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Saül arme l'envie, & fert leur artifice.
Victime du refpect pour un pere féduit,
David, dois-je benir la main qui te pourfuit?
Dois-je être ami perfide, ou bien fils infidéle?
PHINE'E S.

Le Ciel a décidé. David n'eft qu'un rebelle:
Pardonnez cet effort de ma témérité.

Au foin de votre gloire & de la vérité.
Je fçai quelle créance & quelle eftime eft dûe
Aux rapports d'une Cour à l'intérêt vendue.
Ses détours, fes replis, fes odieux complots,
Tout appelle du Ciel les trop juftes fleaux.

Saül même infidéle au Dieu de nos ancêtres,

Me fait craindre un revers, & trembler pour mes maîtres.

C'est ce qui rend David criminel à mes yeux :
Ifraël a pour lui des foins féditieux;

D'un peuple qui l'adore il reçoit les hommages,
Moins en fujet qu'en Prince affuré des fuffrages.
Trop habile dans l'art de regner fur les cœurs,
S'il n'a pas la couronne, il en a les honneurs.
Mais fût-il innocent, un Sujet trop aimable
Aux yeux du Souverain doit paffer pour coupable.
JONATHA S.

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Qu'ofes-tu dire? helas! David perfécuté
S'arme contre fon Roi de fa fidélité:

Aux fureurs de mon pere oppofant l'innocence,
Il n'a que fes vertus & le Ciel pour défenfe.
Non, non, loin de céder à la foif de regner
S'il regne fur les cœurs, c'eft pour nous les ga-
F iiij

gner.

Moi-même je l'ai vu du fein de la victoire
Renvoyer à Saül tout l'éclat de fa gloire.
Ceffe encore une fois, ceffe de l'outrager :
D'un injufte foupçon Dieu fçaura le venger.

PHINE'E S.

Ainfi donc de Saül méprisant la colere
Vous prenez l'intérêt d'un ami contre un pere;
Et l'objet de fa haine eft celui de vos foins.

JONATHAS.

Qu'il cherche un ennemi que je puiffe aimer moins. Laiffe-moi me livrer à mon inquiétude.

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JONATHA S feul.

Ls ne reviennent point. Cruelle incertitude!
Mes Bergers vers David par mon ordre partis
Seroient-ils dans la route égarés ou furpris!
Ah David! je le vois, tu fuis de ville en ville,
Et l'ingrat Ifraël te refuse un afyle.

Mon pere te pourfuit, & pour comble d'effroi,
Mes avis n'auront pu pénétrer jufqu'à toi.
Trahi de tous côtés, forcé de me contraindre,
On m'arrête; on me fait un crime de te plaindre.
Jufte Ciel !... Mais que vois-je ? ah, Bergers,
eft-ce vous ?

Que fait David? parlez.

SCENE

I I I.

JONATHAS, DEUX BERGERS.

I. BERGER.

SEIGNEUR

EIGNEUR, pardonnez-nous Saul de fes foldats couvrant toute la plaine, A rendu fort longtems notre recherche vaine. Nous demandions David aux Echos d'alentour; Ils ont prefque trahi nos foins & votre amour : Des foldats attentifs ont pensé nous furprendre, Et personne d'abord n'a pu nous rien apprendre.

JONATHAS.

Ah! que me dites-vous?

II. BERGER.

Défefperés, confus

Nous pleurions votre zele & nos pas fuperflus
Quand un homme inconnu dans un bois folitaire,
De tout notre voyage a percé le mysterc.
Il nous a dit: Allez, dites à Jonathas

Que David pour reffource a le Dieu des combats, Et qu'il vient fous fon nom bravant toute l'armée,

Raffurer d'un ami la tendreffe allarmée.

I. BERGER.

Mais outre ce difcours que l'Inconnu nous fit,

D'un fait prefqu'incroyable écoutez le récit.

Saül paffoit, dit-il, près d'une grotte obfcure
Du fein de ce rocher couloit une onde pure.
Seul il entre: il s'affit fur le bord du ruiffeau;
Il étanche fa foif dans le courant de l'eau.
David caché dans l'antre admiroit en filence

Que le Ciel eût livré Saül à fa vengeance.
Mais il retint fa troupe & dit en frémiffant :
Gardez-vous d'attenter fur l'Oint du Tout-
puiffant, "

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Toutefois il s'avance, & fans bruit il enleve

Un ornement Royal qu'il coupe de fon glaive:
Le Roi fort. David fuit ; & tombant à fes pieds:
Voyez, dit-il, Seigneur, l'état où vous étiez !
Où pouvoit me porter une rage infenfée ?
Mais non, loin d'en former l'exécrable pensée,
Je me reproche même une ombre d'attentat.
Ce voile entre mes mains est un crime d'Etat :
Le fort me rend coupable en m'offrant votre tête:
Vous pouvez m'en punir; la mienne est toute prête.
Puniffez un projet que je n'ai pas conçu ;
Le peu qu'a fait mon bras montre ce qu'il a pu.
Vengez-vous du hazard qui seul fait mon offense:
Mon cœur avec ce fer n'eft point d'intelligence;
Mais ce fer criminel tournez-le contre moi :
Peut-on être innocent pouvant perdre fon Roi?
JONATHAS.

Ainfi combat David, & telle est sa victoire.

Que fit le Roi ?

II. BERGER.

Surpris, comme vous pouvez croire

Les armes

l'inftant lui tomberent des mains,

Je fuis, s'écria-t-il, le dernier des humains.

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Viens, David, viens mon fils, confens que je

t'embraffe,

Et qu'à mon tour enfin je te demande

JONATHAS.

grace.

O victoire, ô fuccès! ô Dieu maître des cœurs! I. BERGER.

Il n'eft pas tems, Seigneur, de flatter vos douleurs.

Le Roi, (nous l'avons fçu d'une bouche fidéle)
S'eft bientôt repenti d'une action fi belle.
Vainement fon courroux a paru se calmer;
Un Miniftre envieux a fçu le rallumer.
Il revint fur fes pas, & par un prompt supplice
Il fit des Prêtres faints un cruel facrifice;
Femmes, vieillards, enfans, il les immola tous.
Monument éternel d'un horrible courroux,
Leur ville fume encore, & fa faute fecrette
C'est d'avoir à David pu fervir de retraite.
JONATHAS.

Dieu, quel pere, & quel Roi!

II. BERGER.

Pour furcroît de malheurs

David n'a plus d'afyle, & parmi tant d'hor

reurs,

L'épouvante a glacé tous ceux qui dans la fuite

Auroient pu de Saül arrêter la poursuite.
On fonge à le livrer, & peut-être demain
Notre Héros verra terminer fon deftin.

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