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M. Ch. REMY, Vice-secrétaire, lit le compte-rendu des travaux de l'exercice académique de novembre 1869 à novembre 1871.

M. Camille SAVY lit une pièce de vers intitulée : L'inauguration de l'Isthme de Suez.

PRONONCÉ

PAR M. PASCAL DUGUET

PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ

MESSIEURS,

Quand les plus graves et les plus pénibles préoccupations nous environnent encore, quand l'àme du pays est profondément attristée, vous comprenez pourquoi la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts du département ne donne pas à la distribution de ses récompenses son caractère habituel, et pourquoi nous avons retranché de son programme ce qui pourrait ressembler à une sorte de solennité.

Toute démonstration de ce genre serait une offense au sentiment public, au nôtre, à nous surtout, qui avons la douleur de subir encore l'occupation étrangère.

MESSIEURS,

Les cruels événements de 1870 ont forcément suspendu nos travaux, et nous n'avons pu procéder à la distribution des distinctions méritées par quelques-uns des concurrents qui, répondant à notre appel, avaient

produit soit des mémoires, soit des travaux dignes de vous être signalés.

C'est donc justice de venir aujourd'hui vous les faire connaître.

Malgré les malheurs du pays, les Sociétés agricoles et académiques doivent poursuivre leur tâche, elles ne doivent donner l'exemple d'aucune défaillance, aussi avons-nous repris nos séances tout aussitôt qu'un calme relatif est apparu.

Vous me permettrez donc, messieurs, de vous demander de faire pendant quelques instants trève à vos pensées actuelles et d'appeler votre attention sur un problème bien souvent posé et toujours resté sans véritable solution pratique.

Chaque année, retentissent, vous le savez, les plaintes les plus énergiques soulevées par la désertion des travaux des champs et la dépopulation des campagnes.

Si les propriétaires et les cultivateurs ont un intérêt. de premier ordre à chercher quelques remèdes à une situation pleine d'inquiétudes, les économistes, les hommes politiques doivent également appliquer leurs études à combattre cette désertion, car il faut bien le reconnaître, il n'est aucun problème économique qui n'ait son contre-coup dans l'ordre politique.

Pour les économistes, l'objectif est l'importante question des subsistances, de la production des matières premières indispensables à nos multiples industries, puis cet autre Protée, toujours poursuivi et toujours insaisissable, c'est-à-dire : La vie à bon marché.

Pour les hommes politiques, la question doit se présenter sous un autre aspect: celui de la stabilité, stabilité qui ne peut réellement exister que par une sérieuse pondération entre les diverses forces vives du pays..

Nos grandes industries nationales, en se développant constamment, appellent, par l'antagonisme de salaires, de nombreuses populations ouvrières soutirées à nos campagnes. Il en résulte que l'agglomération, dans les grands centres, de masses considérables d'ouvriers, affaiblit le contre-poids nécessaire pour maintenir l'équili bre sur lequel repose cependant la sécurité et l'avenir du pays.

Mais ne touchons pas davantage à ce côté politique, occupons-nous seulement de la dépopulation des campagnes, au point de vue des intérêts agricoles, et recherchons si cette situation est irremédiable.

Ce serait toutefois, messieurs, une grave erreur que de considérer la désertion de nos campagnes comme un fait datant de quelques années seulement. Cette situation est de beaucoup antérieure à notre époque, et vous ne serez pas surpris si je rappelle, avec l'histoire, qu'elle a pris son origine au siècle de Louis XIV.

En effet, jusqu'au commencement du XVIIe siècle, la France, nation essentiellement agricole, tirait ses principales richesses de ses cultures et de ses pâturages naturels. L'industrie, le grand commerce, ne tenaient alors qu'un rang très-secondaire dans la fortune publique. Les produits de nos quelques manufactures étaient restreints aux besoins de notre consommation intérieure, aucun intérêt ne semblait nécessiter de leur part, un nouvel et plus grand essor.

Loin d'exporter à l'étranger, nous recevions de lui, et contre espèces, ses denrées et ses produits sans rien lui offrir en contre-échange.

Notre marine marchande n'existait en quelque sorte pas, et les négociants anglais ou hollandais faisaient seuls presque tout le commerce de la France.

Un grand ministre, Colbert, convaincu que cette situation peut et doit changer, - que le génie et les forces de la France veulent être dirigés vers des horizons plus étendus, n'hésite pas à créer la Compagnie des Indes. Le Roi et la nation la soutiennent par des subventions considérables, 12 à 15 millions de cette époque y sont consacrés; la construction de vaisseaux marchands est également encouragée par des primes élevées. Des manufactures se créent. Abbeville, Sedan fabriquent les draps tirés précédemment de la Hollande et de l'Angleterre ; chaque nouveau métier reçoit des subventions. De 1663 à 1760, 44,200 métiers à laine sont ainsi établis dans le royaume.

Déjà les manufactures de soie produisent un commerce de plus de 50 millions, nos glaces rivalisent avec celles de Venise. Les tapis de la Savonnerie, des Gobelins et de Beauvais fournissent au pays comme à l'exportation des produits qui étaient jusque là tirés presque uniquement de la Turquie ou de la Perse.

L'industrie des dentelles se fonde à Alençon et commence à lutter avec la dentelle anglaise, comme aussi commencent à se développer nos fabriques de bas et de bonneterie.

L'élan est donné; une vive impulsion s'empare de toutes les intelligences, partout s'élèvent de vastes ateliers, puis viennent ces admirables constructions qui ajoutent à la gloire de ce siècle, Versailles, le Louvre, le Palais-Royal, les Invalides et combien d'autres encore?

Au point de vue qui nous occupe, quelles furent pour nos campagnes les conséquences de cet élan industriel et commercial?

C'est alors que commença leur désertion. Il fallait bien trouver des ouvriers pour satisfaire à toutes ces créations, et les campagnes furent appelées à les fournir.

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