Imágenes de páginas
PDF
EPUB

C'est encore parler de la guerre en bon bourgeois qui va à la garde : au lieu de ce vilain mot d'équipage, qui ne vaut rien là, il falloit dire en si bon ordre.

Sortir d'une bataille, et combattre à l'instant.

Tout de même, ce combat des Maures fait de nuit n'étoit point une ba

taille.

Que ce jeune seigneur endosse le harnois.

Ce jeune seigneur qui endosse le harnois est du temps de moult, de pieça et d'ainçois.

Et leurs terreurs s'oublient.

Cela ne vant rien: on doit dire finissent, cessent, ou se dissipent; car ces terreurs qui s'oublient elles-mêmes ne sont qu'un pur galimatias.

Contrefaites le triste...

Ce mot de contrefaites est trop bas pour la poésie; on doit dire, feignez d'être triste. Il y a encore cent fautes pareilles dans cette pièce, soit pour la phrase, ou soit pour la construction: mais, sans m'arrêter davantage, je veux passer de l'examen des vers à la preuve des larcins, aussitôt que, pour montrer comme cet auteur est stérile, j'aurai fait remarquer combien de fois dans son poëme il a mis les pauvres lauriers, si communs; voyez-le, je vous en supplie :

Ils y prennent naissance au milieu des lauriers...
Lauriers dessus Jauriers, victoire sur victoire...
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers...
Tout couvert de lauriers, craignez encor la foudre...
Mille et mille lauriers dont sa tête est couverte...
Au milieu de l'Afrique arborer ses lauriers...
J'irai sous mes cyprès accabler ses lauriers...
Le chef, au lieu de fleurs, couronné de lauriers...
Lui gagnant un laurier, vous impose silence...

La dernière partie de mon ouvrage ne me donnera pas plus de peine que les autres. Le Cid est une comédie espagnole, dont presque tout l'ordre, scène pour scène, et toutes les pensées de la françoise sont tirés: et cependant ni Mondori, ni les affiches, ni l'impression, n'ont appelé ce poëme, ni traduction, ni paraphrase, ni seulement imitation; mais bien en ont-il parlé comme d'une chose qui seroit purement à celui qui n'en est que le traducteur; et lui-même a dit, comme un autre a déja remarqué,

Qu'il ne doit qu'à lui seul toute sa renommée 4.

Mais, sans perdre nne chose si précieuse que le temps, trouvez bon que je m'acquitte de ma promesse, et que je fasse voir que j'entends aussi l'espagnol 2.

Après ce que vous venez de voir, jugez, lecteur, si un ouvrage dont le sujet ne vaut rien, qui choque les principales règles du poëme dramatique, qui

Voyez l'Excuse à Ariste, n. XVII des Poésies diverses.

2 Comme nous avons imprimé au bas du Cid les passages tirés de l'espagnol, nous ne les répétons pas ici.

manque de jugement en sa conduite, qui a beaucoup de méchants vers, et dont presque toutes les beautés sont dérobées, peut légitimement prétendre à la gloire de n'avoir point été surpassé, que lui attribue son auteur avec si peu de raison! Peut-être sera-t-il assez vain pour penser que l'envie m'aura fait écrire; mais je vous conjure de croire qu'un vice si bas n'est point en mon ame, et qu'étant ce que je suis, si j'avois de l'ambition, elle auroit un plus haut objet que la renommée de cet auteur. Au reste, on m'a dit qu'il prétend, en ses réponses, examiner les œuvres des autres, au lieu de tâcher de justifier les siennes. Mais, outre que cette procédure n'est pas bonne, nos erreurs ne le pouvant pas rendre innocent, je veux le relever de cette peine pour ce qui me regarde, en avouant ingénument que je crois qu'il y a beaucoup de fautes dans mes ouvrages, que je ne vois point, et confessant même à ma honte qu'il y en a beaucoup que je vois, et que ma négligence y laisse. Aussi ne prétends-je pas faire croire que je suis parfait, et je ne me propose autre fin que de montrer qu'il ne l'est pas tant qu'il le croit être. Et certainement, comme je n'aime point cette guerre de plume, j'aurois caché ses fautes, comme je cache son nom et le mien, si, pour la réputation de tous ceux qui font des vers, je n'avois cru que j'étois obligé de faire voir à l'auteur du Cid qu'il se doit contenter de l'honneur d'être citoyen d'une si belle république, sans s'imaginer mal à propos qu'il en peut devenir le tyran.

