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aucun même ne les avoit tirés de la pouffière où ils étoient enfevelis; perfonne n'étoit en état de les étudier. Il falloit donc fe contenter des productions barbares de l'ignorance, puifqu'on ne pouvoit pas franchir l'intervalle immenfe qui féparoit encore ces fiécles de barbarie, des fiécles éclairés qui devoient les fuivre. Les Troubadours, par leurs Comics & leurs Jongleurs, qui jouoient, déclamoient, chantoient, ou récitoient leurs Contes & leurs Fabliaux, avoient donné l'idée d'une action dialoguée. Les juftes anathêmes de l'Eglife, lancés contre ces corrupteurs publics des mœurs, avoient jeté une terreur falutaire dans les efprits. On étoit dévot & fcrupuleux, & on avoit pris en horreur tout ce qui portoit le nom de comique, de Farceur, de Jongleur, en forte qu'on fe foucioit peu d'adopter le genre de leurs pièces. Les Poëtes fottement zélés, pour éviter tout blâme,& mériter des Éloges, fe mirent

alors à compofer des Pièces, où ils firent entrer tout ce que la Religion a de plus faint & de plus redoutable, & l'ignorance,

<«<< Joua les Saints, la Vierge & Dieu par piété ». BOILEAU. Art. Poétique.

Telle eft l'origine des premièresPièces, représentées en France, fous le titre de Mystères. Ils firent long-temps l'amufement de nos Aieux, qui, loin d'y foupçonner la moindre profanation, y affiftoient dévotement, & en revenoient fouvent attendris, pénétrés & convertis. Ces Spectacles avoient une fi grande yogue, qu'on avançoit quelquefois l'heure des Offices de l'Églife, pour donner aux Prêtres qui y jouoient (1) les principaux rôles, & au Peuple le temps d'y affifter.

La marche de l'efprit humain a toujours été la même. Ce n'eft que lente

(1) Hiftoire du Théâtre François, Tom. II, pag. 285

& 286.

ment, & à mesure qu'il reçoit de nouvelles lumières, qu'il perfectionne & polit ce qu'il invente. Voyez chez les Grecs quelle a été la naiffance de la Tragédie. Un Vigneron trouve un Bouc, qui ravageoit fa vigne; il le faifit & l'immole fur le champ à Bacchus : des Payfans, témoins de l'aventure, fe joignent au facrifice, & forment autour de la victime, des danfes & des chants en l'honneur du Dieu protecteur des raifins. Cette fête fe renouvelle l'année fuivante, devient infenfiblement une folemnité, étale un fpectacle impofant qui frappe l'imagination, & fe change bientôt en une cérémonie religieufe, qu'il n'eft plus poffible d'abolir. C'étoit au temps des vendanges que fe célébroit cette fête. On fent bien qu'ivres de joie & de vin, ces Payfans chantoient tous ensemble, & que leurs chants & leurs danfes n'avoient rien de régulier. Thefpis joignit à l'idée que lui donna ce fpectacle, celle d'ajouter un.

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Episode analogue au fujet, qu'un feul Acteur récitoit dans l'intervalle de la Pièce, afin de laiffer aux Chanteurs aux Muficiens & aux Danfeurs le temps de fe repofer. Mais fans dialogue point de Tragédie. Efchyle enfin parut : il introduifit un second Acteur, & voilà la Tragédie formée. Qu'on parcoure le temps qui s'est écoulé depuis le Bouc immolé, jufqu'à Thefpis; & depuis Thefpis, jufqu'à Efchyle; on fera étonné de la lenteur avec laquelle marche l'efprit humain, pour parvenir à la perfection.

Il étoit donc impoffible que nos Aïeux la connuffent cette perfection, puifque, indépendamment des obftacles que leur oppofoit la Nature, ils étoient plongés dans une ignorance brute & volontaire. Quels fujets d'ailleurs pouvoientils choifir? Dans quelles fources pouvoient-ils puifer? L'Eglife condamnoit les fpectacles profanes il n'y avoit donc que la Religion qui pût leur fournir

des fujets de Drame. Ils s'expofoient fans doute au fcandale, & il étoit difficile de l'éviter. Nous l'avouerons ingénuement, nous les trouvons plus dignes de pitié que de blâme. Mais, diront nos Beaux-Efprits modernes, n'eft-ce pas, en effet, une profanation condamnable, que de repréfenter fur un Théâtre les Myftères les plus auguftes & les plus facrés de la Religion? Nous en convenons ; & nous fommes bien éloignés d'approuver cet abus. Mais il eft aifé de voir, en confultant les circonftances, en approfondiffant les motifs qui ont donné naiffance à ces fpectacles, & en faififfant l'efprit qui les a conduits, que leurs Auteurs, ni les Acteurs ne font coupables d'aucune profanation, puifque leur deffein étoit d'édi fier, de toucher, & qu'ils ont atteint le but qu'ils fe propofoient. Pourroit-on dire la même chofe des Drames de nos jours, la plupart déteftables, dans lefquels nos Beaux-Efprits infultent de

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