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convient du nom sans convenir de la chose, et on s'accorde sur les paroles pour contester sur leur signification. Il faut observer I'unité d'action, de lieu et de jour, personne n'en doute'; mais ce n'est pas une petite difficulté de savoir ce que c'est que cette unité d'action, et jusques où peut s'étendre cette unité de jour et de lieu. Il faut que le poëte traite son sujet selon le vraisemblable et le nécessaire; Aristote le dit, et tous ses interprètes répètent les mêmes mots, qui leur semblent si clairs et si intelligibles, qu'aucun d'eux n'a daigné nous dire, non plus que lui, ce que c'est que ce vraisemblable et ce nécessaire. Beaucoup même ont si peu considéré ce dernier, qui accompagne toujours l'autre chez ce philosophe, hormis une seule fois, où il parle de la comédie, qu'on en est venu jusqu'à établir une maxime très fausse 2, qu'il faut que le sujet d'une tragédie soit vraisemblable; appliquant ainsi aux conditions du sujet la moitié de ce qu'il a dit de la manière de le traiter. Ce n'est pas qu'on ne puisse faire une tragédie d'un sujet purement vraisemblable; il en donne pour exemple la Fleur d'Agathon, où les noms et les choses étoient de pure invention, aussi bien qu'en la comédie: mais les grands sujets qui remuent fortement les passions, et en opposent l'impétuosité aux lois du devoir ou aux tendresses du sang, doivent toujours aller au-delà du vraisemblable, et ne trouveroient aucune croyance parmi les auditeurs, s'ils n'étoient soutenus, ou par l'autorité de l'histoire qui persuade avec empire, ou par la préoccupation de l'opinion commune qui nous donne ces mêmes auditeurs déja tout persuadés. Il n'est pas vraisemblable que Médée tue ses enfants, que Clytemnestre assassine son mari, qu'Oreste poignarde sa mère; mais l'histoire le dit, et la représentation de ces grands crimes ne trouve

On en doutait tellement du temps de Corneille, que ni les Espagnols ni les Anglais ne connurent cette règle. Les Italiens seuls l'observèrent. La Sophonisbe de Mairet fut la première pièce en France où ces trois unités parurent. La Motte, homme de beaucoup d'esprit et de talent, mais homme à paradoxes, a écrit de nos jours contre ces trois unités; mais cette hérésie en littérature n'a pas fait fortune. (V.) *Cette maxime au contraire est très vraie, en quelque sens qu'on l'entende. Boileau dit, avec raison, dans son Art poétique :

Jamais au spectateur n'offrez rien d'incroyable:
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.
Une merveille absurde est pour moi sans appas:
L'esprit n'est point ému de ce qu'il ne croit pas.

(V.)

• Cela n'est pas commun; mais cela n'est pas sans vraisemblance dans l'excès d'une fureur dont on n'est pas le maître. Ces crimes révoltent la nature, et cependant ils sont dans la nature; c'est ce qui les rend si convenables à la tragédie, qui ne veut que du vrai, mais un vrai rare et terrible. (V.)

point d'incrédules. Il n'est ni vrai ni vraisemblable qu'Andromède, exposée à un monstre marin, aye été garantie de ce péril par un cavalier volant qui avoit des ailes aux pieds: mais c'est une fiction que l'antiquité a reçue; et, comme elle l'a transmise jusqu'à nous, personne ne s'en offense' quand on la voit sur le théâtre. Il ne seroit pas permis toutefois d'inventer sur ces exemples. Ce que la vérité ou l'opinion fait accepter seroit rejeté, s'il n'avoit point d'autre fondement qu'une ressemblance à cette vérité ou à cette opinion. C'est pourquoi notre docteur dit que les sujets viennent de la fortune, qui fait arriver les choses, et non de l'art, qui les imagine. Elle est maîtresse des événements, et le choix qu'elle nous donne de ceux qu'elle nous présente enveloppe une secrète défense d'entreprendre sur elle, et d'en produire sur la scène qui ne soient pas de sa façon. Aussi « les anciennes tra« gédies se sont arrêtées autour de peu de familles, parcequ'il « étoit arrivé à peu de familles des choses dignes de la tragédie. » Les siècles suivants nous en ont assez fourni pour franchir ces bornes, et ne marcher plus sur les pas des Grecs: mais je ne pense pas qu'ils nous ayent donné la liberté de nous écarter de leurs règles. Il faut, s'il se peut, nous accommoder avec elles, et les amener jusqu'à nous. Le retranchement que nous avons fait des chœurs nous oblige à remplir nos poëmes de plus d'épisodes qu'ils ne faisoient; c'est quelque chose de plus, mais qui ne doit pas aller audelà de leurs maximes, bien qu'il aille au-delà de leur pratique.