[blocks in formation]

CONTENANT SA RÉPONSE AUX OBSERVATIONS FAITES PAR LE SIEUR SCUDÉRI SUR LE CID (1637.)

MONSIEUR,

2

Il ne vous suffit pas que votre libelle me déchire en public; vos lettres me viennent quereller jusque dans mon cabinet, et vous m'envoyez d'injustes accusations, lorsque vous me devez pour le moins des excuses. Je n'ai point fait la pièce qui vous pique; je l'ai reçue de Paris avec une lettre qui m'a appris le nom de son auteur; il l'adresse à un de nos amis, qui vous en pourra donner plus de lumières. Pour moi, bien que je n'aie guère de jugement, si l'on s'en rapporte à vous, je n'en ai pas si peu que d'offenser une personne de si haute condition, dont je n'ai pas l'honneur d'être connu, et de craindre moins ses ressentiments que les votres. Tout ce que je vous puis dire, c'est que je ne doute ni de votre noblesse, ni de votre vaillance 1, et qu'aux choses de cette nature, où je n'ai point d'intérêt, je crois le monde sur sa parole: ne mélons point de pareilles difficultés parmi nos différends. Il n'est pas question de savoir de combien vous êtes noble ou plus vaillant que mo', pour juger combien le Cid est meilleur que l'Amant libéral 1. Les bons exprits trouvent que vous avez fait un haut chef-d'œuvre de doctrine et de raisonnement en vos observations. La modestie et la générosité que vous y témoignez leur semblent des pièces rares, et surtout votre procédé merveilleusement sincère et cordial vers un ami. Vous protestez de ne point dire d'injures, et lorsque incontinent après vous m'accusez d'ignorance en men entier, et de manque de jugement en la conduite de mon chef-d'œuvre, vous appelez cela des civilités d'auteur? Je n'aurois besoin que du texte de votre libelle, et des contradictions qui s'y rencontrent, pour vous convaincre de l'un et de l'autre de ces défauts, et imprimer sur votre casaque le quatrain outrageux que vous avez voulu attacher à la mienne, si le même texte re me faisoit voir que l'éloge d'auteur d'heureuse mémoire ne peut être propre, en m'apprenant que vous manquez aussi de cette partie, quand vous vous êtes écrié : O raison de l'auditeur ! que faisiez-vous? En faisant cette magni fique salllie, ne vous êtes-vous pas souvenu que le Cid a été réprésenté trois fois au Louvre, et deux fois à l'hôtel de Richelieu? Quand vous avez traité la pauvre Chimène d'impudique, de prostituée, de parricide, de monstre, ne vous êtes-vous pas souvenu que la reine, les princesses et les plus vertueuses dames de la cour et de Paris l'ont reçue et caressée en fille d'honneur? Quand vous m'avez reproché mes vanités, et nommé le comte de Gormas un capitan de comédie, vous ne vous êtes pas souvenu que vous avez mis un A qui lit, au-devant de Ligdamon, ni des autres chaleurs poétiques et militaires qui font rire le lecteur presque dans tous vos livres. Pour me faire croire ignorant, vous avez tâché d'imposer aux simples, et avez avancé des maximes de théâtre de votre seule autorité, dont toutefois, quand elles seroient vraies, vous ne pourriez tirer les conséquences cornues que vous en tirez: vous vous êtes fait tout blanc d'Aristote, et d'autres auteurs que vous ne lûtes et n'entendîtes peut-être jamais, et qui vous manquent tous de garantie; vous avez fait le censeur moral, pour m'inmputer de mauvais exemples; vous avez épluché les vers de ma pièce, jusqu'à en accuser un de manque de césure: si vous eussiez su les termes du métier, vous eussiez dit qu'il manquoit de repos en l'hémistiche. Vous m'avez voulu faire passer pour sim:ple traducteur, sous ombre de soixante et douze vers que vous marquez sur un ouvrage de deux mille, et que ceux qui s'y connoissent n'appelleront ja

1 Les Observations sur le Cid. (V.)

2 La Défense du Cid, publiée, la même année, en réponse aux Observations de

Scudéri.

