça aux lauriers comiques pour se contenter des succès moins glorieux, mais plus francs et plus faciles, des théâtres populaires. Pendant vingt-six ans, il se fit le pourvoyeur inépuisable de la foire Saint-Germain et de la foire Saint-Laurent, où il épanchait le plus gros de sa verve comique, et où il livrait au public, sans apprêt, les mille traits de satire que lui suggérait l'observation quotidienne des mœurs. Malgré la bonne humeur et l'esprit qu'il sema à foison dans ces petites pièces, l'auteur de Turcaret ne fit qu'y gaspiller son talent mais si la comédie y perdit, le roman du moins y gagna. Lesage s'aperçut qu'il est plus aisé de faire imprimer une œuvre que de la faire jouer, et qu'il vaut mieux avoir affaire à un éditeur qu'aux comédiens ordinaires de Sa Majesté c'est au roman qu'il donnera désormais le meilleur de lui-même.

Déjà avant Turcaret il avait affirmé sa maîtrise dans ce genre par un coup d'éclat. En feuilletant des livres espagnols, il était tombé sur un ingénieux petit roman de Luis Velez de Guevara, paru en 1641, où l'auteur espagnol représentait un démon, Asmodée, qui transportait sur la tour de San Salvador un jeune étudiant castillan, et de là par vives enjambées, sautant de maison en maison sur les toits de la capitale, les entr'ouvrant comme on enlève la croûte d'un pâté, faisait contempler à son compagnon les ridicules, les vices, les secrètes pensées, toute la comédie intime et cachée dont sont faites les existences humaines. Le motif était joli, le cadre pittoresque Lesage n'eut garde de laisser échapper une pareille aubaine. Il s'est ingénument approprié l'invention de Guevara (auquel il rend hommage dans une préface): mais au bout de quel

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