Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ΧΧΙ.

REMERCIEMENT

A M. LE CARDINAL MAZARIN 1.

Non, tu n'es point ingrate, o maîtresse du monde,
Qui de ce grand pouvoir sur la terre et sur l'onde 2,
Malgré l'effort des temps, retiens sur nos autels
Le souverain empire et des droits immortels.
Si de tes vieux héros j'anime la mémoire,
Tu relèves mon nom sur l'aile de leur gloire 3;
Et ton noble génie, en mes vers mal tracé,
Par ton nouveau héros m'en a récompensé.

C'est toi, grand cardinal, homme au-dessus de l'homme*,.
Rare don qu'à la France ont fait le ciel et Rome;

C'est toi, dis-je, ô héros, ô cœur vraiment romain,
Dont Rome en ma faveur vient d'emprunter la main.
Mon honneur n'a point eu de douteuse apparence;
Tes dons ont devancé même mon espérance;

Ce remerciement, placé à la suite de la dédicace de la Mort de Pompée (Paris, 1644), a été réimprimé depuis avec une traduction en vers latins, et l'avertissement suivant, qui est de Corneille :

Au Lecteur. Ayant dédié ce poëme à M. le cardinal Mazarin, j'ai trouvé à propos de joindre à l'épitre le remerciement que je présentai, il y a trois mois, à Son Éminence, pour une libéralité dont elle me surprit. Cette pièce, quoique faite à la hâte, a eu le bonheur de plaire assez à un homme savant * pour ne dédaigner pas de perdre une heure à donner une meilleure forme à mes pensées, et les faire passer dans cette langue illustre qui sert de truchement à tous les savants de l'Europe. Je te donne ici l'un et l'autre, afin que tu voies et ma gloire et ma honte. Il m'est extrêmenient glo. rieux qu'un esprit de cette trempe ait assez considéré mon ouvrage pour le vouloir traduire; mais il m'est presque aussi honteux de voir ses expressions tellement audessus des miennes qu'il semble que ce soit un maître qui ait voulu mettre en lumière les petits efforts de son écolier. C'est une honte toutefois qui m'est très avantageuse; et si j'en rougis, c'est de me voir infiniment son redevable. L'obligation que je lui en ai est d'autant plus grande qu'il m'a fait cet honneur sans que j'aie celui de le connoitre, ni d'être connu de lui. Un de ses amis m'a dit son nom; mais, comme il ne l'a pas voulu mettre au-dessous de ses vers quand il les a fait imprimer, je te l'indiquerai seulement par les deux premières lettres, de peur de fächer sa modestie, à laquelle je ne veux ni déplaire, ni consentir tout-à-fait. »

2 Sur la terre et sur l'onde est devenu, comme on l'a déja remarqué, un lieu commun qu'il n'est plus permis d'employer. (V.)

Sur l'aile de leur gloire. On dirait bien sur l'aile de la gloire, parceque la gloire est personnifiée ; mais leur gloire ne peut l'être. (V.)

* Homme au-dessus de l'homme est bien fort pour le cardinal Mazarin. Que dirait-on de plus des Antonins? (V.)

Adrien Blondin, poëte latin de ce temps-là.

Et ton cœur généreux m'a surpris d'un bienfait
Qui ne m'a pas coûté seulement un souhait.
La grace s'affoiblit quand il faut qu'on l'attende :
Tel pense l'acheter alors qu'il la demande;
Et c'est je ne sais quoi d'abaissement secret'
Où quiconque a du cœur ne consent qu'à regret.
C'est un terme honteux que celui de prière;
Tu me l'as épargné, tu m'as fait grace entière.
Ainsi l'honneur se mêle au bien que je reçois.
Qui donne comme toi donne plus d'une fois.
Son don marque une estime et plus pure et plus pleine;
Il attache les cœurs d'une plus forte chaîne;
En prenant nouveau prix de la main qui le fait,
Sa façon de bien faire est un second bienfait.
Ainsi le grand Auguste autrefois dans ta ville
Aimoit à prévenir l'attente de Virgile :
Lui que j'ai fait revivre, et qui revit en toi,
En usoit envers lui comme tu fais vers moi.