Il faut donc savoir quelles sont ces règles; mais notre malheur est qu'Aristote, et Horace après lui, en ont écrit assez obscurément pour avoir besoin d'interprètes, et que ceux qui leur en ont voulu servir jusques ici ne les ont souvent expliqués qu'en grammairiens ou en philosophes. Comme ils avoient plus d'étude et de spéculation que d'expérience du théâtre, leur lecture nous peut rendre plus doctes, mais non pas nous donner beaucoup de lumières fort sûres pour y réussir.

Je hasarderai quelque chose sur cinquante ans de travail pour la scène, et en dirai mes pensées tout simplement, sans esprit de contestation qui m'engage à les soutenir, et sans prétendre que personne renonce en ma faveur à celles qu'il en aura conçues.

+ Il semble que les sujets d'Andromède, de Phaeton, soient plus faits pour l'opéra que pour la tragédie régulière. L'opéra aime le merveilleux. On est là dans le pays des métamorphoses d'Ovide. La tragédie est le pays de l'histoire, ou du moins de tout ce qui ressemble à l'histoire par la vraisemblance des faits et par la vérité des mœurs. (V.)

Ainsi ce que j'ai avancé dès l'entrée de ce discours, que la poésie dramatique a pour but le seul plaisir des spectateurs, n'est pas pour l'emporter opiniâtrément sur ceux qui pensent ennoblir l'art en lui donnant pour objet de profiter aussi bien que de plaire. Cette dispute même seroit très inutile, puisqu'il est impossible de plaire selon les règles, qu'il ne s'y rencontre beaucoup d'utilité. Il est vrai qu'Aristote, dans tout son Traité de la Poétique, n'a jamais employé ce mot une seule fois ; qu'il attribue l'origine de la poésie au plaisir que nous prenons à voir imiter les actions des hommes; qu'il préfère la partie du poëme qui regarde le sujet à celle qui regarde les mœurs, parceque cette première contient ce qui agrée le plus, comme les agnitions et les péripéties; qu'il fait entrer, dans la définition de la tragédie, l'agrément du discours dont elle est composée; et qu'il l'estime enfin plus que le poëme épique, en ce qu'elle a de plus la décoration extérieure et la musique, qui délectent puissamment, et qu'étant plus courte et moins diffuse, le plaisir qu'on y prend est plus parfait : mais il n'est pas moins vrai qu'Horace nous apprend que nous ne saurions plaire à tout le monde, si nous n'y mêlons l'utile; et que les gens graves et sérieux, les vieillards et les amateurs de la vertu, s'y ennuieront, s'ils n'y trouvent rien à profiter.

Centuriæ seniorum agitant expertia frugis.

Ainsi, quoique l'utile n'y entre que sous la forme du délectable, il ne laisse pas d'y être nécessaire; et il vaut mieux examiner de quelle façon il y peut trouver sa place, que d'agiter, comme je l'ai déja dit, une question inutile touchant l'utilité de cette sorte de poëmes. J'estime donc qu'il s'y en peut rencontrer de quatre

sortes.

La première consiste aux sentences et instructions morales qu'on y peut semer presque partout: mais il en faut user sobrement, les mettre rarement en discours généraux, ou ne les pousser guère loin, surtout quand on fait parler un homme passionné, ou qu'on lui fait répondre par un autre; car il ne doit avoir non plus de patience pour les entendre que de quiétude d'esprit pour les concevoir et les dire. Dans les délibérations d'état, où un homme d'importance consulté par un roi s'explique de sens rassis, ces sortes de discours trouvent lieu de plus d'étendue; mais enfin il est toujours bon de les réduire souvent de la thèse à l'hypothèse; et j'aime mieux faire dire à un acteur, L'amour vous donne beaucoup d'inquiétudes, que, l'amour donne beaucoup d'inquiétudes aux esprits qu'il possède.

Ce n'est pas que je voulusse entièrement bannir cette dernière façon de s'énoncer sur les maximes de la morale et de la politique. Tous mes poëmes demeureroient bien estropiés, si on en retranchoit ce que j'y en ai mêlé; mais, encore un coup, il ne les faut pas pousser loin sans les appliquer au particulier; autrement c'est un lieu commun, qui ne manque jamais d'ennuyer l'auditeur, parcequ'il fait languir l'action; et, quelque heureusement que réussisse cet étalage de moralités, il faut toujours craindre que ce ne soit un de ces ornements ambitieux qu'Horace nous ordonne de retrancher '.

