chose à la gloire de Dieu et à l'édification du prochain. Comme tout le monde n'a pas d'égales lumières, beaucoup de bonnes ames sont assez simples pour ne s'apercevoir pas des imperfections de cette version, que d'autres mieux éclairées y remarquent du premier coup d'œil, et qui ne s'y couleroient pas en si grand nombre, si Dieu m'avoit donné plus d'esprit. POUR LES TRENTE PREMIERS CHAPITRES PUBLIÉS EN 1654. 1 AU LECTEUR, Ce n'est ici que la moitié du troisième livre ; je l'ai trouvé assez long pour en faire à deux fois. Ainsi ma traduction sera divisée en quatre parties, pour être plus portative. Les deux livres que vous avez déja vus en composeront la première; celui-ci fournira aux deux suivantes, et le quatrième demeurera pour la dernière. Je vous demande encore un peu de patience pour les deux qui restent; elles ne me coûteront que chacune une année, pourvu qu'il plaise à Dieu de me donner assez de santé et d'esprit. Cependant j'espère que vous ferez aussi bon accueil à celle-ci que vous avez fait à celle qui l'a précédée. Les vers n'en sont pas moindres, et, si j'en puis croire mes amis, j'ai mieux pénétré l'esprit de l'auteur dans ces trente chapitres que par le passé. Il n'a fait de tout ce troisième livre qu'un dialogue entre Jésus-Christ et l'ame chrétienne, et souvent il les introduit l'un et l'autre dans un même chapitre, sans y marquer aucune distinction. La fidélité avec laquelle je le suis pas à pas m'a persuadé que je n'y en devois pas mettre, puisqu'il n'y en avoit pas mis; mais j'ai pris la liberté de changer de vers toutes les fois qu'il change de personnage, tant pour aider le lecteur à reconnoître ce changement, que parceque je n'ai pas estimé à propos que l'homme parlat le même langage que Dieu. nwww POUR LA FIN DU LIVRE TROISIÈME ET LE LIVRE QUATRIÈME TOUT ENTIER, AU LECTEUR. Enfin me voici au bout d'un long ouvrage; et comme j'ai donné ces deux dernières parties aux libraires tout à la fois, ils ont cru qu'il vous seroit plus commode de les avoir en un seul volume, et n'ont point voulu les séparer. J'ai bien lieu de craindre que vous ne vous aperceviez un peu trop de l'impatience que j'ai eue de l'achever, et du chagrin qu'a jeté dans mon esprit un travail si long et si pénible J'avois promis à quelques personnes dévotes de joindre à cette traduction celle du Combat spirituel; mais je les supplie de trouver bon que je retire ma parole. Puisque j'ai été prévenu dans ce dessein par une des plus belles plumes de la cour, il est juste de lui en laisser toute la gloire. Je n'ignore pas que les livres sont des trésors publics où chacun peut mettre la main; mais le premier qui s'en saisit pour les traduire semble se les approprier en quelque façon, et on ne peut plus s'y engager sans lui faire un secret reproche de n'y avoir pas bien réussi, et promettre de s'en acquitter plus dignement. En attendant que Dieu m'inspire quelque autre dessein, je me contenterai de m'appliquer à une revue de mes pièces de théâtre, pour les réduire en un corps, et vous les faire voir en un état un peu plus supportable. J'y ajouterai quelques réflexions sur chaque poëme, tirées de l'art poétique, plus courtes ou plus étendues, selon que les matières s'en offriront; et j'espère que ce présent renouvelé ne vous sera point désagréable, ni toutà-fait inutile à ceux qui voudront s'exercer en cette sorte de poésie. 15 LETTRES DE CORNEILLE. MONSIEUR, I. A M. D'ARGENSON. A Rouen, ce 18 de mai 1646. Votre lettre m'a surpris de deux façons: l'une, par les témoignages de votre souvenir, que je n'avois garde d'attendre, sachant bien que je ne les méritois pas; l'autre, par l'honneur que vous faites à nos muses, je ne dirai pas de leur donner vos loisirs, car. je sais que vous n'en avez point, mais de dérober quelques heures aux grandes affaires qui vous accablent, pour vous délasser en leur conversation. Trouvez donc bon que je vous remercie très humblement du premier, et me réjouisse infiniment de l'autre. Ce n'est pas vous que j'en dois congratuler; c'est le Parnasse entier, que vous élevez au dernier point de sa gloire, par la dignité des choses dont vous faites voir qu'il est capable. Il est trop vrai que communément la poésie ne trouve pas bien ses graces dans les ma tières de dévotion; mais j'avois toujours cru que ce défaut provenoit plutôt du peu d'application de notre esprit que de sa propre însuffisance, et m'étois persuadé que d'autant plus que les passions pour Dieu sont plus élevées et plus justes que celles qu'on prend pour les créatures, d'autant plus un esprit qui en seroit bien touché pourroit faire des pensées plus hardies et plus enflammées en ce genre d'écrire. Je m'étois fortifié dans ce sentiment par la nature de la poésie même, qui a les passions pour son principal objet,.. n'étant pas vraisemblable que l'excellence de