* Le cardinal de Richelieu. (V.)

4 Scudéri, dans une de ses lettres adressées à Corneille, s'éleva beaucoup au-dessus

de lui par sa naissance et sa noblesse, et fit une espèce de défi ou d'appel à Corneille; ce qui apprêta beaucoup à rire, et donna lieu à plusieurs pièces qui parurent dans ce temps. Ces pièces ne sont ni assez belles ni assez intéressantes pour être rapportées ici: outre qu'elles ne regardent en rien la critique ou l'apologie du Cid. Scudéri le prenait d'un ton fort haut lorsqu'il s'agissait de noblesse; il était gouverneur de Notre-Dame-de-la-Garde. Voyez ce qu'en dit le Voyage de Bachaumont et Chapelle.(V). * L'Amant libéral, tragi-comédie composée par Scudéri. (V.)

* Un des acteurs de la tragédie du Cid, dont le caractère est extrêmement fier et haut. (V.)

* Ligdamon, comédie faite par Scudéri, au-devant de laquelle il avait mis une espèce de préface, qu'il avait intitulée A qui lit, dans laquelle il y a une infinité de bravades ridicules et impertinentes. Cet A qui lit répond à la formule italienne A chi tege, et n'est point une bravade. (V.)

mais de simples traductions; vous avez déclamé contre moi, pour avoir tu le nom de l'auteur espagnol, bien que vous ne l'ayez appris que de moi, et que vous sachiez fort bien que je ne l'ai celé à personne, et que même j'en ai porté l'original en sa langue à monseigneur le cardinal votre maitre et le mien; enfin, vous m'avez voulu arracher en un jour ce que près de trente ans d'étude m'ont acquis; il n'a pas tenu à vous que, du premier lieu où beaucoup d'honnêtes gens me placent, je ne sois descendn au-dessous de Claveret: et pour réparer des offenses si sensibles, vous croyez faire assez de m'exhorter à vous répondre sans outrages, pour nous repentir après tous deux de nos folies, et de me mander impérieusement que, malgré nos gaillardises passées, je sois encore votre ami, afin que vous soyez encore le mien ; comme si votre amitié me devoit être fort précieuse après cette incartade, et que je dusse prendre garde seulement au peu de mal que vous m'avez fait, et non pas à celui que vous m'avez voulu faire. Vous vous plaignez d'une Lettre à Ariste, où je ne vous ai point fait de tort de vous traiter d'égal, puisqu'en vous montrant moins envieux, vous vous confessez moindre, quoique vous nommiez folies les travers d'auteur où vous vous êtes laissé emporter, et que le repentir que vous en faites paroître marque la honte que vous en avez. Ce n'est pas assez de dire: Soyez encore mon ami, pour recevoir une amitié si indignement violée: jene suis point homme d'éclaircissement'; vous êtes en sûreté de ce côté-là. Traitez-moi dorénavant en inconnu, comme je vous veux laisser pour tel que vous êtes, maintenant que je vous connois: mais vous n'aurez pas sujet de vous plaindre, quand je prendrai le même droit sur vos ouvrages que vous avez pris sur les miens. Si un volume d'observations ne vous suffit, faites-en encore cinquante; tant que vous ne m'attaquerez pas avec des raisons plus solides, vous ne me mettrez point en nécessité de me défendre, et de ma part je verrai, avec mes amis, si ce que votre libelle vous a laissé de réputation vaut la peine que j'achève de la ruiner. Quand vous me demanderez mon amitié avec des termes plus civils, j'ai assez de bonté pour ne vous la refuser pas, et me taire des défauts de votre

4 Corneille appelle ici le cardinal de Richelieu son maître; il est vrai qu'il en recevait une pension, et on peut le plaindre d'y avoir été réduit; inais on doit le plaindre davantage d'avoir appelé son maître un autre que le roi. (V.)