Certes, dans la chaleur que le ciel nous inspire,
Nos vers disent souvent plus qu'ils ne pensent dire;
Et ce feu qui sans nous pousse les plus heureux
Ne nous explique pas tout ce qu'il fait pour eux.
Quand j'ai peint un Horace, un Auguste, un Pompée,
Assez heureusement ma muse s'est trompée;
Puisque, sans le savoir, avecque leur portrait
Elle tiroit du tien un admirable trait *.

Leurs plus hautes vertus qu'étale mon ouvrage
N'y font que prendre un rang pour former ton image.
Quand j'aurai peint encor tous ces vieux conquérants,
Les Scipions vainqueurs, et les Catons mourants 4,

C'est je ne sais quoi d'abaissement n'est pas français. (V.) 2. Ainsi le grand Auguste. Il est triste que Corneille ait comparé Mazarin et Montauron à Auguste. (V.)

Elle tirait du tien un admirable trait. Il est encore plus triste qu'il tire un admirable trait du portrait du cardinal Mazarin, en peignant Horace, César, et Pompée. (V.)

Les Scipions achèvent cette étonnante flatterie. Boileau avait en vue ces fausses douanges prodiguées à un ministre, quand il dit à M. de Seignelay (Épitre IX):

Si, pour faire sa cour à ton illustre père,
Seignelay, quelque auteur, d'un faux zèle emporté,

Au lieu de peindre en lui la noble activité,

La solide vertu, la vaste intelligence,

Le zèle pour son roi, l'ardeur, la vigilance,

La constante équité, l'amour pour les beaux-arts,

Les Pauls, les Fabiens, alors de tous ensemble
On en verra sortir un tout qui te ressemble ;
Et l'on rassemblera de leurs pompeux débris
Ton ame et ton courage, épars dans mes écrits.
Souffre donc que pour guide au travail qui me reste
J'ajoute ton exemple à cette ardeur céleste,
Et que de tes vertus le portrait sans égal
S'achève de ma main sur son original;
Que j'étudie en toi ces sentiments illustres
Qu'a conservés ton sang à travers tant de lustres,
Et que le ciel propice, et les destins amis
De tes fameux Romains en ton ame ont transmis.
Alors, de tes couleurs peignant leurs aventures,
J'en porterai si haut les brillantes peintures,
Que ta Rome elle-même, admirant mes travaux,
N'en reconnoîtra plus les vieux originaux,
Et se plaindra de moi de voir sur eux gravées
Les vertus qu'à toi seul elle avoit réservées ;
Cependant qu'à l'éclat de tes propres clartés
Tu te reconnoîtras sous des noms empruntés.

Mais ne te lasse point d'illuminer mon ame,
Ni de prêter ta vie à conduire ma flamme';
Et, de ces grands soucis que tu prends pour mon roi,
Daigne encor quelquefois descendre jusqu'à moi.
Délasse en mes écrits ta noble inquiétude 2;
Et tandis que, sur elle appliquant mon étude,
J'emploierai, pour te plaire, et pour te divertir,

Lui donnoit des vertus d'Alexandre ou de Mars,
Et, pouvant justement l'égaler à Mécène,
Le comparoit au fils de Pélée ou d'Alemène,
Ses yeux, d'un tel discours foiblement éblouis,
Bientôt dans ce tableau reconnoîtroient Louis.

Horace avait dit la même chose dans sa seizième épître du premier livre :

Si quis bella libi terra pugnata marique, etc. (V.)

Ni de préter ta vie à conduire ma flamme. On ne prête point une vie à conduire une flamme. Il veut dire ne cesse d'échauffer mon génie par tes illustres actions. (V.)

Délasse en mes écrits ta noble inquiclude. On se délasse de ses travaux par des écrits agréables; on ne délasse point une inquiétude *.

Ajoutons à ces remarques qu'on peut trop flatter un cardinal, et faire des tragédies pleines de sublime. (V.)

Cette expression neus paroît très permise en poésie. (P.)

Les talents que le ciel m'a voulu départir,
Reçois, avec les vœux de mon obéissance,
Ces vers précipités par ma reconnoissance.
L'impatient transport de mon ressentiment
N'a pu pour les polir m'accorder un moment.
S'ils ont moins de douceur, ils en ont plus de zèle;
Leur rudesse est le sceau d'une ardeur plus fidèle :
Et ta bonté verra dans leur témérité,
Avec moins d'ornement, plus de sincérité.

