Imágenes de páginas
PDF
EPUB

chent avec une infatigable persévérance les causes générales qui, à leur sens, semblent arrêter son développement et sa prospérité.

Nous ne produisons, dit-on, ni assez de bétail, ni assez de céréales; de là une regrettable infériorité, de là l'augmentation incessante du prix des denrées nécessaires à l'alimentation publique. C'est un thème que chacun connaît, on le répète à satiété et on s'évertue à chercher le remède à une situation que l'on veut changer à tout prix.

On signale surtout certaines différences entre le rendement de nos terres et celui d'autres pays de production.

Eh quoi quand l'Angleterre arrive à compter plus d'une tête de gros bétail et à donner 25 à 30 hectolitres de froment par hectare, la moyenne en France n'atteint pas une demi-tête et donne seulement 14 hectolitres.

Prenant encore des exemples dans quelques-unes de nos provinces, voyez le Nord, la Flandre française, la Normandie, ces contrées approchent de beaucoup ce que l'on rencontre dans la Grande-Bretagne; pourquoi, se demande-t-on, partout chez nous, n'arriverait-on pas à pareils chiffres?

Puis, examinant les causes de cette infériorité et des souffrances sur lesquelles on gémit, on arrive à décider que si notre agriculture n'est pas aussi féconde, aussi prospère, cela tient, non pas à des différences dans le climat, dans la composition géologique des sols, ou même encore dans la densité relative des populations, mais bien plutôt et uniquement à ce qu'elle manque de capitaux.

Cette insuffisance ne lui permettant pas de faire au sol de sérieuses avances qu'il rendrait avec usure, on en vient à formuler cette conclusion que, si elle était dotée de certaines institutions de crédit, une rapide métamor

phose ne tarderait pas à se produire au profit du pays tout entier et surtout au profit des classes laborieuses.

Une fois cette conclusion trouvée, on s'y attache résolument, on la manie avec habileté et on finit par en faire sortir cette précieuse panacée qui doit tout guérir le Crédit agricole.

« Mot magique, Messieurs, on l'a dit avant nous, doué « d'une puissance merveilleuse devant laquelle doivent tomber, comme par enchantement, tous les obstacles. »

Telle est la solution. Et comme elle compte d'assez nombreux partisans, il convient de rechercher si, en effet, de nouvelles institutions de crédit sont réclamées par des besoins réels, impérieux et si, en poursuivant leur réalisation, on ne s'est pas laissé séduire par quelque mirage trompeur.

En admettant un instant que le manque de capitaux arrête, mais en certaines situations seulement, un essor quelconque, nous ne craignons pas d'affirmer qu'on a beaucoup trop généralisé cette accusation d'impuissance portée contre notre agriculture et qu'on en a singulièrement exagéré la cause. Quelques exceptions ne font pas une autorité suffisante pour s'y appuyer et former la base d'un système général. Nous estimons, en outre, que la création de banques spéciales, que la fondation de ce qu'on appelle Crédit agricole, et Crédit rural depuis quelques jours, n'est pas de nature à opérer ces transformations auxquelles on prétend aboutir.

Il est un premier point qui ne saurait donner lieu à discussion: c'est que l'agriculture est une véritable industrie, ayant, comme toutes les autres, ses exigences propres dont on ne s'affranchit jamais impunément.

Elle demande, elle aussi, d'abord un capital en rapport

avec l'entreprise, une aptitude spéciale, puis enfin une fidélité incessante à l'ordre, au travail et à une sage économie, seules bases de tout succès.

Pour elle comme pour toutes, ainsi que l'a dit un savant économiste, l'épargne est la plus énergique vertu.

Si ces conditions, hors desquelles point de prospérité, ne se rencontrent pas chez celui qui s'est voué à cette carrière, pense-t-on que tout sera dit quand on lui aura donné certaines facilités pour se procurer un capital en rapport avec des aspirations plus ou moins réfléchies et avec la situation du domaine? Pense-t-on que pour le sortir d'une position difficile, cette branche qu'on lui aura montrée ou tendue soit véritablement une branche de salut?

Non, Messieurs, nous le craignons, du moins, cette perspective d'emprunts plus ou moins faciles lui aura trop souvent peut-être fait oublier toute prudence et méconnaître qu'il doit, avant tout, compter sur lui-même.

