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n'en deviennent pas moins à leur tour des modèles pour leurs fucceffeurs qui achèvent la révolution. La raifon de cette étonnante & rapide décadence, eft bien fimple; c'eft qu'on n'imite guères que ceux auxquels on reffemble, & qu'il eft plus aifé de fe paffer des règles ou de les enfreindre, que de les obferver. Or les règles févères du goût, prefcrivent une imitation parfaite de la nature : les équivalents ne la fuppléent point: tout ce qui n'eft pas elle, eft faux. Voyez ces lumières raffemblées en faisceaux, & difpofées avec tout l'art imaginable, pour éclairer un lieu vaste & obfcur; elles y laiffent encore des ombres qu'elles ne peuvent diffiper, parce qu'elles ne peuvent rendre ni les feux étincelans, ni la beauté du jour: de même tous les efforts les plus brillans de l'efprit n'imiteront & n'égaleront jamais le folide éclat des feux du génie.

Le feul moyen de tendre à la perfection, eft donc de ne prendre pour guide

que le vrai. Qu'on examine de fang-froid & fans prévention, les beautés réelles & fans nombre, répandues dans l'Iliade & l'Odyffée, on fentira qu'elles y font placées avec autant de fageffe que de goût. Ces Poëmes font en effet des copies fidèles, ou plutôt des Tableaux vivans de la Nature. C'eft en quoi furtout Homère eft admirable, indépendamment de fes grands caractères, fur lefquels fe font formés les Poëtes, les Orateurs, les Hiftoriens & les Philofophes, qui ont fait après lui, la gloire de la Grèce, dans les beaux jours de la République d'Athènes.

Cette fplendeur littéraire avoit difparu depuis les conquêtes de Philippe, & le règne des ambitieux fucceffeurs d'Alexandre. La Grèce entière en proie à toutes les horreurs de la guerre, fut enfin forcée de fubir le joug des vainqueurs; Athènes, fur-tout, jadis fi floriffante, n'étant plus qu'une ombre de République opprimée de toutes parts,

contrainte de livrer fes éloquents défenfeurs, à la vengeance de ses tyrans; la Tribune aux harangues fermée; l'Académie & le Lycée déferts, abandonnés, ou livrés à de pitoyables Sophistes; le Théâtre détruit; ces Monuments fuperbes, merveilles de l'art & du génie, abattus, brifés, prefqu'entièrement anéantis; les Mufes éplorées, tremblantes, fans voix, fans afyle & fans appui; tel eft l'état déplorable, où, après tant de fiécles de gloire, Athènes fut réduite. Les Sciences & les Arts chaffés de leur patrie, fe réfugièrent chez les Romains, où leur regne ne fut pas moins brillant, moins chéri que chez les Grecs.

Occupée à jeter les fondemens de fa grandeur future, Rome n'avoit encore été que guerrière. Toujours les armes à la main, & méditant fans ceffe de nouvelles conquêtes, rien n'étoit plus étranger à fes mœurs dures & auftères, que les Arts & les Sciences. Mais la

politique fage & éclairée, qui lui avoit fait une loi de traiter avec douceur & modération les vaincus; d'admettre བྷ་ fuivant les circonftances, fes Alliés & les Peuples qu'elle avoit foumis, au rang de fes Citoyens; d'adopter de leur Religion, de leurs Coutumes & de leurs Ufages, ce qu'elle y trouvoit d'utile & d'avantageux, préparoit infenfiblement une révolution favorable aux Lettres. Carthage enfin enfevelie fous fes ruines, laiffant Rome fans rivale, & maîtreffe du monde on vit bientôt les Savans & les plus célèbres Artistes de tous les peuples qu'elle avoit conquis, accourir, lui demander un afyle, & fe mettre sous fa protection. La pauvreté commençoit à n'être plus la vertu des Romains. Les immenfes & riches dépouilles qu'ils avoient enlevées à Carthage, en Afie & dans la Macédoine,`avoient introduit un luxe, jufqu'alors inconnu dans Rome. Il est vrai qu'il n'y eut d'abord que les Temples d'où la fimplicité disparut. Mar

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cellus fut le premier, qui, après la prife de Syracufe, les orna des fuperbes statues, & des tableaux les plus précieux, dont cette ville étoit remplie, fans qu'il fe permit de fe réferver une partie de ces dépouilles, pour en décorer fes jardins. L'admiration que ces nouveaux ornemens excitèrent, en infpira le goût, & ce luxe paffa bientôt des Temples, dans les maisons des particuliers. Tels furent chez les Romains, les commencemens des Arts agréables, dans lesquels ils ne tardèrent pas à égaler les Grecs. La rapidité de leurs progrès n'a rien d'étonnant: l'opulence tient en fes mains le fort des Arts de pur agrément & de luxe; & quoique le plus fouvent elle juge de leur prix en aveugle, comme ils fervent à multiplier fes jouiffances, à étaler fon fafte, à entretenir fes goûts, & à nourrir fon orgueil & sa vanité, il fuffit, pour les vivifier, qu'elle répande fur eux fes largeffes. D'ailleurs, comme les Romains étoient un peuple religieux,

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