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vince, jufqu'à ce qu'on les eût mis hors du danger, & des infultes qu'on pouvoit leur faire.

Aprés vingt-cinq jours de marche, ces Religieux arriverent à Vincennes le 9. jour de Juillet, au nombre de foixante & deux, l'Abbé en ayant reçû deux en chemin. Le Roy informé de leur approche, envoya jufqu'à Charenton les principaux Seigneurs de fa Cour pour les recevoir, & Sa Majefté dans le defir de voir plûtôt ceux qu'elle avoit fouhaité avec tant d'ardeur, voulut bien aller fort loin à pied, jufqu'à ce qu'elle les eût rencontrez. Le Roy exprima la joye de fon cœur par les careffes extraordinaires qu'il leur fit, & parce qu'ils arriverent à l'heure de Vêpres, ils furent introduits dans la Chapelle du Château de Vincennes, où en prefence du Roy, des Reines, & de toute la Cour, ils les chanterent avec tant de ferveur, de modeftie & de douceur dans leur chant, qu'ils infpirerent de la dévotion & de l'admiration à tout le monde. Le lendemain, l'Abbé célébra la Grand' Meffe en prefence de leurs Majeftez, & il prêcha l'aprés- dînée avec toute la force & la liberté que le Saint Efprit lui avoit donnée pour reprendre les vices. Cette

Feligieufe Communauté demeura à Vincennes jufqu'au feptiéme de Septembre. Ce jour-là elle vint prendre pof feffion du Monaftere où les Feüillans demeurent maintenant dans la ruë Saint Honoré, proche du Jardin royal des Tuilleries. Le Roy leur avoit fait bâtir cette Maifon avec une diligence incroyable, & dans une fituation qui lui fut commode, pour s'y retirer quelquefois, & y paffer des journées entieres dans la pratique des œuvres d'une pieté fecrete & folide.

Ce Prince porta encore plus loin les mouvemens de fa pieté; car ne pouvant, pour ainsi dire, fouffrir d'être privé pour un moment de la compagnie de ces bons Religieux, & les foins de fon Etat ne lui permettant pas d'être toûjours chez eux, il en choifit douze pour être continuellement dans le Louvre, où ils vivoient dans un appartement préparé pour cela, & dans les mêmes obfervances qu'on pratiquoit au Monaftere. C'est là où le Roy, les Reines, les Princeffes & tous les Grands de la Cour entendoient pour l'ordinaire le Service divin. C'eft ainfi que commença en France la Congrégation des Feüillans. Le Palais de nos Rois lui a fervi de berceau, leurs libé

ralitez l'ont étendue dans les Provinces du Royaume, n'y ayant prefque point de Maisons de Feüillans qui ne reconnoiffent le Roy pour Fondateur. Auffi l'attachement que fon devoir fa reconnoiffance & fa religion, obligerent ce faint Abbé d'avoir pour fon Prince, penfa lui coûter la vie pendant la ligue qui fut alors fi générale dans le Royaume aprés la mort de Henry III. dans laquelle même les Religieux Feüillans eûrent le malheur d'entrer.

Dom Bernard de Percin de Montgaillard, connu fous le nom du petit Feüillant, ayant embraffé le parti de la ligue, attira à lui prefque tous les Feuillans de Paris. Alors ils ne regarderent plus leur Abbé que comme un homme dont les fentimens étoient contraires aux véritables interefts de la Religion, par une illufion & un égarement qui leur faifoit pitié : ils réfolurent de se fouftraire à fon autorité, & pour y parvenir ils traiterent avec les Feuillans de Rome & des autres Monafteres, & obtinrent du Pape la permiffion de convoquer un Chapitre Général en Italie, dont ils envoyerent l'intimation à l'Abbé de Feuillans fe perfuadant qu'il n'oferoit jamais paffer en Italie, où les ennemis de la ligue ne pouvoient ef

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perer d'être en feûreté; mais ils étoient abufez, l'Abbé qui n'avoit d'autres interefts à ménager que celui de fon devoir, prît d'abord la réfolution de se rendre à Turin, où l'affemblée étoit convoquée il voulut néanmoins embraffer les chers enfans de fon Abbaye, & leur dire le dernier adieu. Pour cet effet il quitta Bourdeaux pour aller à Feuillans; mais paffant à Lombez fut reconnu à la porte de la Ville, & mis en prifon par des gens du parti de la ligue, qui ne manquerent pas de donner avis à Touloufe de cette importante capture. Le bruit fe répandit d'abord que l'Abbé politique, pire qu'un hérétique, étoit arrêté, & que bien-tôt il feroit conduit à Toulouse pour y être puni de fes crimes. Mais Dieu en difpofa autrement, & il le tira des mains de ces furieux par des voyes toutes miraculeufes; afin qu'aprés avoir édifié la France, il allât porter ce même exemple en Italie, & y fouffrir la derniere perfecution, qui devoit couronner fa patience dans l'éternité.

Dom Jean de la Barriere partit donc de Feüillans le fixiéme de Novembre, à pied, accompagné d'un feul Religieux pour le rendre à Turin, & y

étant arrivé heureufement, le 12. de Décembre il fit l'ouverture de l'affemblée, à laquelle fe trouverent feulement les Supérieurs & Députez des Maifons d'Italie, Dom Bernard n'ayant osé y venir dés qu'il fçût que l'Abbé étoit en réfolution de s'y rendre. L'Affemblée finie il prit le chemin de Rome, où étant arrivé, il fut reçû & honoré par le Pape, les Cardinaux, & toutes les plus illuftres perfonnes de cette grande Ville, qui jugerent par eux-mêmes des vertus qu'ils avoient admirées fur le rapport des autres, & fa réputation s'augmentant tous les jours, on lui donna plufieurs Maifons en differentes Villes d'Italie.

Telles étoient les occupations du vertueux Abbé de Feüillans, lorfque l'Abbé de Citeaux folicité par Dom Bernard & par les autres Religieux liguez de Paris, réfolut de convoquer à Rome une nouvelle affemblée de Feüillans, dans le deffein d'en perdre l'Abbé, & de rüiner cette Congrégation naiffante. Ce Chapitre fut tenu l'an 1592. l'Abbé de Citeaux & celui de Morimond s'y rendirent en perfonne, fuivis de Dom Bernard, & de tous ceux qui s'étoient unis à lui , pour ne pas reconnoître l'autorité de l'Abbé de

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