Et, d'ailleurs, pourquoi cette sorte de privilége? Pourquoi une institution de crédit spécial, applicable seulement à une industrie déterminée?

Est-ce que celles des tissus, des cristaux, des métaux, est-ce que le commerce des denrées coloniales, des vins, de la bijouterie, etc., est-ce que ces exploitations ont des banques particulièrement affectées aux besoins de chacune d'elles?

Dans les affaires quelles qu'elles soient, celui-là présente des garanties qui n'embrasse pas au-dessus de ses forces et dont la position s'affermit progressivement par le travail et l'économie; avec juste raison on peut lui appliquer cette parole du poëte: vires acquirit eundo. •

Vienne, soit un moment difficile, soit le besoin bien étudié, bien réfléchi d'une extension à donner à ses opé

rations, toujours il trouvera chez le banquier ou dans les bourses particulières les ressources et le levier dont il peut avoir momentanément besoin.

Eh bien! Messieurs, il en de même pour le cultivateur. Qu'une mauvaise récolte, qu'un accident, qu'une épidémie vienne lui créer une gêne passagère, qu'il veuille agrandir le cercle de ses travaux ou pratiquer certaines améliorations foncières, s'il a fait ses preuves, s'il a su inspirer confiance, il trouvera chez les capitalistes, chez les banquiers le même appui qu'y viennent demander les négociants. Les conditions seront exactement les mêmes parce que la confiance qu'il aura inspirée sera cotée au même taux. Puis, comme eux aussi, il a la ressource tutélaire des assurances qui le garantissent contre de désastreuses éventualités.

Ce qu'on ne doit pas se lasser de répéter, c'est qu'en toute carrière, il faut savoir marcher d'abord avec prudence et réserve et n'allonger le pas qu'au fur et à mesure que les obstacles s'aplanissent, et que la voie devient. facile en s'élargissant naturellement.

Il faut surtout savoir se soustraire aux atteintes de cette fièvre d'aspirations ambitieuses, désordonnées, dont notre époque offre malheureusement trop d'exemples, et qui précipitent à toute vapeur, les individus vers le succès et la fortune.

Si cette force motrice a ses merveilles, elle a aussi ses dangers. Appliquée inopportunément et sans mesure, elle n'est plus qu'une occasion de catastrophes, et si notre agriculture a échappé jusqu'ici à ces grands sinistres qui frappent trop souvent d'autres industries, c'est qu'elle a été assez prudente pour se suffire à elle-même et qu'elle n'a pas basé ses opérations sur l'emprunt et les capitaux étrangers.

On ajoute que le cultivateur ne saurait emprunter aux mêmes conditions que le commerce ou l'industrie; qu'il lui faut des capitaux à des conditions plus favorables, plus en rapport avec ses bénéfices probables, généralement assez limités.

Mais à quelles sources un comptoir uniquement agricole puiserait-il ses capitaux pour les répandre autour de lui à des conditions meilleures que celles des autres banques?

Qui donc lui porterait ses épargnes à un intérêt inférieur de 2 ou seulement de 1 0/0 à celui qu'il pourrait trouver ailleurs, quand on entend de toutes parts retentir des promesses de 7, 8 et 10 00?

On cite bien, il est vrai, le Crédit foncier qui reçoit des dépôts dont il ne sert l'intérêt qu'à 1 ou 20/0. Espérer que ces dépôts se détourneront de cette institution pour sc diriger vers des banques agricoles qui, certes, ne seront jamais constituées de manière à donner les garanties offertes par ce grand établissement financier, ce serait là une étrange illusion.

Il existe déjà, d'ailleurs, des comptoirs agricoles; croiton qu'ils prêtent à des taux bien minimes? On constate officiellement que l'un d'eux, créé dans un riche département voisin et cité comme modèle, comme type, ne délivrait ses fonds qu'à 6, 7, 8 et même 9 00, et son directeur qui jouissait de la plus haute confiance, a disparu laissant un déficit considérable.

Après avoir touché d'assez beaux dividendes les actionnaires sont menacés de perdre une partie des capitaux qu'ils lui avaient confiés.

Nous n'irons pas jusqu'à dire ab uno disce omnes, encore bien que nous en connaissions un autre qui a fini de la même manière; mais c'est là un enseignement qui ne sera pas oublié.

« AnteriorContinuar »