leur principe les... doive faire languir. Mais qu'on puisse apprivoiser avec elle la partie la plus sublime et la plus farouche de la théologie, mettre saint Thomas en rimes, et trouver des termes éloquents et mesu rés pour exprimer des idées que l'esprit a peine à concevoir que parabstraction, et en captivant ses sens qui ne le peuvent souffrir sans répugnance et sans rebellion, c'est ce que je ne me serois jamais imaginé faisable, et dont toutefois vous venez de me détromper. Pour vous en dire mon sentiment en particulier, je vous confesse que cet échantillon m'a jeté dans une admiration si haute, que je ne rencontre point de paroles pour m'expliquer là-dessus qui me satisfassent. Tout ce que je vous puis dire sincèrement, c'est que vous me laissez dans une impatience d'en voir d'autres fragments, puisque votre peu de loisir nous défend d'en espérer autre chose. Je m'y promets des ornements d'autant plus grands, que, vous étant débarrassé dans celui-ci de tout ce qu'il y a de plus épineux dans ce grand dessein, vous allez tomber dans de vastes campagnes, où la poésie, étant en pleine liberté, trouve lieu de se parer de tous ses ornements, et de nous étaler toutes ses graces. Cependant, pour ce premier chapitre que vous m'avez envoyé, je ne puis que souscrire à tout ce que vous en aura dit M. de Balzac. Comme il a des connoissances très achevées, et une franchise incorruptible, je sais qu'il vous en aura dit la vérité, et tout ensemble d'excellentes choses. Il n'appartient qu'à lui de trouver des termes dignes des vertus et des perfections qui sont hors du commun. Vous vous pouvez reposer sur son témoignage, qui a été autrefois le plus ferme appui du Cid au milieu de sa persécution, et dont, avec une générosité qui lui est toute particulière, il a fait une illustre apologie, en faisant des compliments à son persécuteur. Je n'ajouterai donc rien à ce que je sais qu'il vous en a dit, et me défendrai seulement, pour achever cette lettre, des civilités par où vous commencez la vôtre. Je veux bien croire que Cinna et Polyeucte ont été assez heureux pour vous divertir; mais je ne m'abuserai jamais jusqu'à m'imaginer qu'ils ayent pu servir de quelque modèle ou à la force de vos vers, ou à la piété de vos sentiments. J'en rappelle derechef à M. de Balzac; je ne doute aucunement qu'il ne soutienne avec moi que le plan de ce merveilleux ouvrage est dressé par un génie tout à vous, et qui, n'empruntant rien de personne, se doit nommer à très juste titre ἀυτοδίδακτος. J'espérerai que vous m'honorerez non seulement de ce que vous ajouterez à ce grand coup d'essai, mais aussi de cette paraphrase.. de Jérémie, dont vous vous défiez injustement, puisque M. Balzac est pour elle. Je vous la demande avec passion, et demeure de tout. mon cœur, MONSIEUR, Votre très humble et très obéissant serviteur, CORNEILLE. MONSIEUR, II. A M. L'ABBÉ DE PURE. A Rouen, ce 12 de mars 1659. Quelque pleine satisfaction que vous ayez reçue de la nouvelle représentation d'OEdipe, je puis vous assurer qu'elle n'égale point celle que j'ai eue à lire votre lettre, soit que je la regarde comme un gage de votre amitié, soit que je la considère comme une pièce d'éloquence remplie des plus belles et des plus nobles expressions que la langue puisse souffrir. En vérité, monsieur, quelque approbation qu'aye emportée notre nouvelle Jocaste, elle n'a point fait faire tant de ha! ha ! dans l'hôtel de Bourgogne que votre lettre dans mon cabinet : mon frère et moi les avons redoublés à toutes les lignes, et y avons trouvé de continuels sujets d'admiration. Je suis ravi que mademoiselle de Beauchateau aye si bien réussi; votre lettre n'est pas la seule que j'en ai vue : on a mandé du Marais à mon frère qu'elle avoit étouffé les applaudissements qu'on donnoit à ses compagnes, pour attirer tout à elle ; et M. Floridor me confirme tout ce que vous m'en avez mandé. Je n'en suis point surpris, et il n'est rien arrivé que je ne lui aye prédit à elle-même, en lui disant adieu, quand je sus l'étude qu'elle faisoit de ce rôle. Je souhaite seulement pouvoir trouver un sujet assez beau pour la faire paroître dans toute sa force : je crois qu'elle prendroit bien autant de soin pour faire réussir un original qu'elle en a fait à remplir la place de la malade. Je suis marri de la difficulté que rencontre M. Bois..... A ne vous rien celer, je ne suis point faché de n'être point à Paris en ce rencontre, où je me verrois dans la nécessité de désobliger un des deux. Le poste où est son opposant est si considérable, que je crains pour lui qu'il ne fasse revenir bien des voix. Je souhaite d'apprendre bientôt qu'il se soit relâché, et que notre ami aye eu ce qu'il demande, avec l'agrément de tout le monde. Je suis de tout mon cœur, MONSIEUR, Votre très humble et très affectionné serviteur, CORNEILLE. |