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RAPPORT

Présenté par M. le docteur SALLE

AU NOM DE LA COMMISSION DU PREMIER CONCOURS (1)

QUESTION DE LA LOI SUR LES COALITIONS.

MESSIEURS,

L'année dernière, pour votre premier concours, vous avez posé la question suivante: Quels résultats a déjà produits et peut encore produire par la suite, pour nos industries nationales, la loi du 25 mai 1864 sur les coalitions? Quelles conséquences matérielles et morales doit-on en attendre pour les classes ouvrières?

Un seul mémoire vous a été adressé.

L'auteur commence par jeter un coup d'œil sur les temps anciens. Dans l'antiquité, en Grèce, le pays de la civilisation par excellence; à Rome, guerrière et conquérante, l'ouvrier était esclave, il était la chose du maître, qui avait sur lui droit de vie et de mort; condamné chaque jour à un rude labeur, il était souvent moins bien traité que les animaux compagnons de son travail. Au moyenâge, l'ouvrier était serf, c'est-à-dire qu'il appartenait aussi

:

(1) Membres de la commission MM. Emile Perrier, président, Dr Salle, Duguet, Savy père, Burel, Martin et Quinquet de Monjour, secrétaire.

entièrement au seigneur qui pouvait disposer, à son gré, de ses biens, de ses enfants et même de sa vie; il épuisait ses forces à construire des châteaux ou de magnifiques basiliques qui font encore aujourd'hui notre admiration, mais qui ont été les témoins de bien des souffrances. Plus tard, lors de l'établissement successif des communes, s'organisèrent les corporations d'arts et métiers, les jurandes et les maîtrises, dont quelques vestiges remontent aux premiers âges du monde, et qui se sont étendues à toute l'Europe. C'était un régime despotique dans lequel les simples ouvriers étaient à la merci du maître et dans un état précaire dont ils ne pouvaient sortir que très-difficilement. C'était une nouvelle forme d'esclavage qui n'était guère plus doux que celui de la féodalité. Ce n'est qu'à la fin du siècle dernier que la grande révolution de 1789 rendit l'ouvrier véritablement libre. La classe bourgeoise, qui dominait dans l'Assemblée nationale, affranchit les travailleurs après s'être affranchie elle-même. Cependant, elle sut prévoir les abus que l'on devait faire de cette liberté. L'Assemblée, qui avait voté les Droits de l'homme, comprit qu'il n'était pas possible à des ouvriers de se réunir en grand nombre et de se concerter pour obtenir de meilleures conditions ou des salaires plus élevés, sans chercher à faire la loi à leurs patrons ou à imposer leurs volontés à leurs compagnons par les moyens les plus extrêmes et les plus tyranniques. Elle fit la loi d'octobre 1791, qui regardait la coalition comme un délit qu'elle punissait assez sévèrement, puisque pour les chefs et les meneurs la peine pouvait s'élever à cinq ans de prison et autant de surveillance. La France vécut 70 ans sous cette législation qui n'empêcha pas des bris de machines et quelques incendies de manufactures pendant les révolutions de 1830 et de 1848, mais dans les temps ordinaires, notre pays n'a

pas connu les perturbations et les misères qui les accompagnent, dévorant l'Angleterre sous un régime plus libéral, et qui faisaient dire au célèbre O'Connel que les coalitions établissaient un despotisme incroyable sur les travailleurs, et que les malheureux ouvriers n'avaient pas de pires maîtres que leurs pareils.

On se demande pourquoi la loi a été changée ? Tout le monde reconnaît que l'ouvrier doit pouvoir défendre ses intérêts, demander un salaire plus élevé et refuser son travail si cela lui convient; mais il n'a pas le droit de troubler la société. Cinquante mauvais sujets agitateurs et paresseux ne doivent pas pouvoir imposer leur volonté à cinq cents ouvriers honnêtes et laborieux par des menaces et des violences. Une fausse philanthropie, des théories socialistes ont amené ce changement secondé, il faut le dire, par la volonté du chef de l'Etat qui croyait, en flattant les ouvriers, se les attacher; erreur funeste, qui lui a fait donner des armes à ses plus grands ennemis. Aussitôt la promulgation de la loi du 5 mai 1864, ses funestes effets ne tardèrent pas à se manifester; dans la première année qui suivit, les tribunaux eurent à juger 96 délits d'atteinte à la liberté du travail et il y eut 173 condamnations. Les grèves éclatèrent de tous côtés à Roubaix, à Amiens, à Paris, à Marseille, à Rives-de-Gier, au Creusot, à Fourchambaut, et furent suivies de scènes déplorables et de violences qu'il fallut réprimer par la force armée. Survint bientôt l'association internationale, société sans foi ni lois, sans patrie, sans famille, sans religion, formée par les mauvais sujets et les agitateurs de tous les pays, qui donne le mot d'ordre, dirige les mouvements, en reliant par des sociétés secrètes, les associations des divers pays, elle est devenue une puissance très-dangereuse.

