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temps où tous les vices étoient affis fur le Trône, & où Séjan leur infâme Miniftre fe plaifoit à perfécuter les gens vertueux. Phédre en fouffrit parce que l'éloge qu'il faifoit de la vertu paroiffoit être aux yeux du Miniftre, la fatire de ses mœurs corrompues.

Le temps de la décadence étoit arrivé. Le beau règne de la Littérature Grecque avoit eu la plus longue & la plus heureuse durée, tandis qu'à peine formé, on avoit vu difparoître celui de la Littérature Latine, toute, rayonnante encore qu'elle étoit de la fplendeur & de l'éclat que les Cicéron, les Horace & les Virgile avoient répandus fur tous les objets qu'elle embraffe. Cette révolution eut des fuites fâcheufes & durables, parce qu'il eft difficile de rétrograder fur foi-même, quand c'eft l'amourpropre qui nous égare. D'ailleurs les régnes odieux & les mœurs effrénées des Tyrans fucceffeurs d'Auguste

n'étoient pas faits pour rallumer le génie de l'ancienne Eloquence, entièrement éteint depuis la mort de Cicéron. Plus le mauvais goût faifoit de progrès, plus le nombre des détracteurs frivoles de ce grand Homme groffiffoit. Chacun d'eux le jugeoit à fa mode, fans néanmoins pouvoir s'accorder fur les défauts qu'on s'efforçoit en vain de lui trouver. Ne lui reprochoit-on (1) pas, même de fon vivant, un ftyle ampoulé,

(1) Quem tamen & fuorum homines temporum inceffere audebant ut tumidiorem & Asianum & redundantem & in repetitionibus nimium, & in falibus aliquando frigidum, & in compofitione fractum, exultantem, ac penè (quod procul abfit) viro molliorem.... Ille tamen qui jejunus à quibufdam & aridus habetur, non aliter ab ipfis inimicis male audire, quàm nimiis floribus & ingenii affluentia potuit. Falfum utrumque, fed tamen illa mentiendi propior occafio. Præcipue verò prefferunt eum, qui videri Atticorum imitatores concupierant............. Unde nunc quoque aridi, & exucci, & exangues (hi funt enim qui fuæ imbecillitati, fanitatis appellationem, quæ eft maxime contraria, obtentant) quia clariorem vim eloquentiæ, velut folem ferre non poffunt, umbra magni nominis delitefcunt. QUINTIL. Infi, Orat. Lib. XII, Cap. X, pag. 895 & 896.

afiatique, plein de répétitions, & fouvent de mauvaises & froides plaifanteries? Ne l'accufoit-on pas d'aimer trop à égayer fa compofition, qu'on taxoit d'ailleurs d'être lâche, & ce qui eft pis encore, d'être molle & efféminée? Quelle étrange contradiction d'entendre encore aujourd'hui quelques-uns de nos beaux Efprits, dire que le ftyle de cet Orateur eft fec & maigre; tandis, au contraire, qu'on lui reprochoit alors d'être trop abondant, & de mettre trop d'efprit & de fleurs dans fes écrits! Mais fes plus dangereux ennemis étoient ces Orateurs fecs & arides, fans chaleur & fans vie, qui, ne pouvant foutenir l'éclat de fa brillante & folide éloquence, fe piquoient d'imiter le ftyle Attique, s'en déclaroient hautement les défenfeurs, & s'imaginoient pouvoir, à l'abri d'un fi grand nom, cacher les défauts de leurs froides & languiffantes compofitions. Rien de plus faux & de plus injufte que tous ces jugemens ;

mais auffi rien ne prouve mieux l'embarras du mauvais goût, lorfqu'il veut juger; tout démontre combien il est peu d'accord avec lui-même, & qu'il eft toujours guidé par l'orgueil, l’injuftice, & fur-tout par l'ignorance. Dans cette confufion de fentimens & d'opinions, chacun fuivit fon goût par instinct, fans méthode & fans règles, & l'Art ne dépendit plus que du caprice & de la fantaifie des Orateurs.

Tels furent les triftes effets du BelEfprit fur l'Eloquence: le mal avoit commencé dès le fiécle même d'Augufte; & Sénèque le rendit depuis irréparable. Ce Philofophe qui, fuivant Tacite, avoit un tour (1) d'efprit agréable, & propre à flatter les oreilles de fon temps, étoit devenu l'idole des jeunes gens (2): il ne ceffoit de dé

(1) Fuit illi viro ingenium amænum & temporis ejus auribus accommodatum. TACIT. Annal. XIII, 3.

(2) Tum autem folus hic fere in manibus adolefcen

crier les meilleurs Écrivains qui l'a voient précédé. Il fentoit que fa manière d'écrire étoit bien différente, & qu'il lui feroit très-difficile de la faire goûter à ceux qui étoient nourris de la lecture

tium fuit. Quem non equidem omninò conabar excutere, fed potioribus præferri non finebam, quos ille non destiterat inceffere, cum diverfi fibi confcius generis, placere fe in dicendo poffe iis, quibus illi placerent, diffideret. Amabant autem eum magis, quàm imitabantur, tantùmque ab illo defluebant, quantùm ille ab antiquis defcenderat.... Sed placebat propter fola vitia, & ad ea fe quifque dirigebat effingenda, quæ poterat : deinde cum fe jactaret, eodem modo dicere, Senecam infamabat. Cujus & multæ alioqui, & magnæ virtutes fucrunt ingenium facile & copiofum, plurimum ftudii, multarum rerum cognitio..... Tractavit etiam omnem ferè ftudiorum materiam. Nam & Orationes cjus, & Poemata, & Epiftolæ, & Dialogi feruntur. In Philofophia parum diligens, egregius tamen vitiorum infectator fuit. Multæ in eo claræque fententiæ, multa etiam morum gratia legenda: fed in eloquendo corrupta pleraque, atque eò perniciofiffima, quòd abundant dulcibus vitiis. Velles cum fuo ingenio dixiffe, alieno judicio. Nam fi aliqua contempfiffet, fi parum concupiffet, fi non omnia fua amaffet fi rerum pondera minutiffimis fententiis non fregiffet; confenfu potiùs eruditorum, quàm puerorum amore comprobaretur. QUINTIL. Inft. Orat. Lib. X, Cap. I, pag. 754 & 756.

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