s'il fe peut, ce facré caractère, Que la nature en vain eût gravé dans nos cœurs, Si le Ciel approuvoit de semblables rigueurs. J'en dis trop peu, Seigneur : il faut ceffer d'être
Car comment, dites-moi, voulez-vous que je
Un pere, qui d'un fils devenu le bourreau,
Dans fon fein palpitant va plonger le couteau ? Jamais aucun mortel transporté de furie, Ofa-t-il à ce point pouffer la barbarie ? Et Dieu commanderoit de pareils attentats! Ah, s'il le fait, il veut qu'on n'obéiffe pas. Lui-même il haïroit cette vertu farouche.
C'en eft affez je vois que la raison vous tou
Si tu plains Abraham, respecte sa vertu ; Contente-toi du moins de l'avoir étonnée.
La mort d'un fils fi cher ne peut
Perdrez-vous dans Ifac tant de peuples divers, Que par lui le Seigneur promit à l'Univers. Dieu donc en promettant eft-il ce que nous fom-
Inconftant & leger comme les foibles hommes ?
Comment accordez-vous fon ordre & fes fermens Il fouffre, croyez-moi, des adoucifflemens ; Et contre un fils fi cher la fentence portée, Sur ce qu'un Dieu promet veut être interprétée ABRAHA M.
Ah! ceffe d'ébranler un cœur mal affermi : Je fuis contre moi-même un trop fort ennemi : Vante-moi bien plûtôt le prix d'un facrifice, Le plus grand que le Ciel fouhaitât que je fiffe, Mais non retire-toi, ce cœur trop agité Me femble criminel pour t'avoir écouté. Perfide, porte ailleurs un art que je déteste. Je n'éludai jamais la volonté céleste : Fidéle, je benis le faint enchantement, Qui fait évanouir tout vain raisonnement. Que d'aveugles humains fiers d'un spécieux titre, Prenant entre eux & Dieu la raifon pour arbitre, Par de fauffes lueurs fe laiffent éblouir; Quand l'Oracle a parlé, je ne sçai qu'obéir : Dût en frémir l'orgueil d'une raifon frivole, Je n'examine point la Divine parole; Humble & fimple brebis, je hais l'art impofteur, De fermer mon oreille à la voix du pasteur, De rendre purs & faints des vœux illégitimes, Et de mettre le Ciel du parti de mes crimes. Fuis déja le poifon que tu viens d'exhaler, Malgré moi dans mon fein commençoit à couler Fuis-donc : chaque foupir me paroît un parjure. ELIEZER.
Ciel, en faveur d'Ifac fais pencher la nature.
ABRAHAM feul.
ENDU feul à moi-même après tant de com
Les pleurs que je répands ne me trahiront pas. Mes larmes devant toi ne feront point coupables, Dieu jufte, tes Arrêts les rendent excufables. Fut-il pere en effet plus à plaindre que moi, Et reçut-on jamais une pareille loi ?
Miferable Abraham, contre un fils fans défenfe Pourras-tu prononcer cette horrible sentence! Lui dire, il faut mourir, & mourir par mes mains! Dieu terrible, voilà le combat que je crains. Si tu voulois profcrire une tête fi chere, Que ne te fervois-tu d'une main étrangère ? Peut-on exiger plus d'un pere infortuné, Et n'eft-ce pas affez de l'avoir condamné? Du moins accorde-moi cette faveur cruelle Tu feras obéi fans me voir infidéle ; Laiffe agir Ifmael; la victime eft à toi ; Mais fouffre qu'il difpofe & d'Ifac & de moi. On ne m'écoute plus, cependant le tems preffe : Ce délai me trahit & nourrit ma foibleffe. Reviens à mon fecours, fainte fimplicité, Eteins de ma raifon l'orgueilleufe clarté. Plus j'écoute fa voix & fa douce impofture, Moins je retrouve en moi cette foi fimple & pure,
Qui captivant l'efprit par un charme nouveau, Lui tient lieu de raifon, de guide, & de flambeau >
Cette foi dont un jour les vives étincelles Animeront les cœurs d'un peuple de fidéles. Mais quoi! ferai-je encor le pere des Croyans?... Dieu du fein des rochers peut tirer fes enfans. Sans déchirer le voile & fonder fes miracles, Laiffons-lui tout le foin d'accomplir fes ora cles.
Nature, c'en eft fait, je vais malgré tes cris, Immoler ma raison, ma tendreffe, & mon fils.
ACTE CINQUIEME.
SCENE PREMIERE.
Mes défirs enfin Abraham moins contraire A paru s'amollir, & redevenir pere.. Mais qui fçait fi fes yeux d'accord avec fon cœur N'en cachent point le fond d'un voile féducteur? S'il étoit vrai, malgré le ferment qui m'enchaîne, Ma langue, cher Ifac, fe dénouroit fans peine : Et quand même il faudroit me perdre & le haïr, Pour garantir tes jours, je pourrois le trahir. Mais puis-je fans raifon être parjure & traître ? Si pourtant je me tais, tu périras peut-être. Que faire ? par mes foins tous deux feront servis, Et fans trahir le pere, on fauvera le fils.
Ans vouloir pénétrer le motif qui m'inspire,
Si tu chéris Isac, dis lui qu'il fe retire.
Pour faire évanoüir tant de bruits odieux,
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