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OCTOBRE ET NOVEMBRE 1872

SÉANCE DU 2 DÉCEMBRE 1872.

Elle est sonnée enfin, cette heure du réveil !
L'âme, qui renaît, cherche, après ce long sommeil,
S'il ne lui reste rien de son cauchemar sombre.....
Et croit encore voir du sang rougir dans l'ombre....

Le brouillard s'est levé, le soleil dans la nuit
A jeté son rayon, et le doute s'enfuit....
O douleurs de la veille, aujourd'hui vous ignore!
Salut, doux arc-en-ciel, ò drapeau tricolore,
Chère France, salut! Que tes riches couleurs
Jettent enfin, hélas ! d'ivresse dans nos cœurs !.....
Tu nous vois gais, heureux, demain nous verra tristes,
Car la douleur jamais ne fait des égoïstes.

Conformément aux désirs exprimés par la Société, cette pièce de vers a été tirée à part et mise en vente au bureau du Journal de la Marne, au profit du Comité châlonnais de secours aux AlsaciensLorrains.

Pauvre Alsace, où faut-il te chercher aujourd'hui ?
De tes vallons aimés le doux soleil a fui....

Les murs sont nus et froids,... la porte est entr'ouverte,...

Le berceau renversé dans la chambre déserte,....

Le foyer est sans feu,.... la grange sans moisson,

Et déjà l'herbe croit au seuil de la maison...

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Le vent souffle partout.... Au doux nid qui frissonne
Qui reviendra ce soir, - demain,

après?

Personne.

Que sont donc devenus, ô monts, vos gais échos?
O routes, vos passants, ô plaines, vos troupeaux?
Le brouillard fait tomber les feuilles à l'automne,
Mais le printemps aux bois rend leur verte couronne,
Comme il rend leurs joyaux aux vallons reverdis :
Mère, - qui te rendra tous tes enfants partis?

Qui de jaunes moissons enrichira la plaine?
Un seul hôte est resté, rude semeur, la haine.
Ces champs abandonnés pour rien étaient vendus,
Mais eux-mêmes les Juifs déjà n'en veulent plus....
- Dans les villes, le soir, les chouettes fidèles
Sont seules à répondre aux cris des sentinelles....
Les heures de la nuit, qui sonnent lentement,
Entendent répéter le sauvage hurlement

Du soldat ennemi qu'on relève de garde

Et qui semble crier : « Væ victis, prenez garde!

»De mort et de ruine, infernal ouvrier,

» Je suis là!...... » Comme si l'on pouvait l'oublier!

Où sont donc aujourd'hui ces familles nombreuses
Que l'hiver revoyait se réunir, heureuses
D'écouter ces récits de nains et de géants
Que l'aïeule apprenait à ses petits enfants,

Qui, tremblants, écoutaient ces contes des veillées,
Ces légendes des temps à l'histoire mêlées?

Tristes, elles s'en vont suivant le grand chemin : Le père aux plus àgés s'en va donnant la main; La mère vient derrière, elle est vaillante et forte, Car son cœur la soutient; aux petits qu'elle emporte Elle sourit. « Au moins ils ne les auront pas ! » Leur bagage léger surcharge peu leurs pas.

-Ils ont passé la ligne, ô frontière factice,
Que le vainqueur d'un jour, en son cruel caprice,
A tracée!0 malheur ! les voilà presqu'heureux,
L'air français a séché les larmes de leurs yeux,
Ils répètent le chant que Strasbourg a vu naître,
Et que poursuit là-bas comme un crime.... son maître!
Gardez-en souvenir, ô plaines et vallons,

Des tyrans oublieux il fait pålir les fronts!

Mais que trouveront-ils pour abriter leur tête,
Pour sécher leurs habits mouillés par la tempête,
Pour chauffer leurs enfants pendant le rude hiver?
Les pauvres gens pourtant ont déjà bien souffert....
Des comités partout s'en viennent à leur aide,
Mais à des maux si grands il est peu de remède.

- Pour eux, le gai printemps sera triste et sans fleurs,
Et, gros de souvenirs, rappellera leurs pleurs....
Car, même ici, qui peut leur rendre la patrie
Que déchire à plaisir l'affreuse barbarie ?
Car, avant tout, hélas ! la patrie est pour nous,
Le pays cher au cœur où, sur ses doux genoux,
Nous couvrant de baisers, nous berça notre mère.

Pour chacun de nous, c'est ce petit coin de terre
Où nous avons joué, rêvé, souffert, aimé....

Où tout est pour nos cœurs de souvenirs semé...

Qu'il est froid, qu'il est nu ce rocher qui surnage
Où s'accroche avec foi l'épave du naufrage!
Long martyre, l'exil sans l'espoir c'est la mort
Sans la tombe.... Et pourtant les plus à plaindre encor
Ne sont pas ceux qui vont errant à l'aventure,

Dont les pieds sont saignants, la misère si dure,

Mais ceux qui sont restés... tout seuls... sans un enfant !
Pauvres frères, pour vous le Ciel sera clément,

Et, malgré les tyrans, malgré leurs lois maudites,
Il fera de bluets, de blanches marguerites
Et de coqueliquots rouges, fleurir les champs....
Des rayons de l'espoir éclairant vos couchants,
Il remplira vos cœurs de cette foi profonde,
Si forte, autour de qui tout gravite en ce monde,
Qui brise le puissant et soutient le malheur,
Ce levier à qui l'homme emprunte sa grandeur,
Des méchants, des tyrans qui n'est jamais complice,
Qui sait trouver son heure et qu'on nomme Justice.

-Ce n'était pas assez, n'est-ce pas, ò tyrans,
D'avoir incendié les maisons et les champs....
-Les frères, les époux tués dans la bataille,
Les enfants bombardés derrière la muraille,
Et la mère égorgée en relevant les morts,
Et tous ces malheureux, épars, jetés dehors,
Ne devaient pas, pour vous, verser assez de haine
Dans le cœur des enfants d'Alsace et de Lorraine !
Il vous fallait encor, atroce invention,

Faire afficher l'appel de la conscription.....

Pressés déjà d'armer le fils contre le père,
L'enfant contre sa mère, et frère contre frère !.....
Combien ont répondu, dites, à votre appel?
Et s'il en est,songez à la flèche de Tell....

Pour nous, souvenons-nous, en buvant le calice, Que partout et toujours, il est une justice.

A.-CAMILLE SAVY.

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