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fageffe & la vérité euffent conduit fa plume. Il avoit en lui tous les moyens

de féduire & de plaire : il en a malheureufement abufé, & les plaies qu'il a faites aux Moeurs & aux Lettres font trop profondes pour qu'elles puiffent se guérir de fitôt.

Nous n'ignorons pas qu'en difant avec une liberté impartiale, notre sentiment fur cet Homme célèbre, nous allons foulever tout le Voltérianifme,déja depuis long-temps prévenu contre nous, parce qu'il nous regarde comme fon ennemi perfonnel. Quintilien effuya le même reproche au fujet de Sénèque: fa juftification eft la nôtre: nous nous fervirons: des mêmes termes que lui. On s'ima gine (1) non-feulement que nous le condam

(1) Ex induftria SENECAM in omni genere eloquentiæ diftuli, propter vulgatam falfo de me opinionem quâ damnare cum, & invifum quoque habere fum creditus. Quod accidit mihi, dum corruptum & omnibus vitiis fractum dicendi genus revocare ad feveriora judicia contendo. Tum autem folus hic fere in manibus adolefcentium fuit. Quem non equidem omnino conabar excutere, fed potioribus præferri

nons par humeur, mais que nous le haïf fons perfonnellement. A Dieu ne plaise. Notre zèle s'eft allumé, en voyant un déluge de vices inonder toute la Littérature & corrompre l'Eloquence. Nous avons réfifté au torrent, & nous avons voulu rappeler un goût plus févère. Or de tous les Auteurs, Voltaire eft prefque le feul qu'on life avec plaifir, qu'on cite avec affectation, & un monde peu les jeunes gens, inftruit, incapable même de juger, admirent exclufivement. Nous ne prétendons pas néanmoins leur en interdire la lecture. Mais

que

peut-on fouffrir qu'ils le préfèrent à tant d'autres Ecrivains qui valent mieux que lui, & qu'il n'a ceffé de décrier, fentant bien qu'il ne parviendroit jamais à faire goûter La manière d'écrire à ceux qui font nourris de la lecture des anciens Ecrivains, dont la fupériorité eft inconteftable?

non finebam, quos ille non deftiterat incessere, cùm diverfi fibi confcius generis, placere se in dicen lo poffe iis, quibus illi placerent, diffideret. QUINTIL. Inftit. Orat. Lib. X., Cap. I. pag. 754 & 755,

Au refte, nous nous devons à la vérité. Voltaire eft-il égal aux Rois? Fautil attendre plufieurs Siécles, pour parler de fon régne fans crainte & avec liberté ? Faut-il laiffer écouler, jufqu'au dernier flot de ses admirateurs indifcrets, qui l'ont étouffé de la fumée de leur encens mortel, au retour de fon long exil? Si le bruit de fa célébrité retentit encore au loin, s'il paroît toujours un coloffe à travers les vapeurs épaiffes de l'encens qu'on lui a prodigué, fi l'enthousiasme d'une partie de la génération présente dure encore, fi les injures qu'il a mifes en ufage font employées contre tout Auteur qui ofera le juger; ce bruit ne fera bientôt plus qu'un vain fon, ces vapeurs groffières fe diffiperont, cet enthousiasme ne paffera pas à la géné ration fuivante, les injures tomberont d'elles-mêmes, le temps & la vérité déchireront le voile de l'illufion, & Voltaire enfin paroîtra ce qu'il eft. On

affis près de l'Autel du Dieu du Goût, déchirant lui-même les trois quarts de ses ouvrages, d'après les confeils qu'il a mis dans la bouche de la Critique, à laquelle il fait jouer un rôle fi févère dans fon Temple du Goût.

Quoique le Génie de la Tragédie eût fuivi Corneille & Racine au tombeau, le Bel-Efprit, par le fuccès éclatant d'Edipe, fembloit promettre encore de beaux jours au Théâtre; & ce préfage ne fut point trompeur, l'Auteur d'Edipe & de Brutus le réalifa. Heureux fi, comme le dit Quintilien de Sénèque (1), ce BelEfprit eût été moins enorgueilli de fon mérite, & s'il eût confulté ou fuivi le goût d'un autre, au lieu du fien. Mais lorfqu'il parut, l'engouement pour la nouveauté dominoit déjà depuis longtemps. La frivolité étoit l'ame de tous les Écrits: on ne s'occupoit plus que de

(1) Velles eum fuo ingenio dixisse, alieno judicio, QUINTIL. Inftit. Orat. Lib. X, Cap. I, pag. 756.

DES MŒURS. 383 la lecture des Romans. Une plume délicate, agréable & fenfible (1), exercée d'ailleurs à des ouvrages utiles & férieux, les mit encore plus à la mode; on en fut inondé. Quelque décens qu'ils fuffent, leur lecture emportoit une partie précieuse du temps, laiffoit l'efprit vuide ou rempli de chimères, & faifoit naître ou réveilloit les paffions. Cependant fi le Bel-Efprit fe fût contenté de fomenter

(2) Ľ’Abbé PRÉVÔT D'EXILES, Auteur des MéMOIRES d'un Homme de Qualité, & de plufieurs autres Romans, où régne une fombre & tendre mélancolie; mais dangereux par la vivacité des fituations & la molleffe des fentimens, malgré la morale qui y eft répandue avec une forte de profufion. Malheureusement elle n'eft qu'en maximes, & le vice en action. L'Abbé Prévôt s'eft fait une réputation plus folide par fes nombreux ouvrages, aufli utiles qu'intéreffans, tels que l'HisTOIRE générale des Voyages; PHISTOIRE de la Vie de Cicéron, le Pour & Contre, &c. &c. Une imagination riche & féconde, un efprit facile, un goût quelquefois peu sûr, un ftyle abondant & agréable, caractérisent toutes fes productions. Il feroit au premier rang des meilleurs Écrivains, fi une critique févère, & une fituation plus heureufe, l'euffent mis en état de corri

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