L'impérieux éclat de leurs hennissements: Veut imposer silence à ses mugissements:
Le gué renaît sous eux ; à leurs crins qu'ils secouent; Des restes du péril on diroit qu'ils se jouent, Ravis de voir qu'enfin leur pied mieux affermi, Victorieux des flots, n'a plus qu'un ennemi.
Tout-à-coup it se montre, et de ses embuscades Il fait pleuvoir sur eux cent et cent mousquetades; Le plomb vole, l'air siffle, et les plus avancés Chancellent sous les coups dont ils sont traversés. Nogent, qui flotte encor dans les goufires de l'onde, En reçoit dans la tête une atteinte profoude : Il tombe, l'onde achève, et, l'éloignant du bord, S'accorde avec le feu pour cette double mort.
Que vois-je! les chevaux que leur sang effarouche Bouleversent leur charge, et n'ont ni frein ni bouche, Et le fleuve grossit son tribut pour Thétis De leurs maîtres et d'eux pêle-mêle engloutis; Le mourant qui se noie à son voisin s'attache, Et l'entraîne après lui sous le flot qui le cache. Quel spectacle d'effroi, grand Dieu, si toutefois Quelque chose pouvoit effrayer les François !
Rien n'étonne; on fait halte, et toute la surprise N'obtient de ces grands cœurs qu'un moment de remise, Attendant qu'on les joigne, et qu'un gros qui les suit Enfle leur bataillon que l'œil du roi conduit. Le bataillon grossi gagne l'autre rivage, Fond sur ces faux vaillants, leur fait perdre courage, Les pousse, perce, écarte, et, maître de leur bord, Leur porte à coups pressés l'épouvante et la mort.
Tel est sur tes François l'effet de ta présence, Grand monarque! tels sont les fruits de ta prudence, Qui par de feints combats prit soin de les former A tout ce que la guerre a d'affreux ou d'amer. Tu les faisois dès-lors à ce qu'on leur voit faire; Et l'espoir d'un grand nom ni celui du salaire Ne font point cette ardeur qui règne en leurs esprits: Tu les vois, c'est leur joie, et leur gloire, et leur prix. Tandis que l'escadron, fier de cette déroute, Mêle au sang hollandois les eaux dont il dégoutte,
De honte et de dépit les mânes disparus De ces bords asservis, qu'en vain ils ont courus, Y laissent à mon roi, pour éternel trophée, Leurs noms ensevelis et leur gloire étouffée.
Mais qu'entends-je! et d'où part cette grêle de coups? Généreuse noblesse, où vous emportez-vous? La troupe qu'à passer vous voyez empressée A courir les fuyards s'est toute dispersée, Et vous donnerez seuls dans ce retranchement Où l'embûche est dressée à votre emportement; A peine y serez-vous cinquante contre mille; Le vent s'est abattu, le Rhinos'est fait docile, Mille autres vont passer, et vous suivre à l'envit Mais je donne un avis que je vois mal suivi; Guitry tombe par terre: Ôciel, quel coup de foudre! Je te vois, Longueville, étendu sur la poudre; Avec toi tout l'éclat de tes premiers exploits Laisse périr le nom et le sang des Dunois, Et ces dignes aïeux qui te voyoient les suivre Perdent et la douceur et l'espoir de revivre. Condé va te venger, Condé dont les regards Portent toute Norlinghe et Lens aux champs de Mars; Il ranime, il soutient cette ardente noblesse Que trop de cœur épuise ou de force ou d'adresse; Et son juste courroux par de sanglants effets Dissipe les chagrins d'une trop longue paix. L'ennemi qui recule, et ne bat qu'en retraite, Remet au plomb volant à venger sa défaite: On l'enfonce. Arrêtez, héros! où courez-vous? Hasarder votre sang, c'est les exposer tous; C'est hasarder Enghien, votre unique espérance, Enghien, qui sur vos pas à pas égaux s'avance. Tous les cœurs vont trembler à votre seul aspect : Mais le plomb n'a point d'yeux, et vole sans respect; Votre gauche l'éprouve. Allez, Hollande ingrate, Plaignez-vous d'un malheur où tant de gloire éclate; Plaignez-vous à ce prix de recevoir nos fers; Trois gouttes d'un tel sang valent tout l'univers : Oui, de votre malheur la gloire est sans seconde D'avoir rougi vos champs du premier sang du monde; Les plus heureux climats en vont être jaloux; Et, quoi que vous perdiez, nous perdons plus que vous. La Hollande applaudit à ce coup téméraire : Le François indigné redouble sa colère; Contre elle Knosembourg ne dure qu'une nuit; Arnheim, qui l'ose attendre, en deux jours est réduit; Et ce fort merveilleux sous qui l'onde asservie Arrêta si long-temps toute la Batavie, Qui de tous ses vaillants onze mois fut l'écueil, L'inaccessible Skeink coûte à peine un coup d'œil.
