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« petites rivières, montrer leurs eaux limpides et coulant toujours avec abondance, n'est-ce point dire que le fleuve où elles vont se perdre est un grand fleuve au «lit profond et large, au cours long et majestueux qui répand partout la fertilité sur son passage, et donne lieu, tous les jours, à des transports et à un commerce «< considérables? » L'auteur n'en parle pas moins de la prospérité de l'agriculture comme étant subordonnée aux nombreuses familles chez les cultivateurs. Donnons, dit-il, à l'agriculture une base solide qui vaudra mieux que tous les procédés nouveaux, la base de la famille, préférable encore aux auxiliaires, aux aides qui nous arrivent du dehors, aux bras mercenaires et aux machines ellesmêmes. Les machines sont précieuses dans l'industrie, parce qu'elles suppléent à l'action individuelle de l'homme et tendent à réduire les salaires. Mais, en agriculture, pour les instruments aratoires, il restera toujours une grande part laissée à la volonté, à l'énergie, à la dextérité et au zèle de ceux qui les emploient ou les dirigent.

Le style de ce Mémoire n'est pas sans coloris; il n'est pas non plus sans incorrections. Plusieurs morceaux sont remarquables, mais les développements parfois trop prolixes. Il se trouve aussi dans ce volumineux Mémoire quelques lieux communs et d'assez nombreuses répétitions qui nuisent à la clarté et à la force de l'argumentation.

Le Mémoire no 4 a pour épigraphe ces paroles des Proverbes :

Frater qui adjuvatur a fratre, quasi civitas firma.
(Proverb. xvIII, 19.)

Notre siècle peut être appelé le siècle des expériences. Après le grand ébranlement de 1789, toutes les vérités furent mises en question. Pendant que la société campait

au milieu des ruines, le paupérisme vint montrer sa face hideuse, et de sa forte main l'homme puissant qui, d'une société troublée, avait fait une société régulière, ne put, d'un seul coup, guérir toutes les blessures. Après lui, sous l'influence d'expériences contradictoires et après de nouvelles révolutions, le paupérisme s'est développé, il a grandi, il est devenu un problème. Quelques-uns, pour le résoudre, et se basant sur un économiste anglais, Malthus, ont dit que la pauvreté était la conséquence des familles nombreuses et que l'aisance augmenterait à proportion de la diminution des ayantdroit au partage. L'auteur examine si ce système est vrai en ce qui concerne la prospérité des cultivateurs, ou si plutôt le total de la richesse publique ne subirait pas une considérable atteinte de la réduction de la population.

Ce qui constitue la richesse et la prospérité de l'agriculture, c'est un faisceau composé de trois forces principales: 1° l'ordre intérieur de la famille; 2o l'estime et le goût de la profession; 3° le travail. Après la définition claire de ces trois forces, l'auteur du Mémoire montre comment elles ont leur complet développement dans les familles nombreuses et non dans les familles restreintes.

L'ordre intérieur est moins parfait, la famille est moins bien disciplinée là où se trouvent peu d'enfants que là où existe une famille nombreuse. De même que l'édu eation de nombreux enfants exige l'abnégation des parents, de même le dévouement ainsi dépensé fait germer la reconnaissance chez les enfants. Ceux-ci s'attachent à ces parents qui les élèvent à la sueur de leur front, qui consacrent à les former au travail et au devoir leurs jours et leurs veilles, et ils sont pour eux pleins de soumission et de respect. Le fils unique, au contraire, est le plus souvent rebelle et indiscipliné. C'est un être in

commode et égoïste qui rapporte tout à lui et se montre, dès ses plus jeunes années, aussi éloigné de toute affection vraie que de respectueuse obéissance.

L'amour de la profession se transmet plus facilement dans les familles nombreuses. Les mains peu exercées du fils unique s'accommodent mal du travail manuel. L'odeur des engrais de la ferme offense son goût délicat. Il devient donc un habitant des villes, et trop souvent il finit par rougir de son père. Dans la famille nombreuse, la fortune plus répartie ne donne pas aux enfants ces idées d'ambition; ordinairement ils continuent la profession paternelle. Ils seront pour lui comme les actionnaires en participation d'une entreprise florissante, travaillant pour leur propre compte, travaillant utilement et fructueusement pour tous. Véritable ciment de l'édifice social, ils enlaceront dans ses ramifications et uniront entre elles les différentes structures du monument. La famille nombreuse est le vrai centre où resplendissent et se développent les éléments conservateurs de la société.

