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Le Parnasse, autrefois dans la France adoré,
Faisoit pour ses mignons un autre âge doré :
Notre fortune enfloit du prix de nos caprices,
Et c'étoit une banque à de bons bénéfices :
Mais elle est épuisée, et les vers à présent
Aux meilleurs du métier n'apportent que du vent;
Chacun s'en donne à l'aise, et souvent se dispense
A prendre par ses mains toute sa récompense.
Nous nous aimons un peu, c'est notre foible à tous;
Le prix que nous valons, qui le sait mieux que nous?
Et puis la mode en est, et la cour l'autorise.
Nous parlons de nous-même avec toute franchise;
La fausse humilité ne met plus en crédit.
Je sais ce que je vaux, et crois ce qu'on m'en dit.
Pour me faire admirer je ne fais point de ligue;
J'ai peu de voix pour moi, mais je les ai sans brigue;
Et mon ambition, pour faire plus de bruit,
Ne les va point quêter de réduit en réduit ' :
Mon travail sans appui monte sur le théâtre;
Chacun en liberté l'y blâme ou l'idolatre;
Là, sans que mes amis prêchent leurs sentiments,
J'arrache quelquefois leurs applaudissements :
Là, content du succès que le mérite donne,
Par d'illustres avis je n'éblouis personne;
Je satisfais ensemble et peuple et courtisans,
Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans :
Par leur seule beauté ma plume est estimée :
Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée 2;

+ Ce vers désigne tous ses rivaux, qui cherchaient à se faire des protecteurs et des partisans; et cet endroit les souleva tous. (V.)

2 Ce vers et le précédent étaient d'autant plus révoltants, qu'il n'avait fait encore aucun de ces ouvrages qui ont rendu son nom immortel: il n'était connu que par ses premières comédies, et par sa tragé lie de Médée, pièces qui seraient ignorées aujourd'hui, si elles n'avaient été soutenues depuis par ses belles tragédies. Il n'est pas permis d'ailleurs de parler ainsi de soi-même. On pardonnera toujours à un homme célèbre de se moquer de ses ennemis, et de les rendre ridicules; mais ses propres amis ne lui pardonneront jamais de se louer. (V.) - Il est sans doute plus adroit d'allier à beaucoup d'orgueil une modestie apparente; mais le jugement de Voltaire n'est-il pas un peu trop sévère? On sait que les poëtes anciens se permettoient de parler d'eux-mêmes et de leurs ouvrages avec infiniment moins de réserve; et l'exemple en étoit chez eux si commun, que cette liberté sembloit être devenue un des priviléges de la poésie :

Exegi monumentum ære perennius,

Et pense toutefois n'avoir point de rival
A qui je fasse tort en le traitant d'égal.
Mais insensiblement je baille ici le change,
Et mon esprit s'égare en sa propre louange ;
Sa douceur me séduit, je m'en laisse abuser,
Et me vante moi-même, au lieu de m'excuser.
Revenons aux chansons que l'amitié demande :
J'ai brûlé fort long-temps d'une amour assez grande 1,
Et que jusqu'au tombeau je dois bien estimer,
Puisque ce fut par-là que j'appris à rimer.
Mon bonheur commença quand mon ame fut prise.
Je gagnai de la gloire en perdant ma franchise.
Charmé de deux beaux yeux, mon vers charma la cour;
Et ce que j'ai de nom je le dois à l'amour.
J'adorai donc Phylis; et la secrète estime
Que ce divin esprit faisoit de notre rime
Me fit devenir poëte aussitôt qu'amoureux :
Elle eut mes premiers vers, elle eut mes premiers feux;
Et bien que maintenant cette belle inhumaine

disoit Horace :

Jamque opus exegi quod nec Jovis ira, nec ignes,
Nec poterit ferrum, nec edax abolere vetustas,

disoit Ovide avec une confiance plus avantageuse encore.
Si des anciens nous passons aux modernes, Malherbe avoit osé dire :

Ce que Malherbe écrit dure éternellement.

Le philosophe de Genève, qui n'étoit pas poëte, disoit naïvement que, s'il existoit en Europe un seul gouvernement éclairé, il eût élevé des statues à l'auteur d'Émile. Voltaire enfin étoit-il lui-même si modeste?

Comparez les vers de Corneille aux traits que nous venons de citer, et jugez. Nous ne voyons dans ces vers qu'un sentiment de franchise naïve, et très compatible avec ce caractère de simplicité qui sied au génie. Toute la question se réduit à savoir s'il y a moins d'orgueil dans une modestie simulée que dans cette franchise. On n'accuseroit pas un homme de vanité parcequ'il auroit la conscience de sa force physique : pourquoi le génie ne sentiroit-il pas aussi sa supériorité? Mais les écrivains médiocres oseroient se louer avec plus de confiance encore: eh bien! on s'en vengeroit par des éclats de rire. (P.)

Il avoit aimé très passionnément une dame de Rouen, nommée madame du Pont, femme d'un maître des comptes de la même ville, qui étoit parfaitement belle, qu'il avoit connue toute petite fille pendant qu'il étudioit à Rouen, au collége des Jésuites, et pour qui il fit plusieurs petites pièces de galanterie qu'il n'a jamais voulu rendre publiques, quelques instances que lui aient faites ses amis : il les brûla lui-même environ deux ans avant sa mort. Il lui communiquoit la plupart de ses pièces avant de les mettre au jour; et, comme elle avoit beaucoup d'esprit, elle les critiquoit fort judicieusement; en sorte que M. Corneille a dit plusieurs fois qu'il lui étoit redevable de plusieurs endroits de ses premières pièces. (OŒuvres diverses de Pierre Corneille; Paris, 1758, page 144.)

