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Mais d'où vient qu'Abraham tarde tant à fe rendre? Fatigué du chemin, je vais ici l'attendre ; Laiffe-moi. Sur l'autel que nous venons d'orner, Au sommeil un moment je veux m'abandonner. (Damas fe retire: Ifac fe couche & s'endort fur le gazon. On joue une fymphonie douce.)

SCENE

V.

ABRAHAM, ISAC endormi.

M

ABRAHAM fans appercevoir Ifac. E voilà donc, grand Dieu, fur la fatale cime, Où de tes loix Ifac doit être la victime. Voilà le terme affreux que tu m'avois montré : J'accepte ton arrêt, & je l'accomplirai.

(Il veut se jetter fur le gazon, il apperçoit fon fils.)
Ciel, Ifac endormi! quel objet pour un pere!
Quel fils! quel facrifice! ô victime trop chere,
Tandis que je me livre en proie à mes douleurs
D'un tranquille fommeil tu goûtes les douceurs
Et tu ne fonges pas que fur cet autel même,
Un pere au défefpoir va perdre ce qu'il aime.
(Abraham tire fon cimeterre.)

Frappons, & qu'à jamais il ignore fon fort;
Qu'il paffe en un instant du fommeil à la mort.
Frappons... non, je ne puis : je dois attendre encore;
Ifac meurt pour fon Dieu, faut-il donc qu'il l'is
gnore ?
Tome IV.

B

Différons. Cher Ifac, reconnoiffez ma voix.

ISAC reveillé.

Ah, Seigneur, pardonnez, enfin je vous revois;
A benir le Très-Haut cet autel vous anime;
Vous voyez, tout eft prêt; où donc eft la victime?
ABRAHAM.

Je fçaurai la trouver, quand j'en aurai befoin, N'en demandez pas plus ; le Ciel en prendra foin. ( à part.)

Auroit-il preffenti le malheur qu'il doit craindre?
ISA C.

Du pere le plus tendre oferai-je me plaindre?
J'ai furpris des foupirs fans ceffe entrecoupés,
Et j'apperçois des pleurs malgré vous échappés -
Je ne retrouve plus dans toutes vos careffes,
ni la même candeur, ni les mêmes tendresses.
Vous m'avez aujourd'hui moins fouvent embraffé,
Sans le fçavoir, helas, vous aurois-je offensé?
ABRAHAM.

Non, j'attefte d'un Dieu la Majesté suprème,
Jamais je ne t'aimai comme aujourd'hui je t'aime
IS A C.

Faut-il donc des fermens pour me le protester,
Mon pere, penfez-vous que je puiffe en douter?
Et pour me le prouver, n'eft-il point d'autre gage?
Quand un pere s'exprime, eft-ce-là fon langage?
De cès nouveaux transports je ne fçai qu'augurer,
Et fur eux mon esprit ne peut se rassurer :
Ne puis-je deviner l'ennui qui vous accable?
Le Ciel à vos défirs n'eft-il plus favorable?

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Le jufte quelquefois éprouve un Dieu fevère.
ISA C.

Sur qui peuvent tomber de fi cuifans foucis?
En ferois-je l'objet ?

ABRAHAM.

Vous le fçaurez, mon fils. Sortez. (à part) Contrains enfin la nature à fe taire, Grand Dieu, pour t'obéir je suis encore trop Pers.

ACTE SECOND

SCENE PREMIERE.

D

PHARES feul.

'Abraham que je cherche en vain je fuis les

pas.

Venu de Canaan, moi seul en ces climats
J'adore le vrai Dieu qu'Ifmaël abandonne.
Pourquoi chercher ailleurs le remerds qui l'étonne?
Cette noire vapeur, qui trouble fes efprits,

De fa défertion eft le trop jufte prix.

Voilà de fes pareils le fupplice ordinaire.

Malheureux maître, helas, que penfera ton pere!

A

SCENE I I.

ISMAEL, PHARE'S.

ISMAEL.

BRAHAM en ces lieux ! qui l'auroit cru;
Pharès !

PHARE' S.

Je l'ai longtems cherché dans ces vaftes forêts.
Ah Seigneur, croyez-moi, respectez sa présence;
Il vous aime : quittez un culte qui l'offense.
ISMAEL.

Ne m'importune plus de tes confeils. Adieu.
Je veux braver Ifac, & mon pere, & leur Dieu.
PHARE'S à part en fe retirant.

Prenons

pour le calmer un temps plus favorable.

SCENE 'I I I.

ISMAEL, ISAC.

ISMAEL feul.

'Ar du moins la douceur dans ma haine impla

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cable ,

De les voir fe jetter d'eux-même entre mes bras.

Mais j'apperçois Ifac. Il ne me connoit pas ;
Ne nous découvrons point. (à Ifac.) Quel eft ce
téméraire ?

Qui vous conduit? parlez: que prétendez-vous

faire ?

ISA C.

J'allois fur la montagne adorer l'Eternel.
Peut-être ignorez-vous, infortuné mortel,
Jufqu'au nom de ce Dieu qui vous a donné l'être.
Je puis, fi vous voulez, vous le faire connoître :
Tout l'annonce; les cieux, les étoiles, les mers.
Il fait en fa faveur parler tout l'Univers.
Un langage fi doux eft facile à comprendre,
Mais tout homme n'a pas le bonheur de l'entendre,
ISMAEL.

Chacun fait ici-bas fes Dieux felon fon goût:
Je vous ai fur ce point écouté jufqu'au bout;
C'en eft trop. Mais enfin quelle audace vous guide
Dans une région où moi-feul je préfide?

ISAC.I

Les thréfors dont peut-être abondent vos climats
Pour en être enlevés n'ont point conduit nos pas.
Nous jouiffons, heureux dans notre fort modefte,
Des biens que nous tenons de la bonté célefte.
Libres d'inquiétude, exempts de paffion,
Nous ne voulons devoir rien à l'ambition:
Mais foumis à la voix du Dieu qui nous inspire,
Je fuis aveuglément un pere qui m'attire,

Pour offrir avec lui mes vœux dans ces hameaux
Et nous ne venons point troubler votre repos..

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