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chez les Grecs la ruine de la véritable Éloquence, n'influa point fur la Poéfie, qui fe conferva pure depuis Homère juf qu'à Théocrite; tandis qu'à peine avoitelle été portée chez les Romains au plus haut degré de fplendeur, elle fuivit la chûte rapide de l'Éloquence. Les Muses Françoises n'ont pas été plus heureufes que les Mufes Latines. C'eft précifément dans ce Siécle de lumières que notre Poéfie a vu ses grâces difparoître & fon éclat s'évanouir. Ce n'est plus de fentimens & d'images qu'elle fe nourrit aujourd'hui : pâle & décolorée, à peine la diftingue-t-on de la plus foible profe: elle ne fe nourrit que d'emprunts, de fentences & de maximes: tous les genres fe confondent, s'altèrent & fe perdent on ne rit plus, on ne pleure plus: au lieu de ces émotions délicieuses, de ces pleurs doux & involontaires que nous faifoit éprouver, & que nous arrachoit une heureuse & touchante fituation, ce font des fer

remens,

remens, des déchiremens de cœur in fupportables, dont on fort comme de ces rêves fuffoquans & pénibles, que causent des fituations fouvent horribles & toujours forcées.

A quoi la Scène Françoife eft-elle en effet réduite aujourd'hui ? La Terreur & la Pitié en font bannies; mais la fombre HORREUR y régne. Il femble que les Poëtes prennent à tâche de dénaturer le genre tragique. Comme ils ignorent l'art de remuer les paffions, de toucher, d'attendrir & d'intéreffer, ils fe contentent de flétrir le cœur, de noircir l'imagination, de forcer les Spectateurs à détourner les yeux des objets atroces qu'ils offrent à leurs regards. Melpomène ne paroît plus que` couverte des lambeaux dégoûtans de Shakespear. On diroit que les Poëtes, à l'envi, fe difputent entr'eux à qui noircira le plus la Scène. Incapables d'atteindre à la charmante & fublime fimplicité de Racine, ils n'ont que la

miférable reffource de franchir toutes les régles, de multiplier les coups de Théâtre, d'augmenter la pompe du Spectacle, de frapper les yeux, de laiffer l'efprit vuide & le cœur dans une angoiffe infupportable. On n'a pas fenti, qu'en admettant ce genre barbare, on alloit changer les mœurs de la Nation. Comment les femmes, dont la douceur eft le partage, qui treffaillent à toute émotion, dont les fenfations font fi vives & les nerfs fi délicats, ont-elles pu s'accoutumer à toutes ces horreurs tragiques, qui ne font rachetées ni par la beauté des vers, ni par le charme du flyle & la richeffe de l'expreffion, ni par la nobleffe & l'élévation des pensées ? Quelques froides fentences, des maximes audacieuses & hardies en font le feul mérite. Ce font là pourtant les productions monftrueufes que ce Siécle oppofe aux Cinna, aux Rodogune, aux Phèdre & aux Athalie. On n'a pas honte aujourd'hui de dire qu'on eft dé

ni

goûté de la fimplicité de ces chefs-d'œuvre, où tout eft développement & où le Poëte parle à l'ame plus qu'aux yeux (1). C'est un de BELLOY, qui trouvant, à fon arrivée en France, le goût corrompu, vient des contrées du Nord, achever de le perdre, en introduifantfur la Scène, le genre le plus atroce (2), étayé des plus mauvais vers ! C'est le froid Auteur de Spartacus (3), qui,

(1) Voyez VIE DE BELLOY, page 29, Tom. I, de fes Œuvres complettes, 1779.

(2) Gabrielle de Vergy. Les vers de Chapelain & de Pradon ne font rien au prix de ceux de Belloy. Cependant le malin Vieillard de Ferney lui écrivoit au sujet de Zelmire: « Vous aimez le ftyle de Racine, & vous » avez vos raisons pour cela.... Vous joignez à la beauté des vers, le mérite de l'action théâtrale ». La beauté des vers de Belloy! Oh! comme il se moquoit! Je suis sûr que ce bon Vieillard pouffoit de rire, en écrivant fa lettre. De Belloy la rapporte avec confiance, tant l'amourpropre eft aveugle! comme un titre qui l'égale à Racine. Pour moi je ne reviens point de la beauté des vers de de Belloy. Voyez la Préface de ZELMIRE, pag. 196, Tom. I.

(3) SAURIN, de l'Académie Françoife, Auteur de Beverlei, Drame imité de The Gamefter, A Tragedy,

choififfant fes fujets aux fourches de (1) Tyburn, arme d'un poignard le défefpoir & la fureur infensée d'un Père, pour l'enfoncer dans le cœur d'une innocente victime, d'un enfant plongé dans le plus doux fommeil ! Tandis que l'Auteur Anglois n'a pas ofé hafarder ce fpectacle horrible fur le Théâtre de fa Nation! O François ! vous fouffrez fur le vôtre de pareilles horreurs, vous en raffafiez vos yeux, vous les applaudiffez! Qu'eft donc devenu votre caractère fi doux, fi compatiffant, fi humain? Quel eft le but de ceux qui veulent vous rendre féroces & barhares, fous prétexte d'étendre les bornes de l'Art & d'augmenter vos plaifirs? Ils ne rougiffent pas de vous dire ;

c'est à dire, le Joueur, Tragédie. On prétend que ce font des femmes, qui ont engagé Saurin à mettre fur la Scène l'horrible catastrophe de l'Enfant, que l'Auteur du Joueur, M. Lillo, a prudemment écartée des yeux des Spectateurs Anglois.

(1) Lieu où l'on exécute les Criminels, à Londres,

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