Quels ont été les résultats de cette nouvelle loi sur nos

industries? Ils sont des plus fàcheux. Avec la spécialité admise aujourd'hui dans toutes les grandes industries, la grève dans une branche de travail arrête tout. Ainsi, dans une fabrique de tissus, si les fileurs se mettent en grève, les tisseurs, les imprimeurs, les teinturiers, les apprêteurs doivent chomer. La production s'arrête le fabricant ne pouvant plus remplir ses engagements, sa clientèle va s'approvisionner d'un autre côté et quelquefois ne revient plus. Ainsi l'internationale peut ruiner une maison en soulevant à propos, au profit d'un concurrent, une grève parmi ses ouvriers. Beaucoup de nos industries ont déjà bien souffert, et toutes sont menacées même dans leur existence. L'auteur établit par des calculs les pertes érrormes qu'elles ont subies.

Quelles conséquences matérielles et morales doit-on attendre de la loi de 1864? Elles sont désastreuses : l'ouvrier n'étant plus arrêté par le frein salutaire de la loi, croyant même, dans son ignorance, être encouragé par elle, écoute les mauvaises suggestions, s'abandonne à ses passions et aux mauvais instincts, pour porter atteinte à la liberté des autres et nuire à ses propres intérêts. Que la lutte s'établisse entre les patrons et les ouvriers, entre les ouvriers eux-mêmes ou entre ceux-ci et les agents de la force publique, les conséquences en sont également fâcheuses. Ce sont la ruine ou au moins des pertes énormes, des collisions sanglantes, des arrestations, des emprisonnements, et pendant ce temps-là, la misère, la faim, le désespoir viennent s'abattre sur les familles. Dans d'autres temps, la pitié, la charité publique répondent aux gémissements et aux cris de détresse des femmes et des enfants. Mais alors que peuvent-elles faire quand les sources de cette charité sont taries par le fait même des fauteurs de coalitions et des artisans du désordre?

Que dirons-nous des conséquences morales? Le travailleur rendu sourd aux cris de détresse des siens, n'éprouvant plus les saintes affections de famille, devient homme de cabaret et de débauche; il fréquente les clubs, s'affilie aux sociétés secrètes, il est toujours prêt à changer le noble instrument de son travail contre le fusil ou le pavé des barricades; fidèle auxiliaire de tous les déclassés, de tous les ambitieux de bas étage, il fait des émeutes et des révolutions, il renverse les gouvernements, ébranle l'ordre social, et proclame l'affreuse commune.

La loi de 1864 n'était point nécessaire, elle est dangereuse et funeste; elle n'a fait que du mal à nos industries nationales, aux patrons et encore plus aux ouvriers. Il faut la faire disparaître et revenir à la législation de 1791. En même temps, il faut s'occuper d'agir sur les ouvriers; veiller à leur bien-être en protégeant et répandant les caisses d'épargne, les sociétés de secours mutuels, les caisses de retraite, les sociétés coopératives; il faut étendre son instruction par des cours publics et des conférences; s'efforcer de ranimer le sentiment moral et religieux dans les masses, en rendant plus fréquentes et plus normales les relations avec les autres classes, dans des cercles catholiques et des sociétés syndicales. Il faut leur faire comprendre que tout se tient dans l'économie sociale; que si le chef d'industrie a besoin de leur coopération, ils ne peuvent se passer, eux, du salaire rémunérateur qu'ils en reçoivent; en un mot que leurs intérêts sont intimement liés à ceux de leurs patrons. Quand l'ouvrier sera bien convaincu de ces vérités, il ne fera plus de grèves ni de coalitions.

J'espère, Messieurs, par cette analyse, vous avoir donné une idée du travail qui vous a été adressé. L'auteur a traité

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