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des Anciens, & qui en fentoient tout le prix. Il réuffit néanmoins à force d'intrigue & d'applaudiffemens mendiés, à fe faire un grand nombre de part:fans qui l'aimoient plus qu'ils ne l'imitoient; car ils ne lui reffembloient pas plus, qu'il ne reffembloit lui-même. aux Anciens. Mais c'étoient fes défauts qu'ils aimoient, & chacun en copioit le plus qu'il pouvoit, puis fe vantoit enfuite d'écrire & de parler comme lui, & par-là le rendoit ridicule & le déshonoroit. Ce n'eft pas que Sénèque ne poffédât d'excellentes qualités, un efprit facile & fécond, beaucoup d'études & de grandes connoiffances. Il n'y a prefque point de genre d'étude qu'il n'ait embraffé, Poéfie, Eloquence, Philofophie, Traités de Morale, Dialogues, Epîtres, tout étoit de fon reffort. Ses ouvrages renferment de très-belles penfées; on y trouve fur les mœurs beaucoup de bonnes chofes, dont la lecture peut être utile. Mais fon ftyle eft

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prèsque par-tout entièrement corrompu, & d'autant plus dangereux à imiter qu'il eft plein d'agréables défauts. On regrette, en le lifant, qu'un fi belefprit n'ait pas plutôt fuivi le goût d'un autre que le fien. S'il eût rejeté certains agrémens trop recherchés, s'il n'en eût pas employé tant d'inutiles; fi, moins amoureux de fes productions, il n'eût pas affoibli, par des penfées minutieufes, le poids & l'intérêt des matières qu'il traite l'approbation des Savans, bien mieux que le goût peu formé des jeunes-gens, feroit aujourd'hui fon éloge.

L'afcendant que Sénèque prit fur fon fiecle, ne vint que de l'abandon qu'on avoit déja fait des règles févères du Goût & de la Raifon fon exemple acheva de tout perdre. Interrogé par un de fes amis fur les caufes de la corruption (1) de l'Éloquence, il fe

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(1) Quare quibufdam temporibus provenent corrupti generis oratio quæris.... Quemadmodum autem unius

juge & fe condamne lui-même, fans s'en appercevoir. Chacun, répond-il, fe peint dans fes Écrits: fa manière d'écrire eft quelquefois l'image des moeurs publiques. Le luxe corrompt tout. Dès que la fimplicité eft bannie des mœurs, qu'elles font fans principes & fans règle, que tout eft raffinement, caprice & nouveauté, l'Éloquence fuit le torrent: elle ne recherche plus que ce qui eft brillant, extraordinaire ou

cujufque actio dicenti fimilis eft, fic genus dicendi aliquando imitatur publicos mores. Si difciplina civitatis laboravit, & fe in delicias dedit, argumentum eft luxarie publice orationis lafcivia... Cùm affuevit animus fatlidire quæ ex more funt, & illi pro fordidis folita funt; etiam in oratione quod novum eft, quarit.... Modò id, quod nuper increbuit, pro cultu habetur audax tranflatio ac frequens..... Non tantùm in genere fententiarum vitium eft, fi aut pufillæ funt & pueriles, aut improbe & plus aufæ quàm pudore falvo licet: fed G florida funt & nimis dulces, fi in vanum exeunt & fine effectu, nihil amplius quàm fonant.......... Oratio..... nulli molefta eft, nifi animus labat. Ideò ille curetur. Ab illo fenfus, ab illo verba exeunt ...、 illo fano ac valente, oratio quoque robufta, fortis, virilis eft.... Rex nofter eft animus. SENECA Epift. 114,

hazardé. Elle ne fe plaît à mettre au jour que des pensées vaines & puériles, hardies & outrées jufqu'à l'excès: par-tout elle emploie un style affecté, recherché, fleuri, une élocution éclatante; & tout cet étalage ne produit qu'un fon vain, & rien de plus. (Ne diroit-on pas que Sénèque parle ici de cette Eloquence tant de fois couronnée de nos jours)! Dans une ville, le luxe de la table, des habits & des ameublemens, prouve le déréglement des mœurs; de même le ton général & public de l'Éloquence eft une preuve que les efprits font dépravés & corrompus. Si l'on veut réformer l'Éloquence, il faut d'abord en purifier la fource. C'eft donc l'efprit qu'il faut guérir. Quand il eft fain & vigoureux, l'Éloquence eft mâle & robuste; elle est foible & languiffante, quand il est énervé. En un mot, l'efprit eft notre maître; c'est l'organe de l'ame; il commande à nos penfées', c'est lui

qui les fait éclore, qui les anime, & tout obéit à fes impreffions.

Comment un homme, qui parle avec tant de goût, tant de jufteffe & de fentiment de l'Eloquence, peut-il être tombé dans les défauts qu'il condamne lui-même, comme la fuite d'un goût extraordinaire & dépravé? Comment, lorfqu'il dit qu'il ne faut, pour répandre & multiplier le mauvais goût, que l'exemple d'un feul homme accrédité par fes intrigues, par le fol enthousiasme de fes partifans, par une jeuneffe ignorante ou peu éclairée, comment, dis-je, Sénèque n'a-t-il pas fenti qu'il fe peignoit lui-même ? C'est qu'il étoit jaloux de la gloire des anciens. Accoutumé à réfléchir fans ceffe il n'ignoroit pas que la jaloufie, ce fentiment fi bas & fi vil, est un vice du cœur qui fe communique à l'efprit, & lui découvre fecrétement dans les autres, des vertus & des qua

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