Que peut Orange ici pour essais de ses armes, Que dérober sa gloire aux communes alarmes, Se séparer d'un peuple indigne d'être à lui, Et dédaigner des murs qui veulent notre appui? La rive de l'Yssel si bien fortifiée, Par ce juste mépris à nos mains confiée, Ne trouve parmi nous que des admirateurs De ses retranchements et de ses déserteurs.
Yssel trop redouté, qu'ont servi tes menaces? L'ombre de nos drapeaux semble charmer tes places : Loin d'y craindre le joug, on s'en fait un plaisir ; Et sur tes bords tremblants nous n'avons qu'à choisir.. Ces troupes qu'un beau zèle à nos destins allie Font dans l'Over-Yssel régner la Westphalie; Et Grolle, Zwol, Kempen, montrent à Deventer Qu'il doit craindre à son tour les bombes de Munster. Louis porte à Doësbourg sa majesté suprême, Et fait battre Zutphen par un autre lui-même : L'un ouvre, l'autre traite, et soudain s'en dédit : De ce manque de foi Philippe le punit, Jette ses murs par terre, et le force à lui rendre Ce qu'une folle audace en vain tache à défendre. Ces colosses de chair robustes et pesants Admirent tant de cœur en de si jeunes ans; D'un héros dont jamais ils n'ont vu le visage En cet illustre frère ils pensent voir l'image, L'adorent en sa place, et, recevant sa loi, Reconnoissent en lui le sang d'un si grand roi. Ainsi, lorsque le Rhin, maitre de tant de villes, Fier de tant de climats qu'il a rendus fertiles,
Enflé des eaux de source et des eaux de tribut, Approche de la mer que sa course a pour but, Pour s'acquérir l'honneur d'enrichir plus de monde, Il prête au Whal, son frère, une part de son onde; Le Whal, qui porte ailleurs cet éclat emprunté, En soutient à grand bruit toute la majesté, Avec pareil orgueil précipite sa course,
Montre aux mêmes effets qu'il vient de même source, Qu'il a part aux grandeurs de son être divin, Et sous un autre nom fait adorer le Rhin.
Qu'il m'est honteux, grand roi, de ne pouvoir te suivre Dans Nimègne qu'on rend, dans Utrecht qu'on te livre, Et de manquer d'haleine alors qu'on voit la foi Sortir de ses cacho's, triompher avec toi, Et, de ses droits sacrés par ton bras ressaisie, Chez tes nouveaux sujets détrôner l'hérésie ! La victoire s'attache à marcher sur tes pas, Et ton nom seul consterne aux lieux où tu n'es pas. Amsterdam et La Haye en redoutent l'insulte; L'un t'oppose ses eaux, l'autre est tout en tumulte : La noire politique a de secrets ressorts Pour y forcer le peuple aux plus injustes morts; Les meilleurs citoyens aux mutins sont en butte: L'ambition ordonne, et la rage exécute;
Et qui n'ose souscrire à leurs sanglants arrêts, Qui s'en fait un scrupule, est dans tes intérêts; Sous ce cruel prétexte on pille, on assassine; Chaque ville travaille à sa propre ruine; Chacun veut d'autres chefs pour calmer ses terreurs. Laisse-les, grand vainqueur, punir à leurs fureurs; Laisse leur barbarie arbitre de la peine D'un peuple qui ne vaut ni tes soins ni ta haine : Et, tandis qu'on s'acharne à s'entre-déchirer, Pour quelques mois ou deux laisse-moi respirer.
SUR LA PRISE DE MAESTRICHT.
Grand roi, Mastricht est pris, et pris en treize jours! Ce miracle étoit sûr à ta haute conduite, Et n'a rien d'étonnant que cette heureuse suite Qui de tes grands destins enfle le juste cours.
La Hollande, qui voit du reste de ses tours Ses amis consternés, et sa fortune en fuite, N'aspire qu'à baiser la main qui l'a détruite, Et fait de tes bontés son unique recours.
Une clef qu'on te rend t'ouvre quatre provinces; Tu ne prends qu'une place, et fais trembler cent princes; De l'Escaut jusqu'à l'Ebre en rejaillit l'effroi.
Tout s'alarme; et l'Empire à tel point se ménage, Qu'à son aigle lui-même il ferme le passage Dès que son vol jaloux ose tourner vers toi.
SUR SON DÉPART POUR L'ARMÉE,
PIÈCE IMITÉE D'UNE ODE LATINE DU PI LUCAS, JÉSUITE.
Le printemps a changé la face de la terre ; Il ramène avec lui la saison de la guerre, Et nos champs reverdis font renaître, grand roi, En ton cœur martial des soins dignes de toi. La trompette a sonné; ton armée intrépide,
Prête à marcher, te demande pour guide, Et tous ses escadrons sur ta frontière épars Ambitionnent tes regards.
Joins ta présence et tes destins propices Au zèle impatient qui presse leurs efforts;
Ce sonnet fut imprimé en 1674, dans le Mercure galant.
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