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offre bien rarement de pareils; & c'eft une raison de plus pour ne pas les négliger.

Il femble, en effet, que la Providence fe plaise à favorifer certains fiécles, par le foin qu'elle prend d'y placer, en nombre, ces génies rares & privilégiés, deftinés à éclairer le monde; & qu'elle laiffe écouler enfuite un intervalle immenfe de temps, jufqu'à ce qu'elle daigne répandre de nouveau fes bienfaits fur une autre génération. On diroit même qu'elle eft avare, fi j'ofe m'exprimer ainfi, de ces brillantes époques, puifque nous en comptons fi peu jufqu'à nos jours.

Le temps qui s'écoula depuis Homère, jusqu'à la fin de la guerre du Péloponèfe, vit naître une multitude de Poëtes célèbres. Les derniers âges de cette époque furent féconds en grands Philofophes, en grands Hiftoriens & en grands Capitaines. Le fiécle fur-tout de Périclès étonne, par les merveilles qu'il

enfanta dans tous les genres. Mais la véritable éloquence ne commença de briller qu'au temps de Démosthène. C'étoit à lui qu'il étoit réservé de créer, pour ainsi dire, l'art de la parole, & de fe couvrir d'une gloire immortelle, au milieu d'une foule d'excellens Orateurs, faits pour occuper dignement la Tribune aux harangues, & pour fe difputer à l'envi le premier rang, fi Démosthène ne l'eût pas obtenu de droit. Ils avoient été prefque tous Difciples d'Ifocrate. Cet illuftre (1) Rhéteur, dont le genre d'éloquence eft orné & fleuri étoit plus propre à enfeigner l'art de combattre, qu'à combattre lui-même. Peu jaloux de paroître dans les exercices du Barreau, il ne cherchoit qu'à briller au milieu d'une nombreuse École, par les

(1) Ifocrates in diverfo genere dicendi nitidus & comptus, & palæftræ quam pugnæ magis accommodatus, omnes dicendi veneres fe&tatus eft: nec immerito è Auditoriis enim fe, non judiciis comparat. QUINTIL. Lib. X, Cap. I, pag. 744.

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grâces & la délicateffe de fon ftyle. Ses Élèves avoient, comme leur Maître, un genre d'éloquence qui leur étoit propre, & s'ils différoient tous entr'eux, par le genre & par le ftyle (1); ils étoient tous réunis dans le même goût du vrai & du beau fimple. Ce goût fe conferva dans fa pureté, tant qu'on s'appliqua à les étudier & à les imiter: mais après leur mort, on en perdit infenfiblement le fouvenir; & dès qu'ils furent entièrement oubliés, on vit régner un genre d'éloquence molle & efféminée, qui fit difparoître pour toujours les traces de l'ancienne éloquence.

Les fucceffeurs des Démosthène, des Hypéride, des Efchine, fe frayèrent

(1) Demofthenes, Hyperides, Lycurgus, Æfchines, Dinarchus, aliique complures, etfi inter fe pares non fuerunt, tamen funt omnes in codem veritatis imitanda genere verfati, quorum quamdiu manfit imitatio, tamdiu genus illud dicendi, ftudiumque vixit. Pofteaquam, extinctis his; omnis eorum memoria fenûm obfcurata est & evanuit; alia quædam dicendi molliora ac remiffiora genera viguerunt. CIC. de Oratore, Lib. II, n. 23.

donc une route nouvelle qui les égara bientôt. Démétrius de Phalère (1) altéra le premier le goût de l'antique éloquence. Plus jaloux de plaire que d'émouvoir, il préféra les grâces à la force. Il ne fongeoit qu'à frapper agréablement l'oreille: il enchantoit l'efprit, mais il n'excitoit dans l'ame aucun de ces mouvemens fubits, involontaires, que produit la véritable éloquence, & qui vous laiffent un long & agréable fouvenir de ce que vous avez entendu. Comme il avoit de l'efprit, il varioit à fon gré les ornemens légers & frivoles qu'il répandoit dans fes difcours ; &

(1) Phalereus enim fucceffit eis fenibus adolefcens, eruditiffimus ille quidem horum omnium, fed non tam armis inftitutus, quàm palæstrâ. Itaque dele&tabat magis Athenienfes, quàm inflammabat... Hic primus inflexit orationem, & eam mollem, teneramque reddidit: & fuavis, ficut fuit, videri maluit quàm gravis, fed fuavitate ea, qua perfunderet animos, non qua perfringeret: & tantùm ut memoriam concinnitatis fuæ, non (quemadmodum de Pericle fcripfit Eupelis) cum delectatione aculeos etiam relinqueret in animis eorum, à quibas effet auditus. Cic. de Claris Oratoribus, n. 9.

comme il furpaffoit, en élégance, tous ceux de fon temps, il devint le modèle des Orateurs de fon fiècle. Ses nombreux imitateurs achevèrent de perdre l'éloquence.

Il eft auffi dangereux en littérature, qu'en morale, de changer ou d'altérer les principes reçus. Le goût ne fe conferve pur, qu'autant qu'il eft entretenu & nourri par l'étude des bons modèles. Pour peu qu'on les néglige ou qu'on les abandonne, les écarts fe multiplient, & l'on marche à grands pas vers la corruption. Malheureufement la nouveauté entraîne la multitude, parce que les Novateurs affectent ordinairement une hardieffe qui impofe, & ont une tournure d'efprit qui éblouit & leur fait des Sectateurs. Le mauvais goût s'accroît alors avec une rapidité incroyable, en raifon du nombre des mauvais Copistes, lefquels, bien inférieurs à leurs modèles, en talent & en efprit, les furpaffent en défauts & en ridicules, &

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