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» cours ordinaire des chofes, les préfents s'emparent des biens des abfens, » & que les hommes vigilans, intrépides » & laborieux, dépouillent à leur gré » les hommes lâches & fainéans. Voyez jufqu'à quel point il porte l'arrogance? » Il ne vous laiffe pas même le choix » de la paix, ou de la guerre. Il vous » menace il tient des propos infultans: » fes premières conquêtes ne fuffifent » pas à fon ambition démefurée : il tente » chaque jour de nouvelles entreprises; » & tandis qu'affis & les bras croifés, » vous délibérez tranquillement, » avance toujours & vous enveloppe de » toutes parts. Qu'attendez-vous donc » pour agir? Que la néceffité vous y » force? Eh! quelle néceffité plus pref

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il

fante, pour des hommes libres, que » la honte d'être déshonorés par leur » lâche conduite? Vous verra-t-on fans » ceffe aller & venir dans la place pu

quement les Prix, pour exciter dans ceux qui y prétendoient, un plus grand defir de les remporter.

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» blique, en vous demandant les uns >> aux autres : y a-t-il quelque nou» velle? Eh! quelle nouvelle plus » étrange qu'un Macédonien vainqueur » des Athéniens, & maître abfolu de la » Grèce ? Philippe eft mort. Non; il » n'est que malade. Qu'il vive ou qu'il » meure, que vous importe? s'il venoit » à mourir ne vous feriez-vous pas » auffi-tôt un autre Philippe, puifque » celui-ci ne doit tous fes fuccès qu'à » votre fatale fécurité ? Sortez, au nom » des Dieux, fortez de cette funeste

inaction, il en eft temps encore; & fi » vous chériffez la liberté, hâtez-vous, » courez aux armes, levez des troupes,

équipez une flotte, & renverfez les » deffeins ambitieux du Roi de Macé» doine ». Ses difcours enflammés rallument & font renaître dans les cœurs, le courage & l'efpoir; éclairent les Athéniens fur leurs propres périls; oppofent aux mauvais confeils, dont ils feroient

taires; attaquent & confondent les Orateurs corrompus qui les flattent; découvrent les démarches les plus fecrettes de l'ennemi; déconcertent fes projets, & font trembler Philippe luimême, forcé d'avouer que toutes les armées, toutes les flottes de la Grèce entière conjurée contre lui, font moins rédoutables que l'éloquence de Démofthène.

Mais comment ce grand Orateur avoitil acquis cette fupériorité qui l'éleva fi fort au-deffus de fes rivaux, & qui, depuis lui jufqu'à nous, l'a laiffé fans égal? Il nous l'apprend lui-même: c'eft aux dépens de fes veilles; & il avouoit qu'il étoit affligé, quand un ouvrier, plus matinal que lui, le devançoit au travail (1). Pour être plus recueilli, il avoit fait construire une retraite fouterraine, inacceffible aux rayons du jour, où il s'enfermoit quel

(1) Cui non funt audita Demofthenis Vigilia? qui dolere fe aiebat, fi quando opificum antelucanâ victus effet induftriâ. CIC. Tufcul. 42. n. 19.

quefois des mois entiers, & là, loin des importuns & du bruit, il composoit, à la lueur d'une fimple lampe, fes admirables harangues. Ainfi les moyens que ce Père de l'Éloquence employa, il nous les a laiffés, la vigilance, l'affiduité au travail, la retraite & l'étude; mais il ne nous a pas laiffé fon ame.

L'éloquence de Démosthène n'a rien que de mâle & d'auftère. Ce n'eft pas cependant qu'il écarte les grâces, qu'il rejete les fleurs, qu'il néglige les ornemens; mais il faut qu'ils s'offrent naturellement, & conviennent parfaitement aux objets. On voit à la manière ferrée & concife dont il préfente les objets, à la beauté, à la nobleffe, à l'élévation de fon style, qu'il avoit eu pour Maîtres, Thucydide & Platon. Ce qu'on doit admirer encore dans fes harangues, c'est cet oubli total de fa perfonne. Jamais on n'y remarque le moindre retour fur luimême : nulle envie de briller; fon ame

n'eft occupé que du falut de fa Patrie, & pour me fervir de l'expreffion de l'illuftre Fénelon, qu'il la porte dans fon

cœur.

Un talent fi fupérieur pouvoit bien quelquefois enorgueillir Démosthène, & on ne doit point être étonné de la fenfibilité qu'il témoigna, de fon aveu, au mot flatteur (1) d'une Porteufe d'eau, qui, le voyant paffer, difoit à fa voifine: Voistu bien; C'EST-LA CE DÉMOSTHENE. Quelle petiteffe! s'écrie Cicéron; & il ajoute auffi-tôt: mais quel grand Orateur! mais c'est qu'il n'avoit appris qu'à parler en public & bien peu à fe parler intérieurement à lui-même. Comment Cicéron, qui n'a pas craint de traiter d'homme vain, Démofthène traiteroit-il aujourd'hui, nos

(1) Leviculus fanè nofter Demofthenes, qui illo fufurro delectari fe dicebat aquam ferentis mulierculæ, ut mos in Græciâ est, infufurrantisque alteri: hic eft iile Demofthenes. Quid hoc levius? At quantus Orator! fed apud alios loqui videlicet didicerat, nen multum ipfe fecum. CIC. Tufcul. §, n. 36.

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