L'Anglois couvre pour nous la mer de cent vaisseaux ; Cologne après Munster nous prête ses vassaux; Ces prélats, pour marcher contre des sacriléges, De leur sacré repos quittent les priviléges, Et pour les intérêts d'un Dieu leur souverain Se joignent à nos lis le tonnerre à la main. Cependant la Hollande entend la renommée Publier notre marche et vanter notre armée. Le nautonier brutal, et l'artisan sans cœur, Déja de sa défaite osent se faire honneur : Cette ame du parti, cet Amsterdam, qu'on nomme Le magasin du monde et l'émule de Rome, Pour se flatter d'un sort à ce grand sort égal, S'imagine à sa porte un second Annibal; S'y figure un Pyrrhus, un Jugurthe, un Persée; Et, sur ces rois vaincus promenant sa pensée, S'applique tous ces temps où les moindres bourgeois Dans Rome avec mépris regardoient tous les rois : Comme si son trafic et des armes vénales Lui pouvoient faire un cœur et des forces égales!
Voyons, il en est temps, fameux républicains, Nouveaux enfants de Mars, rivaux des vieux Romains, Tyrans de tant de mers, voyons de quelle audace Vous détachez du toit l'armet et la cuirasse, Et rendez le tranchant à ces glaives rouillés Que du sang espagnol vos pères ont souillés.
Juste ciel! me trompé-je, ou si déja la guerre Sur les deux bords du Rhin fait bruire son tonnerre? Condé presse Wesel, tandis qu'avec mon roi Le généreux Philippe assiége et bat Orsoy ; Ce monarque avec lui devant Rhimbergue tonne, Et Turenne promet Buric à sa couronne. Quatre siéges ensemble, où les moindres remparts Ont bravé si long-temps nos modernes Césars, Où tout défend l'abord (qui l'auroit osé croire!), Mon prince ne s'en fait qu'une seule victoire. Sous tant de bras unis il a peur d'accabler, Et les divise exprès pour faire moins trembler; Il s'affoiblit exprès pour laisser du courage; Pour faire plus d'éclat il prend moins d'avantage;
Et n'envoyant partout que des partis égaux, Il cherche à voir partout répondre à ses assauts. Que te sert, o grand roi, cette noble contrainte? Partager tes drapeaux c'est partager la crainte, L'épandre en plus de lieux, et faire sous tes lois Tomber plus de remparts et de peuple à la fois. Pour t'affoiblir ainsi tu n'en deviens pas moindre ; Ta fortune partout sait l'art de te rejoindre: L'effet est sûr au bras dès que ton cœur résout; Tu ne bats qu'une place, et tes soins vont partout; Partout on croit te voir, partout on t'appréhende, Et tes ordres font tout, quelque chef qui commande. Ainsi tes pavillons à peine sont plantés, A peine vers les murs tes canons sont pointés, Que l'habitant s'effraie, et le soldat s'étonne; Un bastion le couvre et le cœur l'abandonne; Et le front menaçant de tant de boulevards, De tant d'épaisses tours qui flanquent ses remparts, Tant de foudres d'airain, tant de masses de pierre, Tant de munitions et de bouche et de guerre, Tant de larges fossés qui nous ferment le pas, Pour tenir quatre jours ne lui suffisent pas. L'épouvante domine, et la molle prudence Court au-devant du joug avec impatience, Se donne à des vainqueurs que rien n'a signalés, Et leur ouvre des murs qu'ils n'ont pas ébranlés.
Misérables! quels lieux cacheront vos misères Où vous ne trouviez pas les ombres de vos pères, Qui, morts pour la patrie et pour la liberté, Feront un long reproche à votre lâcheté ? Cette noble valeur autrefois si connue, Cette digne fierté, qu'est-elle devenue? Quand sur terre et sur mer vos combats obstinés Brisoient les rudes fers à vos mains destinés; Quand vos braves Nassaus, quand Guillaume et Maurice, Quand Henri vous guidoit dans cette illustre lice; Quand du sceptre danois vous paroissiez l'appui, N'aviez-vous que les cœurs, que les bras d'aujourd'hui ? Mais n'en réveillons point la mémoire importune; Vous n'êtes pas les seuls, l'habitude est commune,
Et l'usage n'est plus d'attendre sans effroi Des François animés par l'aspect de leur roi. Il en rougit pour vous, et lui-même il a honte D'accepter des sujets que le seul effroi dompte, Et, vainqueur malgré lui sans avoir combattu, Il se plaint du bonheur qui prévient sa vertu.