J'avouerai toutefois que les discours généraux ont souvent grace, quand celui qui les prononce et celui qui les écoute ont tous deux l'esprit assez tranquille pour se donner raisonnablement cette patience. Dans le quatrième acte de Mélite, la joie qu'elle a d'être aimée de Tircis lui fait souffrir sans chagrin la remontrance de sa nourrice, qui de son côté satisfait à cette démangeaison qu'Horace attribue aux vieilles gens, de faire des leçons aux jeunes; mais si elle savoit que Tircis la crût infidèle, et qu'il en fût au désespoir, comme elle l'apprend ensuite, elle n'en souffriroit pas quatre vers. Quelquefois même ces discours sont nécessaires pour appuyer des sentiments dont le raisonnement ne se peut fonder sur aucune des actions particulières de ceux dont on parle. Rodogune, au premier acte, ne sauroit justifier la défiance qu'elle a de Cléopâtre que par le peu de sincérité qu'il y a d'or

Il nous semble qu'on ne peut donner de meilleures leçons de goût, et raisonner avec un jugement plus solide. Il est beau de voir l'auteur de Cinna et de Polyeucte creuser ainsi les principes de l'art dont il fut le père en France. Il est vrai qu'il est tombé souvent dans le défaut qu'il condamne: on pensait que c'était faute de connaître son art, qu'il connaissait pourtant si bien; il déclare ici qu'il vaut beaucoup mieux mettre les maximes en sentiment que les étaler en préceptes; et il distingue très finement les situations dans lesquelles un personnage peut débiter un peu de morale de celles qui exigent un abandonnement entier à la passion.... Ce sont les passions qui font l'ame de la tragédie. Par conséquent un héros ne doit point prêcher, et doit peu raisonner. Il faut qu'il sente beaucoup, et qu'il agisse.

Pourquoi donc Corneille, dans plus de la moitié de ses pièces, donne-t-il tant aux lieux communs de politique, et presque rien aux grands mouvements des passions? La raison en est, à notre avis, que c'était là le caractère dominant de son esprit. Dans son Othon, par exemple, tous les personnages raisonnent, et pas un n'est animé.

Peut-être aurait-il dû apporter ici un autre exemple que celui de Mélite. Cette co médie n'est aujourd'hui connue que par son titre, et parcequ'elle fut le premier ouvrage dramatique de Corneille. (V.)

dinaire dans la réconciliation des grands après une offense signalée, parceque, depuis le traité de paix, cette reine n'a rien fait qui la doive rendre suspecte de cette haine qu'elle lui conserve dans le cœur. L'assurance que prend Mélisse, au quatrième de la Suite du Menteur, sur les premières protestations d'amour que lui fait Dorante, qu'elle n'a vu qu'une seule fois, ne se peut autoriser que sur la facilité et la promptitude que deux amants nés l'un pour l'autre ont à donner croyance à ce qu'ils s'entredisent; et les douze vers qui expriment cette moralité en termes généraux ont tellement plu, que beaucoup de gens d'esprit n'ont pas dédaigné d'en charger leur mémoire. Vous en trouverez ici quelques autres de cette nature. La seule règle qu'on y peut établir, c'est qu'il les faut placer judicieusement, et surtout les mettre en la bouche de gens qui ayent l'esprit sans embarras, et qui ne soient point emportés par la chaleur de l'action.

La seconde utilité du poëme dramatique se rencontre en la naïve peinture des vices et des vertus, qui ne manque jamais à faire son effet quand elle est bien achevée, et que les traits en sont si reconnoissables, qu'on ne les peut confondre l'un dans l'autre, ni prendre le vice pour la vertu. Celle-ci se fait alors toujours aimer, quoique malheureuse; et celui-là se fait toujours haïr, bien que triomphant. Les anciens se sont fort souvent contentés de cette peinture, sans se mettre en peine de faire récompenser les bonnes actions, et punir les mauvaises: Clytemnestre et son adultère tuent Agamemnon impunément; Médée en fait autant de ses enfants, et Atrée de ceux de son frère Thyeste, qu'il lui fait manger. Il est vrai qu'à bien considérer ces actions, qu'ils choisissoient pour la catastrophe de leurs tragédies, c'étoient des criminels qu'ils faisoient punir, mais par des crimes plus grands que les leurs. Thyeste avoit abusé de la femme de son frère; mais la vengeance qu'il en prend a quelque chose de plus affreux que ce premier crime. Jason étoit un perfide d'abandonner Médée, à qui il devoit tout; mais massacrer ses enfants à ses yeux est quelque chose de plus. Clytemnestre se plaignoit des concubines qu'Aga

4 Ni dans la tragédie, ni dans l'histoire, ni dans un discours public, ni dans aucun genre d'éloquence et de poésie, il ne faut peindre la vertu odieuse et le vice aimable. C'est un devoir assez connu. Ce précepte n'appartient pas plus à la tragédie qu'à tout autre genre; mais de savoir s'il faut que le crime soit toujours récompensé et la vertu toujours punie sur le théâtre, c'est une autre question. La tragédie est un tableau des grands événements de ce monde; et malheureusement plus la vertu est infortunée, plus le tableau est vrai. Intéressez, c'est le devoir du poëte; rendez la vertų respectable, c'est le devoir de tout homme. (V.)

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