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une faiblesse; c'est un égarement, un crime. Maly, oppose-toi aux progrès de cette flamme qui me deshonore; c'eft aujourd'hui que j'ai besoin de toute la force de ta raison ; pour moi,je n'en ai plus ; dumoins que je fauve ma gloire aux yeux d'Edouard ! qu'il n'y ait que toi feule au monde qui fçaches que je fuis la plus faible des femmes ... Me ferois-je trompée ? le roi ne m'a point regardée avec indifférence; éprouveroit-il ce qu'il eft de mon honneur de lui cacher pour toujours ? je defirerois de plaire à mon fouverain, à tout autre que Salisbury! Non, mon amie, tu ne m'as point affez reproché une trop fatale erreur ; fi le roi pouvoit partir, fans que je fuffe obligée de foutenir fa préfence! fi je ne le voyois jamais! eft-ce bien là l'objet de mes vœux?

Chaque inftant approfondifloit la blessure d'un cœur qui demandoit des confeils qu'il lui étoit difficile de fuivre. Mais qu'Edouard étoit livré à des tranfports encore plus violents! il étoit jeune, it étoit roi, & roi couvert de gloire, dont la renommée célébroit déjà les actions éclatantes. Voilà bien des éguillons puiffants qui l'excitoient à fe déclarer. L'afpect de Madame de Salisbury lui avoit fait reffentir une flamme que jufqu'alors il

avoit ignorée; il n'étoit plus en fon pouvoir de l'ê touffer. Guillaume Truffel, un de ces lâches courtifans que la complaifance & la bassesse élèvent à la faveur, jouiffoit de la confiance de fon maître ; l'abdication du malheureux Edouard II avoit été, en quelque forte, fon ouvrage. Le roi, par cette fatalité qui s'attache quelquefois aux personnes du premier rang, ignoroit les crimes de Truffel; il brûloit de fe trouver avec fon confident. Truffel, lui dit-il, c'en eft fait, l'infenfible Edouard a perdu tout fon orgueil; c'eft à la comteffe de Salisbury qu'il

Guillaume Truffel &c. Ce fut lui que les Anglais nommèrent pour déclarer, au nom du peuple, à Edouard II, que fes fujets n'étoient plus liés par le ferment qu'ils lui avoient juré, & pour recevoir fon acte de renonciation au trône. Ce digne ministre de la fureur d'un parti qui avoit le deffus, eut l'audace ou plutôt la baffeffe d'infulter à fon fouverain. On pouffa l'inhu manité envers le malheureux Edouard jufqu'à le faire rafer en pleine campagne avec de l'eau froide tirée d'un foffé bourheux (ce font les expreffions de Rapin Thoyras.) Ce prince infortuné répondit à ce mauvais traitement en difant à fes perfécuteurs » que, quoiqu'ils puffent faire, ils ne lui ôteroient » point l'ufage de l'eau chaude pour fe rafer, » & en mêmeems, ajoûte l'hiftorien, deux torrents de larmes coulèrent de fes yeux. Quel exemple des jeux cruels de la fortune ! & qu'il prouve bien que l'homme, quand il fe dégrade, eft le plus barbaie & le plus dénaturé de tous les êtres ¦

convient de fe parer d'une juste fierté : elle m'a vaincu, & pour la vie ! Quoi ! c'eft moi qui foupire, qui brûle d'un feu dont fans doute s'offense ma gloire ! Truffel, Edouard amoureux ! & quel eft l'objet qui m'a dompté? l'épouse d'un homme qui m'est cher, auquel j'ai donné le nom de mon ami, qui a pensé perdre Ja vie pour moi, que , que la fortune pourfuit, puisqu'il eft privé de la liberté... La comteffe de Salisbury ne sçaura jamais l'empire qu'elle a ufurpé sur mon ame. J'abuserois de ma puiffance! j'offenferois la vertu ! le comte est mon fujet, c'est à moi de le protéger. Vous êtes monarque, interrompt l'adroit courtisan, & vous feriez arrêté par des obftacles ! Et penfez-vous que la comtesse ne feroit pas flattée d'avoir fait naître en vous une paffion qu'elle s'emprefferoit de fatisfaire? Le ciel vous donna le fceptre pour impofer des loix à votre gré : Sire, c'est à vous de regner; l'autorité ne doit point connaître de bornes. — Truffel, & penque le ciel & la vertu ne foient pas au-dessus des rois n'ai-je point au fond de mon cœur mon premier maître, mon premier juge, une voix qui me crie que l'abus du pouvoir eft une des plus grandes fautes des fouverains? encore une fois,je manque à tout,fi je cherche à féduire la femme du comte de Salisbury.

fez-vous

Contraignez donc vos defirs, replique vivement Truffel; afferviffez-vous au joug des préjugés,comme le dernier de vos fujets. Et quelles feroient les prérogatives de la couronne, fi vous alliez vous foumettre à un esclavage qui n'eft fait que pour le peuple? 'Aimez, ofez le dire, & croyez qu'on écoutera favorablement un prince qui, fans l'éclat du thrône, eût infpiré des fentiments que fa grandeur même eft intéreffée à faire éclater.

Truffel parloit en faveur de la paffion d'Edouard : il n'étoit guères poffible que le monarque ne fût point porté à l'écouter. On convint que ce prince écriroit à la comteffe, & que le favori fe chargeroit de la prévenir, & de lui rendre la lettre. Edouard traça l'écrit le plus enflammé ; il peignoit fa tendreffe en amant qui exige du retour; on démêloit le fouverain à travers l'homme pallionné; & Edouard afpiroit à la conquête de la plus belle perfonne de l'Angleterre. Le courtilan demande une entrevûe à madame de Salisbury; elle est accordée. Il employe dans la conversation tous les artifices d'un efprit qui s'eft fait une étude de la foupleffe & de l'intrigue; enfin il parvient jusqu'à mettre l'écrit da roi fous les yeux de la comteffe. C'eft alors que l'amour de l'honneur combattu

dans le filence,que toute la dignité d'une conduite fage & irréprochable foutiennent cette ame héroïque contre les affauts d'un courtifan dépravé, contre fa propre faibleffe. De quel front, dit-elle, ofez-vous m'entretenir d'une paffion dont le roi lui-même n'a point l'indifcrétion de me parler?Truffel, connaissez-vous bien la fille de mylord Varuccy? fçavez-vous que je fuis enchaînée par des liens facrés, que le comte de Salisbury eft mon époux ?Edouard eft notre maître ; je fuis faite pour le respecter, pour lui obéir: mais il ne voudra point mon deshonneur ; non, il ne voudra point fouiller d'un opprobre ineffaçable un digne ferviteur qui n'afpire qu'à répandre jusqu'à la dernière goutte de fon fang pour fon roi & pour fa patrie.

pour

Un torrent de larme, empêche la comteffe de fuivre.Vous pleurez,s'écrie Edouard en fe montrant, & accourant vers elle avec précipitation! ah ! belle Salisbury, pardonnez à la violence d'un amour qui n'a pu fe contraindre ; vous pleurez ! & c'eft moi qui ferois couler ces larmes ! Truffel vous auroit-il of fenfée, en vous difant que vous êtes la première beauté de l'Angleterre, que les plus brillants hommages vous font dûs? Ne peut-on avouer le pouvoir de vos charmes fans vous déplaire? Ah! madame,

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