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RAPPORT

SUR LA

PRÉSERVATION DES VIGNES

CONTRE LES

GELÉES DU PRINTEMPS

LU PAR

M. DUGUET, membre titulaire,

Dans la séance du 15 mars 1873.

MESSIEURS,

J'ai déjà eu l'honneur d'entretenir notre Société de communications relatives à la découverte et l'application d'un procédé ayant pour objet la préservation de la vigne contre les gelées du printemps.

J'ai cité les résultats obtenus de ce procédé par M. Gaston Bazile, grand propriétaire viticulteur de l'Hérault, c'est-à-dire la création de nuages artificiels venant empêcher le rayonnement de la chaleur terrestre, cette déperdition étant seule la cause de désastres qui viennent trop souvent frapper la production viticole, notamment

dans les contrées situées, comme la Champagne, presque à la limite des climats où cette production est admissible.

Un fait tout récent vient d'éveiller de nouveau l'attention et les sollicitudes des viticulteurs, et de tous ceux qui s'intéressent à cette production, source de travail et de profits pour une foule de familles, d'industries et de commerces gravitant autour d'elle, vivant de sa propre vie et lui devant, ou leur prospérité, ou leur atonie, suivant que prospère ou souffre la culture de la vigne.

Il n'y a donc rien d'exagéré à dire que, derrière cette simple question des effets de la gelée sur la vigne, se présente une foule de conséquences désastreuses, qu'il est du plus sérieux intérêt de chercher à conjurer.

Nous venons de rappeler que le procédé consiste dans la création de nuages artificiels, et la plupart des journaux entretiennent leurs lecteurs d'expériences faites, ces jours derniers, à Suresnes, sous les auspices de la Société des agriculteurs de France, et sous la direction. de M. le comte de La Loyère, grand viticulteur en Bourgogne.

Disons-le de suite, ces expériences ont donné les résultats les plus concluants, les plus indiscutables.

On connait parfaitement, et pourtant il n'est pas inutile de le rappeler, comment et par quelles causes se produisent ces gelées qui, vers le milieu du mois d'avril ou le commencement de mai, pendant le règne presque toujours néfaste de la Lune rousse, viennent trop souvent anéantir les plus belles et réjouissantes préparations et porter la désolation dans nos vignobles.

Dans les journées claires de cette époque, la direction du vent étant nord, nord-est ou est, alors qu'il n'existe aucun nuage, que les étoiles brillent d'un vif éclat, le

thermomètre s'abaissant vers le soir à 4 ou 5 degrés audessus de zéro, on sait qu'il y a tout lieu de redouter un abaissement très-sensible de température, d'où comme conséquence fatale, une gelée plus ou moins forte et la destruction des jeunes bourgeons si tendres et si impressionnables. Cet abaissement de température est dû à ce que rien, ni nuage, ni vent, ne vient faire obstacle au dégagement, au rayonnement de la chaleur terrestre; aussi ne rencontrant aucun empêchement, s'échappe-t-elle pour se perdre dans les espaces célestes.

Pour conjurer les effets de ce phénomène, il s'agirait, à défaut de nuages naturels, d'opposer à la déperdition du calorique terrestre des obstacles artificiels.

Tel a été le but des efforts de M. Gaston Bazile.

Cet honorable viticulteur n'ignorait pas que depuis fort longtemps des tentatives avaient été faites, il savait que déjà, vers la première année de l'ère chrétienne, Columelle recommandait des feux de paille dont la fumée pouvait sauvegarder les vignes contre une nature d'accidents existant de toute éternité. Mais un pareil moyen est bien peu praticable, quand il s'agit de grandes cultures; il nécessite une foule de complications, auxquelles il n'est pas facile de satisfaire; aussi n'a-t-il jamais prévalu, et n'a-t-il jamais été appliqué de manière à s'imposer, ni généralement, ni même dans une certaine mesure.

Citons cependant que, dans le Rhingau, contrée du duché de Nassau, où se récoltent d'excellents vins, rappelons que, malgré de nombreux embarras, les vignerons emmagasinent, à l'automne, certains approvisionnements de feuilles sèches. Ils les transportent ensuite au pied de leurs vignes à l'époque critique, et y mettent le feu; ils obtiennent ainsi la préservation de leurs jeunes pousses.

C'est là une pratique compliquée devant laquelle ils ne reculent cependant pas, tant il leur est précieux de sauver une récolte qui déjà a exigé bien des soins et des frais de toute nature.

Combien ces vignerons sont plus prévoyants et soucieux qu'on ne l'est en Champagne! Et pourtant, quelle différence entre la valeur de nos vins et celle des produits du Rhingau!

M. Gaston Bazile s'est donc ingénié à trouver un procédé d'une application facile, moins coûteuse et il est arrivé, de recherches en recherches, à en rencontrer un présentant, sinon des certitudes absolues, du moins les chances les plus sérieuses d'efficacité; il le pratique depuis plusieurs années sur sa propriété de 40 hectares, et ses vignes ne sont plus décimées par les gelées de printemps. Le procédé consiste à se pourvoir d'une certaine quantité de godets en tôle, ou simplement en terre cuite, ces récipients, espacés de 15 à 20 mètres les uns des autres, sont remplis d'huile lourde, on les place à l'extrémité des propriétés, puis au milieu si l'étendue l'exige, et sous la direction du vent, c'est-à-dire au nord ou à l'est, puisque ces deux directions indiquent naturellement la disposition calorique de l'atmosphère.

On calcule que la dépense, même en répétant l'opération deux ou trois fois pendant la durée de cette époque critique, ne dépasserait pas 8 à 10 francs par hectare! Le prix des godets en terre serait de 0,10 centimes et celui des huiles lourdes de 20 à 25 francs les 100 kilog. La main-d'œuvre, prise principalement sur le repos, et non sur le travail de la journée, n'entraîne qu'une dépense insignifiante.

Lorsque se présentent les circonstances météorologiques

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