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leur rappeloit. De quelle malignité & de quelles plaifanteries pleines de fel attique la Comédie ne devoit-elle pas être affaifonnée ? C'étoient les premiers perfonnages de la République, les Magiftrats, les Gens riches, les Philofophes qu'elle attaquoit & qu'elle livroit à la risée du Peuple. Les Athéniens aimables & frivoles, mais inftruits à fond des affaires publiques, & de tout ce qui pouvoit flatter leur vanité ou intéresser leur gloire, avoient donc tous les matériaux propres à la Tragédie, & à la Comédie, & des hommes de génie pour les mettre en œuvre. Les Romains, au contraire, peuple grave & férieux long-temps pauvre & groffier, endurci aux exercices militaires & aux travaux de la campagne, ne connoiffant d'autre gloire que celle des armes, ignorant les Arts & les Lettres, d'une austérité de mœurs fi grande, qu'elle auroit écarté à jamais toutes les connoiffances d'agréfi elle fe fût confervée dans toute

ment,

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fa vigueur; les Romains, dis-je, avoient à vaincre tous les obftacles du caractère dominant de leur propre Nation, avant que de pouvoir parcourir, avec fuccès, une carrière où ils étoient entrés fi tard.

Plus de cinq cens ans, depuis la fondation de Rome, s'étoient écoulés, lorfque le relâchement des moeurs autorifa l'établissement des Jeux fcéniques. Quelle pouvoit être alors l'érudition des Poëtes? Leur Patrie ne leur en fourniffoit dans aucun genre. Il falloit donc que le génie des Grecs leur fervît de guide & de flambeau; & comme ils n'étoient pas riches de leur propre fonds, ils fe contentoient d'imiter ou de copier les chefs-d'œuvre d'Athènes & les repréfentoient fur leur Théâtre. Cette imitation fervile & forcée, dont les Romains ne s'écartèrent point, même dans le bel âge de la Littérature Latine, nuifit beaucoup au progrès de la Tragédie; & fi la Comédie réuffit mieux, ce n'eft pas que l'Art foit plus facile;

mais c'eft que les vices & les ridicules, à quelques nuances près, font les mêmes dans tous les pays, chez toutes les Nations, qu'ils appartiennent à tout individu, fans distinction de rang & d'état, & que le Poëte comique qui fait les faifir & les peindre avec vérité, eft toujours sûr du fuccès.

L'Art dramatique eft donc le feul où les Romains n'ont pu s'élever jusqu'à leurs Maîtres, tandis que dans tous les autres Arts ils les ont égalés, fur-tout quand la Langue Latine eut acquis cette politeffe & cette urbanité que Térence fut y répandre, & que l'on peut comparer à l'Atticifme des Grecs. Cependant, long-temps avant cette époque, Rome poffédoit un grand nombre d'hommes éloquens. Mais on voit, par ce qu'en dit Cicéron, dans fon Dialogue fur LES CÉLÉBRES ORATEURS, que l'Éloquence étoit encore loin de la perfection. Il paroît même d'après le fentiment de ce grand Homme, que la plu

part des ouvrages de ces anciens Oraméritoient peu d'être lus, & que

teurs,

ceux mêmes auxquels il donne des éloges, & dont la lecture, felon lui, pouvoit être très-utile, étoient ou négligés, ou abfolument ignorés, tels que les Difcours de Caton le Cenfeur, dans lefquels il admiroit la dignité, la véhémence, l'adreffe dans les difcuffions, la nobleffe des pensées, la fineffe des idées, & fouvent même le brillant de l'expreffion, malgré la vétufté de fon ftyle, & tous les autres défauts qui tenoient à la groffièreté de fon fiécle (1).

Ce ne fut que par degrés & à pas lents, que l'Éloquence Latine fe perfectionna. Elle ne fut jamais plus noble, plus impofante, plus majestueufe, que dans les beaux jours de la puiffance & de la liberté de la République. Les Dignités alors & les premières Charges de l'État étoient le but où tendoient

(1) Antiquior eft hujus fermo, & quædam horridiorią verba. Cic. de Clar. Orat. no 17.

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les vœux des hommes éloquens. Leurs difcours portoient le caractère de cette fierté républicaine, accoutumée à traiter en fujets les Rois qu'elle avoit vaineus, & d'égal à égal ceux qu'elle fe propofoit de combattre & de vaincre. Dans ces temps heureux, les Orateurs inftruits à fond du Droit civil & du Droit public, défendoient également, & les caufes des particuliers & celles de l'État. Le Barreau, la Tribune & le Sénat retentiffoient tour-à-tour de leur éloquence; & du plus ou moins de célébrité, dépendoient les honneurs auxquels ils avoient droit de prétendre, & qu'il étoit rare qu'ils n'obtinffent pas. Pompée, fi célébre par fes victoires & par fa défaite à Pharfale, exerça quelque temps le talent de la parole; & il s'y feroit fait la plus haute réputation, s'il n'eût pas préféré la gloire des

armes.

C'est à cette époque que l'Éloquence Latine, parée de toutes les graces du

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