Traite mon souvenir avec un peu de haine,
Je me trouve toujours en état de l'aimer;
Je me sens tout ému quand je l'entends nommer,
Et par le doux effet d'une prompte tendresse
Mon cœur sans mon aveu reconnoît sa maîtresse.
Après beaucoup de vœux et de submissions
Un malheur rompt le cours de nos affections;
Mais, toute mon amour en elle consommée,
Je ne vois rien d'aimable après l'avoir aimée :
Aussi n'aimé-je plus, et nul objet vainqueur
N'a possédé depuis ma veine ni mon cœur.
Vous le dirai-je, ami? tant qu'ont duré nos flammes,
Ma muse également chatouilloit nos deux ames :
Elle avoit sur la mienne un absolu pouvoir;
J'aimois à le décrire, elle à le recevoir....
Une voix ravissante, ainsi que son visage,
La faisoit appeler le phénix de notre âge;
Et souvent de sa part je me suis vu presser
Pour avoir de ma main de quoi mieux l'exercer..
Jugez vous-même, Ariste, à cette douce amorce,
Si mon génie étoit pour épargner sa force :
Cependant mon amour, le père de mes vers,
Le fils du plus bel œil qui fût en l'univers,
A qui désobéir c'étoit pour moi des crimes,
Jamais en sa faveur n'en put tirer deux rimes :
Tant mon esprit alors, contre moi révolté,
En haine des chansons sembloit m'avoir quitté;
Tant ma veine se trouve aux airs mal assortie,
Tant avec la musique elle a d'antipathie,
Tant alors de bon cœur elle renonce au jour!
Et l'amitié voudroit ce que n'a pu l'amour !
N'y pensez plus, Ariste; une telle injustice
Exposeroit ma muse à son plus grand supplice.
Laissez-la toujours libre, agir suivant son choix,
Céder à son caprice, et s'en faire des lois.

XVIII.

RONDEAU'.

Qu'il fasse mieux, ce jeune jouvencel,.
A qui le Cid donne tant de martel,
Que d'entasser injure sur injure,
Rimer de rage une lourde imposture,
Et se cacher ainsi qu'un criminel 2.
Chacun connoît son jaloux naturel,
Le montre au doigt comme un fou solennel,
Et ne croit pas en sa bonne écriture

Qu'il fasse mieux.

Paris entier ayant vu son cartel,
L'envoie au diable, et sa muse au bordel.
Moi, j'ai pitié des peines qu'il endure;
Et comme ami je le prie et conjure,
S'il veut ternir un ouvrage immortel,
Qu'il fasse mieux.

Omnibus invideas, livide, nemo tibi.

Ce rondeau fut fait par Corneille en 1637, dans le temps du différend qu'il eut avec Scudéri, au sujet des Observations sur le Cid. (OŒuvres div., page 146.)

* Scudéri n'avoit pas d'abord mis son nom à ses Observations sur le Cid : il en fut fait deux éditions sans qu'on sût de quelle part elles venoient. Cela se découvrit néanmoins, et les brouilla ensemble. (Ibid.)/

3

* Ce terme grossier n'est pas tolérable; mais Regnier et beaucoup d'autres l'avaient employé sans scrupule. Boileau même, dans le siècle des bienséances, en 1674, souilla son chef-d'œuvre de l'Art poétique par ces deux vers, dans lesquels il caractérisait Regnier:

Heureux, si, moins hardi dans ses vers pleins de sel,

Il n'avoit point traîné les muses au bordel!

Ce fut le judicieux Arnauld qui l'obligea de réformer ces deux vers, où l'auteur

tombait dans le défaut qu'il reprochait à Regnier.

Boileau substitua ces deux vers excellents:

Heureux, si ses discours, craints du chaste lecteur,

Ne se sentoient des lieux que fréquentoit l'auteur!

Il eût été à souhaiter que Corneille eût trouvé un Arnauld; il lui eût fait supprimer. son rondeau tout entier, qui est trop indigne de l'auteur du Cid. (V.) - Ce mot étoit beaucoup plus tolérable dans ce rondeau, où l'auteur emploie le style de Marot, qu'il ne l'eût été dans l'Art poétique de Boileau. Le temps où vivoit Corneille étoit d'ailleurs moins chaste en paroles et plus chaste en réalité que le nôtre. Voltaire, qui affecte ici ce scrupule, ne l'ignoroit pas; et pourtant il s'est permis en ce même genre des libertés que Corneille n'eût jamais prises. (P.)

ΧΙΧ.

SONNET

A MONSEIGNEUR DE GUISE'.

Croissez, jeune héros; notre douleur profonde
N'a que ce doux espoir qui la puisse affoiblir ;
Croissez, et håtez-vous de faire voir au monde
Que le plus noble sang peut encor s'ennoblir.

Croissez pour voir sous vous trembler la terre et l'onde :
Un grand prince vous laisse un grand nom à remplir;
Et ce que se promit sa valeur sans seconde,
C'est par vous que le ciel réserve à l'accomplir.

Vos aïeux vous diront par d'illustres exemples
Comme il faut mériter des sceptres et des temples;
Vous ne verrez que gloire et que vertus en tous.

Sur des pas si fameux suivez l'ordre céleste;
Et de tant de héros qui revivent en vous,
Égalez le dernier, vous passerez le reste.

xx.

VERS

SUR LE CARDINAL DE RICHELIEU.

Qu'on parle mal ou bien du fameux cardinal,
Ma prose ni mes vers n'en diront jamais rien :
Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal;
Il m'a fait trop de mal pour en dire du bien.

Menri de Lorraine, deuxième du nom, duc de Guise, fils de Charles de Lorraine, duc de Guise, mort en 1640.

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