XXII.

A MAITRE ADAM BILLAUT,

MENUISIER DE NEVERS,

SUR SES CHEVILLES.

SONNET'.

Le dieu de Pythagore et sa métempsycose
Jetant l'ame d'Orphée en un poëte françois,
Par quel crime, dit-elle, ai-je offensé vos lois,
Digne du triste sort que leur rigueur m'impose?

Les vers font bruit en France; on les loue, on en cause;
Les miens en un moment auront toutes les voix;
Mais j'y verrai mon homme à toute heure aux abois,
Ši pour gagner du pain il ne sait autre chose.

Nous savons, dirent-ils, le pouvoir d'un métier :
Il sera fameux poëte et fameux menuisier,
Afin qu'un peu de bien suive beaucoup d'estime.

A ce nouveau parti l'ame les prit au mot,
Et, s'assurant bien plus au rabot qu'à la rime,
Elle entra dans le corps de maître Adam Billaut.

Ce sonnet fut imprimé au-devant des Chevilles du Menuisier de Nevers; Paris, 1644, in-4°.

XXIII.

INSCRIPTIONS.

I.

LA REDDITION DE CAΕΝ.

Le château révolté donne à Caen mille alarmes;
Mais sitôt que Louis y fait briller ses armes,
Sa présence reprend le cœur de ses guerriers;
Et leur révolte ainsi ne semble être conçue
Que par l'ambition de jouir de sa vue,
Et de le couronner de ses premiers lauriers.

II.

LA DÉROUTE DU PONT-DE-CÉ.

Que sert de disputer le passage de Loire?
Le sang sur la discorde emporte la victoire;

1 Ces vers, que Corneille fit par ordre de la cour, pour être mis au bas de quelques figures de Valdor*, qui représentent les plus célèbres exploits de Louis XIII, furent composés dans une circonstance trop glorieuse à la poésie en général, et à Corneille en particulier, pour ne pas la rappeler ici **. Louis XIV, encore mineur, l'honora, à cette occasion, de la lettre suivante :

• Monsieur de Corneille, comme je n'ai point de vie plus illustre à imiter que celle • du feu roi, mon très honoré seigneur et père, je n'ai point aussi un plus grand desir ⚫ que de voir en un abrégé ses glorieuses actions dignement représentées, ni un plus < grand soin que d'y faire travailler promptement; et comme j'ai cru que, pour ren• dre cet ouvrage parfait, je devois vous en laisser l'expression, et à Valdorles des< seins ***, et que j'ai vu, par ce qu'il a fait, que son invention avoit répondu à mon attente, je juge, par ce que vous avez accoutumé de faire, que vous réussirez en ⚫ cette entreprise, et que, pour éterniser la mémoire de votre roi, vous prendrez plaisir d'éterniser le zèle que vous avez pour sa gloire. C'est ce qui m'a obligé de ⚫ vous faire cette lettre par l'avis de la reine régente, madame ma mère, et de vous • assurer que vous ne sauriez me donner des preuves de votre affection plus agréa« bles que celles que j'en attends sur ce sujet. Cependant je prie Dieu qu'il vous ait, • monsieur de Corneille, en sa sainte garde.

• Écrit à Fontainebleau, ce 14 octobre 1645.

« Signé LOUIS; et plus bas, DE GUÉNÉGAUD.»

Il faut avouer que, malgré une invitation si flatteuse, le génie de Corneille ne s'exerça point heureusement sur ce sujet. J'attribue ce mauvais succès à la gêne où le mit le graveur de renfermer en six vers l'explication de chaque figure. (Préface des OEuvres diverses de Corneille; Paris, 1738.)

* Célèbre artiste du temps, qui fit les dessins des estampes recueillies en un volume in-folio; sous le titre des Triomphes de Louis le Juste, treizième du nom, roi de France et de Navarre, Paris, 4649, in-folio. (P.)

"Il est surprenant que Fontenelle ait ignoré cette lettre. (P.)

"" On ne distinguoit pas alors dessein, projet, conseil, de dessin, terme de peinture.

« AnteriorContinuar »