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d'introduire des opinions nouvelles; capables de divifer les efprits, de jeter du trouble dans l'État, & d'ébranler les fondemens fur lefquels repofent la sûreté, la tranquillité, l'existence & la durée des empires. Il étoit trop inftruit, pour ne pas regarder, comme coupable du crime de lèze-majefté divine & humaine, tout Hiftorien, tout Ecrivain, qui, fous prétexte d'éclairer la prétendue imbécillité du peuple, l'invite à brifer les nœuds facrés qui l'uniffent au Corps Politique, & à fe fouftraire à toute autorité divine & humaine qui gêne fa façon de penfer & d'agir, quand elle eft contraire à fon bien individuel & au bien général. Rien donc de repréhenfible dans la conduite de Tite-Live, en qualité d'Hiftorien, quand il n'auroit même envifagé, fa religion, que du côté de la politique. Toute fauffe qu'étoit cette Religion, elle n'en étoit pas moins un frein falutaire. Mais s'il eût eu le bonheur de naître de nos

jours, & que fon berceau eût été éclairé de la lumière de l'Evangile, croit-on qu'avec l'excellent esprit & le bon jugement dont il étoit doué, il auroit imité ces prétendus Hiftoriens, ces Écrivains audacieux, qui déchaînés également contre le Trône & l'Autel, cherchent à renverser l'un & l'autre, & brifant du même coup le fceptre & l'encenfoir, veulent vivre indépendans du ciel & de la terre ? Infidèle comme eux dans les faits, sophiste dans les raifonnemens, audacieux dans les pensées, téméraire dans les réflexions, toujours inconféquent & fuperficiel, auroit-il, à leur exemple, employé le mensonge les farcafmes les plus amers, & les plaifanteries les plus groffières, contre une Religion dont tout annonce, tout démontre, & tout prouve la Divinité ? Tite-Live étoit Prêtre des faux-Dieux: & s'il l'avoit été du yrai Dieu, pourroiton, après avoir fait une lecture attentive & réfléchie de fon hiftoire, & s'être

affuré de l'efprit dans lequel elle est écrite, pourroit-on penfer qu'il eût été capable d'abjurer fon état, pour blafphémer le Dieu qu'il avoit juré de faire adorer? Loin donc d'envifager fimplement alors cette Religion du côté de la politique, & d'en impofer par des prodiges menfongers, il l'auroit appuyée d'une foule de faits plus clairs que le jour, & fe feroit attaché à la faire regarder & refpecter, comme le plus ferme foutien des Trônes, & comme la force & le falut des Empires & des peuples qui les compofent.

Nous ne cherchons point ici, à excufer entièrement l'attention de Tite-Live, à configner dans fon hiftoire, tous les prodiges qu'il avoit trouvés dans les Fastes de la République & de l'Empire. S'il avoit eu à écrire pour un peuple moins fuperftitieux, & plus éclairé fur les Loix de la Nature, peut-être en auroit-il retranché un grand nombre. Mais nous difons que le premier de

voir de l'Hiftorien eft d'être exact & fidèle. Si dans le cours de l'hiftoire

qu'il écrit, il fe préfente quelques faits extraordinaires, quelque événement furnaturel, dont il foit obligé de rendre compte, foit parce qu'une tradition non interrompue les a confacrés, foit parce qu'ils n'ont point été contestés dans les temps où ils font arrivés, ni depuis ; il doit alors les raconter, tels que la tradition les a tranímis à la postérité. Manquent-ils à fes yeux de vraisemblance ou de vérité? Il peut y porter le flambeau de la critique, mais avec une fageffe & une retenue qui lui gagnent la confiance des gens de bonne foi, & qui éclaire les doutes des Savans & des gens inftruits. Il est même de l'art de l'Hiftorien, de laiffer à l'amour-propre du Lecteur, le plaifir fecret de croire, que c'eft lui qui approfondit, qui difcute & qui juge au lieu qu'il de révolte, en voulant le fubjuguer. On doit, en

prétend raisonner (1) l'Hiftoire, parce que, livré tout entier à fon propre fentiment, à fon opinion particulière, à fes préjugés, il ne fe fait pas un fcru

(1) C'eft M. Gaillard qui a dit le premier dans la Préface de fon Hiftoire de Charlemagne (pag. 7) que. L'Hiftoire devoit non-feulement être racontée, mais raifonnée.... Que l'Hiftorien ne doit point s'en rapporter à la fagacité du Lecteur, qu'il doit le provoquer, qu'il doit Paider par des réflexions. J'en demande pardon à M Gaillard; mais je fuis de l'avis de ceux qui lui ont répondu (pag. 8). Racomez-nous les faits, & laissez-nous juger. Il faut en effet avoir un furieux fonds d'amour propre, pour croire être une lumière fupérieure: pour penser que fes réflexions fixeront celles du Lecteur le plus attentif (pag. 9): pour s'imaginer enfin qu'il n'y a que foi feul capable de raifonner. J'avouerai que les formules de la Philofophie nouvelle, ont à la vérité changé toutes les idées reçues, en fait de Poésie, d'Hiftoire, d'Éloquence & de Morale. Je fais que les Philofophes de nos jours difent: Jeune homme, prends & l ́s : J'ai vécu. Ce ton impératif en impose: à qui ? Je le demande à M. Gaillard? eft vrai que cet Écrivain ne fe feit pas

tout à fait de ce on impofant: mais au fond on s'apperçoit qu'il veut être le tyran de fon Lecteur ; il veut qu'il ne voie que par fes yeux; qu'il n'ait d'autre efprit que le fien; qu'il ne penfe & ne raisonne que d'après lui. Mais i l'Hiftorien raifonne gauchement, pefainment, longuement; s'il differte à perte de vue; s'. provoque l'affoupiffement; fi pour faire étalage d'érudition, il cite

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