Peuples, l'abattement que vous faites connoître Ne fait pas bien sa cour à votre nouveau maître ; Il veut des ennemis, et non pas des fuyards Que saisit l'épouvante à nos premiers regards : Il aime qu'on lui fasse acheter la victoire; La disputer si mal, c'est envier sa gloire; Et ce tas de captifs, cet amas de drapeaux, Ne font qu'embarrasser ses projets les plus beaux. Console-t'en, mon prince; il s'ouvre une autre voie A te combler de gloire aussi bien que de joie: Si ce peuple à l'effroi se laisse trop dompter, Ses fleuves ont des flots à moins s'épouvanter. Ils ont fait aux Romains assez de résistance Pour en espérer une en faveur de ta France; Et ces bords où jamais l'aigle ne fit la loi S'oseront quelque temps défendre contre toi. A ce nouveau projet le monarque s'enflamme, Il examine, il tate, et résout en son ame; Et, tout impatient d'en recueillir le fruit, Il part dans le silence et l'ombre de la nuit. Des guerriers qu'il choisit l'escadron intrépide, Glorieux d'un tel choix, et ravi d'un tel guide, Marche incertain des lieux où l'on veut son emploi, Mais assuré de vaincre où l'emploiera son roi. Le jour à peine luit, que le Rhin se rencontre; Tholus frappe les yeux, le fort de Skeink se montre: On s'apprête au passage, on dresse les pontons; Vers la rive opposée on pointe les canons. La frayeur que répand cette troupe guerrière Prend les devants sur elle, et passe la première; Le tumulte à la suite et sa confusion Entraînent le désordre et la division. La discorde effarée à ces monstres préside, S'empare au fort de Skeink des cœurs qu'elle intimide,
Et d'un cor enroué fait sonner en ces lieux
La fureur des François et le courroux des cieux, Leur étale des fers, et la mort préparée, Et des autels brisés la vengeance assurée. La vague au pied des murs à peine ose frapper, Que le fleuve alarmé ne sait où s'échapper; Sur le point de se fendre, il se retient, et doute Ou du Rhin ou du Whal s'il doit prendre la route.
Les tremblements de l'île ouvrant jusqu'aux enfers (Écoute, Renommée, et répète mes vers), Le grand nom de Louis et son illustre vie Aux Champs élysiens font descendre l'Envie, Qui pénètre à tel point les månes des héros, Que, pour s'en éclaircir, ils quittent leur repos. On voit errer partout ces ombres redoutables Qu'arrêtèrent jadis ces bords impénétrables : Drusus marche à leur tête, et se poste au fossé Que pour joindre l'Yssel au Rhin il a tracé; Varus le suit tout pâle, et semble dans ces plaines Chercher le reste affreux des légions romaines ; Son vengeur après lui, le grand Germanicus, Vient voir comme on vaincra ceux qu'il n'a pas vaincus : Le fameux Jean d'Autriche, et le cruel Tolède, Sous qui des maux si grands crûrent par leur remède; L'invincible Farnèse, et les vaillants Nassaus, Fiers d'avoir tant livré, tant soutenu d'assauts, Reprennent tous leur part au jour qui nous éclaire Pour voir faire à mon roi ce qu'eux tous n'ont pu faire, Eux-mêmes s'en convaincre, et d'un regard jaloux Admirer un héros qui les efface tous.
Il range cependant ses troupes au rivage, Mesure de ses yeux Tholus et le passage, Et voit de ces héros ibères et romains Voltiger tout autour les simulacres vains : Cette vue en son sein jette une ardeur nouvelle D'emporter une gloire et si haute et si belle, Que, devant ces témoins à le voir empressés, Elle ait de quoi tenir tous les siècles passés : Nous n'avons plus, dit-il, affaire à ces Bataves De qui les corps massifs n'ont que des cœurs d'esclaves ;
Non, ce n'est plus contre eux qu'il nous faut éprouver, C'est Rome et les Césars que nous allons braver. De vos ponts commencés abandonnez l'ouvrage, François; ce n'est qu'un fleuve, il faut passer à nage, Et laisser, en dépit des fureurs de son cours, Aux autres nations un si tardif secours : Prenez pour le triomphe une plus courte voie; C'est Dieu que vous servez, c'est moi qui vous envoie; Allez, et faites voir à ces flots ennemis Quels intérêts le ciel en vos mains a remis.
C'étoit assez en dire à de si grands courages : Des barques et des ponts on hait les avantages; On demande, on s'efforce à passer des premiers : Gramont ouvre le fleuve à ces bouillants guerriers : Vendôme, d'un grand roi race tout héroïque, Vivonne, la terreur des galères d'Afrique, Briole, Chavigny, Nogent et Nantouillet, Sous divers ascendants montrent même souhait; De Termes, et Coaslin, et Soubise, et La Salle, Et de Saulx, et Revel, ont une ardeur égale; Et Guitry que la Parque attend sur l'autre bord, Sallart et Beringhens font un pareil effort. Je n'achèverois point si je voulois ne taire Ni pas un commandant, ni pas un volontaire : L'histoire en prendra soin, et sa fidélité Les consacrera mieux à l'immortalité. De la maison du roi l'escadre ambitieuse Fend après tant de chefs la vague impétueuse, Suit l'exemple avec joie; et peut-être, grand roi, Avois-je là quelqu'un qui te servoit pour moi : Tu le sais, il suffit. Ces guerriers intrépides Percent des flots grondants les montagnes liquides. La tourmente, les vents font horreur aux coursiers, Mais cette horreur en vain résiste aux cavaliers; Chacun pousse le sien au travers de l'orage; Le péril redoublé redouble le courage; Le gué manque, et leurs pieds semblent à pas perdus Chercher encor le fond qu'ils ne retrouvent plus; Ils battent l'eau de rage, et, malgré la tempête Qui bondit sur leur croupe et mugit sur leur tête,
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