La vraie force du cultivateur, c'est le travail. Or, dans une famille nombreuse, chacun en comprend l'importance et la nécessité. Apres et laborieux sont parfois les commencements. Mais lorsque les enfants ont grandi, déjà le père a des soutiens, déjà la mère voit revivre dans ses filles son ordre et sa sollicitude attentive. Les bras maternels souvent fatigués à tenir les enfants sur ce cœur qui s'est élargi pour les aimer, ces bras ont déposé le fardeau sur les sœurs aînées, heureuses de sourire aux plus jeunes, et d'en devenir les protectrices; les liens fraternels se consolident par des liens nouveaux, empruntant leur force à une maternité d'adoption, coopératrice des soins maternels.

Je ne puis qu'indiquer ces points. Dans le Mémoire,

toutes les preuves s'enchaînent avec une telle logique, qu'il me serait impossible de vous en faire sentir la liaison intime, sans y consacrer encore quelques pages.

A ces considérations, l'auteur en ajoute d'autres non moins concluantes à l'appui de sa thèse.

L'Etat a besoin de serviteurs pour soutenir l'honneur du drapeau ; d'un autre côté les domestiques, les ouvriers émigrent vers les villes ou ne veulent plus travailler aux champs qu'à des conditions inacceptables. Qui comblera ces vides? Qui viendra en aide à l'agriculture délaissée, si ce n'est la famille nombreuse? La terre peut nourrir ses habitants. Par son travail, l'homme produit évidemment plus qu'il ne consomme. C'est une vérité qu'avait résolue l'antiquité, en donnant une valeur à l'esclave. Sans doute, l'homme n'est pas une chose de spéculation, et il répugne d'en tarifer la valeur, cependant, quel est le cultivateur qui ne doublerait sa force et ses produits, s'il pouvait compter sur des auxiliaires sûrs et fidèles, sur ses enfants? Et souvent, mal inspiré, égoïste, il n'en voudra qu'un seul.

Mais s'il est des assurances sur la vie, la vie elle-même n'est point assurée, et souvent la mort vient, d'un seul coup, anéantir les calculs coupables du père de famille. En est-il de même dans les familles nombreuses? Ah! sans doute, partout où la mort a passé, un grand deuil a pris place; néanmoins la mort n'a pas causé une irréparable perte: uno avulso, non deficit alter; elle n'a pas eu la puissance de rompre les traditions, là où la vie a été semée avec largesse.

Toutefois, et n'oublions pas de le dire bien haut, pour que les familles nombreuses soient placées dans des conditions de succès et de bonheur, il importe qu'elles soient chrétiennes. Car, pour accomplir les devoirs de

la famille nombreuse, pour en accepter avec joie les charges, pour en goûter les consolations, il faut connaître et pratiquer les vérités primordiales qui ont Dieu pour auteur. Si la famille nombreuse ne connaît plus la foi, si elle la méprise, si elle ne sanctifie pas le jour que Dieu s'est réservé dans l'intérêt de son culte et dans l'intérêt de l'humanité, elle fera fausse route, 'elle se dépouillera de sa force et de son plus grand élément de succès; elle sera pour le pays un danger, au lieu d'être pour lui une source de progrès, un gage de paix et de bonheur.

Ce Mémoire est très-méthodique. Il a toutes les qualités d'une thèse philosophique; aussi, le style, toujours pur, est-il un peu froid. L'auteur s'élève rarement jusqu'à l'éloquence.

Le Mémoire no 6 a pour épigraphe ces vers d'Horace : Quod si pudica mulier in partem juvans

Domum atque dulces liberos.

(Horace, Odes.)

A l'époque où la société romaine commençait à fuir le travail, et où l'Italie, cessant d'être laborieuse et féconde, n'était plus qu'un grand consommateur qui ne produisait pas, la poésie trouvait encore des traits immortels pour peindre la vie des champs, ses labeurs et ses joies. Aujourd'hui, ce bonheur champêtre n'excite plus d'ardentes convoitises. Les habitants des campagnes manifestent une tendance déplorable à resserrer la famille dans un cercle de plus en plus étroit. La contagion gagne, et la statistique accuse, de 1846 à 1866, un ralentissement de près de moitié dans le progrès général de la population.

Quand les économistes et les philosophes rencontrent ces chiffres, les uns s'en affligent et voient la patrie en péril; d'autres s'en félicitent comme d'un témoignage du progrès des idées de prévoyance et d'une promesse d'ac

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