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Tandis
que tout lui rit, qu'à fes vœux tout con-
fpire,

Eft-il jufte après tout qu'il pleure & qu'il foûpire?
Non; l'afpect de mes maux répandroit trop de fiel
Sur les tranquilles biens qu'il a reçus du Ciel.
C'est à moi de pleurer & de gémir fans ceffe:
Les pleurs ne font-ils pas le feul bien qu'on me
laiffe?

Il est vrai que les Dieux dont l'ordre a prévalu,
M'ont fait moins malheureux que l'on n'auroit

voulu...

ISA C.

Que l'on n'auroit voulu ! c'est donc moi qui défire Que votre fort...

ISMAEL.

C'eft toi, puifqu'il faut le redire: Quand ta perfide mere ourdiffoit mes malheurs, Tu puifois dans son sein sa haine & ses noirceurs. IS A C.

Je ne m'attendois pas que de pareils reproches
Me duffent faire un jour redouter vos approches.
Qui l'auroit cru! mais non, fans doute vous fei-
gnez,

Et voulant m'éprouver, au fond vous me plaignez.
Aux dégouts de Sara quand vous étiez en bute,
Helas, encore enfant je pleurai votre chute.
Je vous ai plaint. C'eft peu : je veux vous relever.
Cependant...

IS MAEL.

Dis plûtôt que tu veux me braver,

ISA C.

C'en eft trop. Abraham justifiera mon zele :
D'Ifmael reconnu portons lui la nouvelle.
ISMAEL.

Je l'attends.

SCENE I V.

NACHOR, ISMAEL.

NACHO R.

E ne puis fans trahir mon devoir,

JE

Vous cacher plus longtems ce que je viens de voir.
J'ignore à quel chagrin votre pere fe livre;
Pardonnez, la douleur m'empêche de poursuivre,
Et de les noirs projets je fuis épouvanté.
IS MAEL.

De quels preffentimens me fens-je tourmenté ?
Je ne fçai quelle horreur dans mon fein répandue,
D'Abraham qui me fuit me fait craindre la vue :
Mais dis-moi, cher Nachor, que viens-tu m'an-
noncer ?

NACHO R.

Tremblez pour vous, Seigneur, il eft tems d'y penfer ;

Connoiffez de Sara l'infatiable envie :

Sa haine dure encore & n'eft pas affouvie.
Ce pere qui fembloit devoir vous confoler,
Cet Abraham...

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297

Il vient vous immoler.

ISMAEL.

NACHOR.

ISMAEL.

Voilà l'effet du fonge qui m'étonne:

O rage, à tes transports Ifmaël s'abandonne.

NACHOR.

Abraham s'approchoit. Ses yeux mal affurés
Jettoient fans s'arrêter des regards égarés :
Quand tout-à-coup il fuit, & court dans le bo-

cage,

Pour cacher les chagrins tracés fur fon visage. Je m'y coule après lui fans en être apperçu. (Pourrai-je repeter ce que mes yeux ont vu!) Là donnant aux foupirs une libre carriere İl commence à livrer fon ame toute entiere A fa vive douleur qu'il exhale en ces mots Cent fois interrompus de pleurs & de fanglots: Ah fils infortuné, faut-il que je t'immole ! Un Dieu l'ordonne, helas, & ma plainte frivole Ne te fauvera point de fes bras toutpuissans. Tu mourras... A ces mots l'horreur que je reffens M'empêche d'avancer, & d'entendre le refte De ces cris effrayans dont le recit funeste Fait gliffer dans mes fens l'épouvante & l'effroi A l'afpect du peril, Seigneur, où je vous voi.

IS MAE L.

Justement étonné du coup qui me menace,
Je friffonne, & mon fang dans mes veines se glace
Un pere tient fur moi fon glaive suspendu ;
Orgueilleufe Sara, fuis-je affez confondu !
NACHO R.

Raffemblons nos bergers, & pour votre querelle,
Armons de nos amis une troupe fidelle.

J'y cours: & dût mon zele enfin vous outrager, J'épouse votre haine, & prétends vous venger.

A

SCENE

V.

ISAC, ISMAEL.

ISA C.

L'ombre des palmiers qui bordent la colline D'où s'écoule un torrent dans la plaine voifine,

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J'ai vu mon pere feul. Ses yeux étincelans
Sa tête radieufe, & fes foupirs brûlans,
Dans les divins transports d'une priere ardente;
Montroient du Dieu vivant la Majefté présente.
Abraham paroiffoit l'entendre & lui parler :
Ifmaël, a-t-il dit, fçaura me confoler.

Je m'approche en tremblant. Surpris il me renvoye
Sur ce jour fortuné vous annoncer la joye.

Bientôt vous le verrez calmer votre courroux; Et tous nos entretiens n'ont roulé que fur vous.

IS MAEL.

Je prends comme je dois ces excufes outrées : Mais quel preffant motif l'attire en ces contrées ? ISA C.

Cet appareil vous dit qu'il vient facrifier.

pu

C'est tout ce qu'en partant il m'a confier
Le refte eft un fecret pour nous impénétrable;
Mais je vois qu'il vous tend une main secourable.
Sur ce projet, ce femble, Abraham ne s'eft tû,
Que pour mieux m'enchanter d'un plaifir imprévu
Voilà tout le mystére, & ce que j'en puis dire.

ISMAEL.

De ce mystére moi, je vais mieux vous inftruire.
Ne m'interrompez point. Perfecuté, haï,
Une marâtre, un pere, un frere m'ont trahi.
Malgré tant d'ennemis je trouve un sûr asyle,
Et contre leur fureur je crois vivre tranquille,
Lorsque leur Dieu, dit-on, ofant me condamner,
Ifac dans mon exil vient pour m'affaffiner.

Ah Ciel !

ISA C.

ISMAEL.

Ce n'eft pas tout. Voilà le facrifice, Qui faifoit de ma mort un Dieu même complice. On vouloit que ton bras, du Ciel favorifé, M'accablât fous le poids d'un crime autorisé, Et pour mettre le comble à cet énorme crime, Un pere étoit le prêtre, & fon fils la victime. Voilà le lieu, l'autel des mains d'Ifac orné, Voilà pour ce forfait le glaive destiné.

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