Imágenes de páginas
PDF
EPUB

lités fupérieures qu'il n'a pas, qu'il ne peut avoir, & qui font fon défespoir. Si la Philofophie ne garantit pas Sénèque, de cette honteufe foibleffe, fi elle ne le guérit pas de la foif de l'or, quoiqu'il écrivît fur le mépris des richesses; fi cette mère des bonnes actions & des bons écrits (1), comme l'appele Cicéron,

n'a

pas préfervé ceux de ce Philofophe des faux brillans du Bel-Efprit, elle les a du moins toujours dirigés vers l'utile & l'honnête. C'eft elle, qui, au milieu de la plus horrible corruption, lui a dicté cette quantité de fages maximes & de belles fentences répandues, avec une espèce de profufion, dans fes ouvrages, pour ramener à la vertu & la faire aimer, pour combattre le vice & en infpirer de l'horreur. Plût au Ciel que certains Écrivains de nos jours, euffent en tout imité Sénèque ! Beaux Efprits accrédités devenus

[ocr errors]
[ocr errors]

() Matrem omnium bene factorum beneque dicosum. Cic. de Clar. Orat. n° 93.

comme lui par leur manège & leur char latanifme , par leurs clameurs contre les Anciens, les idoles de la multitude, ils n'auroient du moins, à fon exemple, corrompu que la Littérature: mais fe couvrant du manteau & du mafque de la Philofophie, ils en ont impofé fous ce déguisement, & ne s'en font fervi que pour répandre, avec plus d'audace & de sûreté, leurs dangereufes & coupables maximes. Quand on pense que c'eft fous le régne affreux de l'infâme Néron, que Sénèque a ofé élever la voix en faveur de la vertu; que c'eft fous les yeux du Prince le plus impie & le plus cruel, qu'il a écrit de la Providence & de la Clémence, on ne peut s'empêcher de louer & d'admirer fon courage malheureusement la base, fur laquelle il étoit appuyé, étoit trop foible, puifque ce Philo fophe, malgré ce grand étalage de fentimens vertueux, n'a pas rougi d'être FApologifte de l'affaffinat d'Agrippine,

commis par fon indigne fils. Tant il eft vrai que la fageffe humaine livrée à elle-même, n'eft fouvent qu'orgueil & rarement vertu.

Tandis que le Bel-Efprit fans chaleur refroidiffoit la pensée, & portoit le dernier coup à l'Éloquence, il hâtoit en même-temps la ruine de la Poésie. En effet la Mufe Latine dépouillée de fes vraies beautés, furchargée de faux ornemens montée fur des échaffes, abandonnée au délire d'une imagination déréglée, & cachant fa maigreur réelle fous une bouffiffure empruntée, ne put enfanter que des productions difformes, telles que la Pharfale. Ce Poëme, dont les défauts fans nombre effacent le peu de beautés qu'il renferme, eft à la vérité l'ouvrage du jeune âge de l'Auteur : mais ce n'eft point une excufe. Il eft même plus que douteux que Lucain, enlevé à la fleur de fon âge, eût fait mieux, fi de plus longs jours euffent

doute eft fondé fur le caractère propre de ce Poëte. La Nature lui avoit refufé cette fineffe de tact, cette délicatesse de goût, dont le germe naiffant s'apperçoit dès les premières productions, fe développe, s'étend, s'accroît, fe for tifie, à mesure que les idées mûriffent à l'aide de l'étude & de la réflexion : or Lucain, privé de ces dons naturels auroit toujours été bourfoufflé fans fubftance, & gigantefque fans être grand. On ne peut guères en juger autrement après une lecture attentive & raisonnée de la Pharfale. Choix du fujet, ordonnance, unité, élégance de ftyle, harmonie, précision, tout y manque. Croit on que l'absence de ces beautés effentielles, qui conftituent la perfection de tout ouvrage, quel qu'il foit, puiffe être fuppléée par quelques beaux vers, quelques pensées fortement exprimées, quelques images agréables & brillantes, & par des détails heureux, quand ces élans paffagers de l'efprit font gâtés par l'en

flure, & refpirent le faux fublime ! A qui pourra-t-on perfuader que Lucain, s'il eût vécu, fe feroit apperçu de ces défauts, & qu'il les auroit corrigés de lui-même, quand il eft évident qu'ils couloient de fource, & qu'ils tenoient à la trempe de fon efprit? Quand le mauvais goût de fon temps les regardoit, les admiroit comme de véritables beautés? Quand enfin ce Poëte, ayant devant les yeux les plus parfaits modèles de l'Art, Homère & Virgile, n'a pas eu affez d'ame pour en fentir le prix, & s'en eft entièrement écarté? Puis donc que le fentiment du beau & du vrai lui manquoit, comment auroit-il réformé fon ouvrage? Et fi l'on jete les yeux fur la ftructure du Poëme, y trouvet-on ce plan régulier, cet accord harmonieux, cette fuite de belles & grandes idées, qui annoncent la jufteffe, la force, la fageffe & l'étendue de l'imagination? Tout annonce, au contraire, que la

« AnteriorContinuar »