2 Claveret, auteur contemporain de Corneille et de Scudéri, qui a composé plusieurs pièces tant en vers qu'en prose, lesquelles n'ont point eu d'approbation. Ces deux ou trois lignes que Corneille avait mises dans cette Lettre apologétique lui attirèrent, de la part de Claveret, une lettre pleine d'impertinences et de ridiculités *. Elle fut imprimée et vendue publiquement; elle est si mauvaise, qu'elle ne mérite pas la peine d'être rapportée. Plusieurs mauvais auteurs affectionnés à Claveret firent, dans le même temps, de méchantes pièces, tant en vers qu'en prose, qui ne servirent qu'à faire éclater davantage le mérite du Cid et de son auteur. Corneille en voulait à Claveret, par ce qu'il avait distribué une pièce intitulée l'Auteur du vrai Cid espagnol à son traducteur français, dans laquelle on prétendait montrer que le dessein et le meilleur de la tragédie dn Cid avaient été pillés de l'espagnol; et cette pièce, quoique mauvaise, avait beaucoup causé de chagrin à Corneille, parce que Claveret, avec qui il était ami, avait été celui qui avait fait courir cette pièce. (V.)

5 C'est l'Excuse à Ariste.

+ Ceci se doit entendre du défi que lui avaii fait Scudéri. (V.)

• Sous le titre de Lettre au sieur Corneille, soi-disant auteur du Cid. Voyez l'historique de cette querelle dans les Mémoires pour servir à l'Histoire des Hommes illustres, t.xv, p. 368, et t. xx, p.88.

esprit, que vous étalez dans vos livres. Jusque là je suis assez glorieux pour vous dire de porte à porte que je ne vous crains ni ne vous aime. Après tout, pour vous parler sérieusement, et vous montrer que je ne suis pas si piqué que vous pourriez vous imaginer, il ne tiendra pas à moi que nous ne reprenions la bonne intelligence du passé, que vous souhaitez. Mais après une offense si publique, il y faut un peu plus de cérémonie : je ne vous la rendrai pas malaisée, et donnerai tous mes intérêts à qui vous voudrez de vos amis; et je m'assure que si un homme se pouvoit faire satisfaction à lui-même du tort qu'il s'est fait, il vous condamneroit à vous la faire à vous-même, plutôt qu'à moi qui ne vous en demande point, et à qui la lecture de vos observations n'a donné aucun mouvement que de compassion; et certes on me blåmeroit avec justice si je vous voulois mal pour une chose qui a été l'accomplissement de ma gloire, et dont le Cid a reçu cet avantage, que, de tant de beaux poëmes qui ont paru jusqu'à présent, il a été le seul dont l'éclat ait pu obliger l'envie à prendre la plume. Je me contente, pour toute apologie, de ce que vous avouez qu'il a eu l'approbation des savants et de la cour. Cet éloge véritable par où vous commencez vos censures détruit tout ce que vous pouvez dire après. Il suffit qu'ayez fait une folie amatrique', sans que j'en fasse une à vous répondre comme vous m'y conviez; et, puisque les plus courtes sont les meilleures, je ne ferai point revivre la vôtre par la mienne. Résistez aux tentations de ces gaillardises qui font rire le public à vos dépens, et continuez à vouloir être mon ami, afin je me puisse dire le vôtre. CORNEILLE.

IV.

PREUVES DES PASSAGES 2

ALLÉGUÉS DANS LES OBSERVATIONS SUR LE CID
PAR M. DE SCUDÉRI,

ADRESSÉES A MESSIEURS DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE, POUR SERVIR
DE RÉPONSE A LA LETTRE APOLOGÉTIQUE DE M. CORNEILLE.

M. Corneille témoigne, par sa réponse aux observations sur le Cid, qu'il est très éloigné de la modération d'un auteur qui, persuadé de la bonté de son ouvrage, attend un jugement favorable de l'intégrité de ses juges, puisqu'au lieu de se donner l'humilité d'un accusé, il occupe la place des juges, et se loge lui-même à ce premier lieu où personne n'oseroit seulement dire qu'il prétend. C'est de cette haute région que sa plume, qu'il croit aussi foudroyante que l'éloquence de Périclès, lui a fait croire que des injures étoient assez fortes pour détruire tout mon ouvrage, et que, sans combattre mes raisons par d'autres, il lui suffiroit seulement de dire que j'ai cité faux. Mais sans repartir à ses invectives, je me veux toujours conserver cette froideur

4 Ce mot paroît emprunté du grec ἄμετρη, démesurée, excessive. 2 Cette pièce de Scudéri fut imprimée la même année 1637.

« AnteriorContinuar »